CORRESPONDANCE

à propos de l'expérience de Libet

 

 

 

 

Dans une lettre datée du 24.12.02, Philippe Garnier demande à François Favre des précisions sur son interprétation de l'expérience de Libet :

"Dans le point 5.D de votre lettre (du 29.11.02), vous vous faites l'avocat du diable en proposant une marge d'incertitude [M] entre l'instant de la décision volontaire [D] et l'instant de la conscience qui lui est associée [C]. Si M > 400 ms, le rétro-PK est incertain. Je ne comprends pas votre raisonnement pour montrer que M < 400 ms. Je ne vois pas le rapport entre une contre-décision possible dans les 150 ms et M < 400 ms. Pourquoi ne peut-on imaginer que D se produit 400 ms avant C ? Le délai des 150 ms commence bien à partir de C, D n'étant connu de personne, y compris du sujet."

Voici la réponse de François Favre, du 7.2.03 :

· Appelons E le début des potentiels de préparation, C l'instant (déclaré) de la conscience de la décision volontaire et F le dernier instant où une contre-décision est possible :

Une prise de conscience n'étant jamais ponctuelle dans le temps, la conscience de la décision ne correspond donc qu'approximativement à t0 ; mais cela n'a aucune importance dans la discussion puisque la durée minimale d'une prise de conscience est inférieure à la milliseconde. La question de fond est de savoir quand se produit la décision volontaire D (également supposée < 1 ms). J'envisage alors les deux situations suivantes :

a) Le sujet respecte le protocole. L'instant D coïncide alors avec C, à la milliseconde près. Pour tenter de sauvegarder le principe de causalité, certains scientifiques ont supposé un certain délai psycho-physiologique (DC > 0). Mais, à supposer qu'il existe (ce que j'admets seulement pour des raisons expérimentales et que j'appelle "marge d'incertitude"), un tel délai serait forcément inférieur au délai maximal CF (+ 150 ms) puisque entre C et F peut se produit une contre-décision volontaire et que ce qu'on cherche à évaluer, c'est bien l'écart maximal – qu'il soit positif ou négatif – entre une décision volontaire et la conscience qui lui est immédiatement associée. (A moins de supposer, encore gratuitement, que le délai différerait selon le sens.) ED est donc ³ + 250 ms : le rétro-PK est prouvé.

NB : Les scientifiques conservateurs peuvent certes supposer que le délai diffère selon le sens, ils peuvent certes "imaginer" que D coïncide avec E ou le précède ; mais de telles hypothèses n'ont strictement rien à voir avec ce que déclare vivre ce sujet libre. Ils n'envisagent tout cela que pour sauvegarder le principe de causalité (et son équivalent subjectif, la déduction rationnelle). En introduisant donc un tel deus ex machina, ils nient le sujet (alors que c'est de sa liberté qu'il faut rendre compte) en le remplaçant par leur propre subjectivité (supposée, elle, souveraine). Raisonnement absurde, puisqu'il revient à affirmer qu'ils échapperaient à leur propre conclusion s'ils étaient eux-mêmes le sujet de l'expérience. En niant autrui, ils font de l'antiscience morale. Et sans science morale, il n'y a pas la moindre chance de pouvoir faire de la métaphysique scientifique (de la parapsy).

Autrement dit, on peut toujours ergoter objectivement sur l'expérience de Libet comme sur une expérience de PK menée par des parapsychologues. Mais les négateurs du PK déclarent eux-mêmes que, le PK étant impossible (a fortiori le rétro-PK), aucune expérience ne peut valoir. C'est leur croyance a priori qui détermine l'interprétation du résultat. La volonté de croire ou non en un Dieu révélé décide du sens de la Bible. Vous ne pouvez pas prouver que la musique procure des émotions esthétiques à quelqu'un qui y est insensible ; il faut vouloir de telles émotions pour qu'elles se produisent.

Pour traiter scientifiquement de morale, il faut admettre a priori le libre arbitre, c'est-à-dire postuler une finalité propre anticausale en actes (prendre soi-même le monde – social ou physique – à contre-pied). Le problème du moraliste scientifique est ensuite de trouver ou de monter des expériences qui illustrent pour lui un tel déterminisme. La preuve ne peut être ici que subjective. Mais, pour être parapsychologue, il faut en plus décrire l'articulation des deux types de preuve, faire donc de la métaphysique scientifique.

On pourrait vouloir raffiner l'expérience de Libet, en cherchant par exemple à repérer l'instant C' de la prise de conscience de la contre-décision, dans l'espoir de convaincre les sceptiques par un calcul plus strict. Mais c'est ce qu'ont déjà fait les rhiniens pendant cinquante ans, sans aucun résultat vis-à-vis de ces mêmes sceptiques. Le problème est d'élargir la conception de la science, pas du tout de l'appliquer rigoureusement (en conservant l'illusion rhinienne qu'il puisse exister une preuve strictement cognitive d'un pari strictement conatif, qu'on puisse connaître la volonté et ainsi la déterminer). Un tel élargissement exige un nouveau paradigme scientifique, incompatible avec presque toutes les métaphysiques occidentales.

Le problème n'est pas de savoir si l'expérience de Libet pourrait convaincre moralement un scientifique quelconque, mais au contraire d'impliquer a priori la physique dans l'étude du libre arbitre. Vous ne deviendrez parapsychologue que lorsque vous vous préoccuperez uniquement du second point. Sinon vous resterez au mieux – comme tant d'autres – un simple publicitaire du paranormal.

b) Le sujet fraude. La décision intellectuelle (consciente) d'agir immédiatement déclenche la décision volontaire. On a alors un délai CD ³ 0. Mais ce délai serait alors encore plus court que celui de a), puisqu'il faudrait avant F une nouvelle prise de conscience C' pour pouvoir réagir. De toute façon, ED est ici ³ + 400 ms : le rétro-PK est donc également prouvé dans ce cas de figure.