UN CERTAIN DOCTEUR GROF...
Par Pascale Catala,
PSITT n°43/44, 1986
Stanislas Grof, psychiatre d'origine tchécoslovaque, est devenu un des pionniers de la psychologie transpersonnelle, aux côtés de chercheurs comme Abraham Maslow, Ken Wilber, James Fadiman, Assagioli ... . Grof est peut-être la personnalité la plus connue en France dans le milieu de la psychologie transpersonnelle, et il m'a semblé intéressant de retracer brièvement les grandes lignes de ses recherches.
La démarche de Grof a été essentiellement expérimentale, (en Tchécoslovaquie puis aux Etats-Unis ), et les résultats qu'il a obtenus n'ont pas fini d'étonner et de dérouter. Il s'appuie également sur une solide expérience personnelle, et il a assisté sa femme dans un parcours intérieur passionnant qu'elle a rendu public.
Actuellement, Grof, ayant formulé des hypothèses théoriques intéressantes, essaie d'élargir et de rattacher ses découvertes aux autres domaines "de pointe". Lui et sa femme effectuent de nombreuses tournées, notamment en Europe, et les "Grof Therapies" voient monter leur cote de popularité de façon remarquable.
1- La psychologie Transpersonnelle
C'est la branche la plus moderne de la psychologie, qui, par-delà l'étude de la pathologie et de la santé psychique ordinaire, s'intéresse au summum de l'expérience intérieure humaine. La psychologie transpersonnelle reconnaît à l'homme la potentialité de faire l'expérience d'un large éventail d'états de conscience, et recherche des techniques permettant la croissance de cette conscience. Les expériences transpersonnelles se caractérisent par une expansion de la conscience au-delà des limites ordinaires de l'ego, de l'espace, ou du temps.
2 - La démarche de Grof
Depuis une vingtaine d'années, Grof étudie les propriétés du LSD. Ses conceptions à ce sujet ont beaucoup évolué au cours de ses expérimentations cliniques. Au départ on pensait pouvoir, grâce au LSD, créer une "psychose expérimentale" temporaire, ce qui aurait permis d'explorer la folie. Grof abandonna vite cette voie car les effets cliniques induits par les drogues étaient très différents de la symptomatologie schizophrénique.
Il remarqua alors d'extrêmes variations interindividuelles dans les réactions au LSD, cette drogue semblant hautement spécifique de la personnalité du sujet. Peu à peu, Grof en vint à considérer le LSD comme un puissant "catalyseur" des processus mentaux (par l'intermédiaire de modifications biochimiques et physiologiques du cerveau ) : l'émergence d'un matériel inconscient est facilitée, et différents niveaux du psychisme semblent pouvoir être atteints.
Aujourd'hui, Grof continue à étudier expérimentalement ces processus mentaux, mais il a abandonné le LSD au profit d'un inducteur moins dangereux : l'hyperventilation (qui provoque une suroxygénation du cerveau ), et plus généralement, l'ensemble des techniques généralement connues en Rebirth Therapy. Il est remarquable que cette technique d 'hyperventilation (respirations rapides et profondes) soit très employée chez de nombreux peuples, dans le but de provoquer une transe.
3-Les différents types d'expériences LSD répertoriés par Grof
Selon Grof, on peut rencontrer différents types d'expériences, qu'il a classés hiérarchiquement et mis en relation avec différents domaines de l'inconscient humain.
3.1 Les expériences esthétiques
C'est le niveau le plus superficiel. Elles semblent correspondre à une stimulation chimique des organes sensoriels, exacerbant les facultés perceptives de l'individu. Ces expériences peuvent se révéler très créatrices.
3.2 Les expériences psychodynamiques
Elles concernent le domaine de l'inconscient individuel et des zones de la personnalité accessibles dans les états habituels de conscience. Des événements marquants de la vie sont revécus, quelquefois sous forme très symbolique, impliquant un important matériel inconscient. Grof dit avoir pu vérifier lors ce type d'expérience, certaines théories freudiennes en rapport avec la sexualité infantile (complexe d'œdipe, angoisse de castration ... ). Grof a cependant introduit un nouveau concept pour théoriser ce champ d'expériences psychodynamiques : le concept de COEX. (voir § 5).
Voici en exemple la cas de Peter, tel que l'a présenté Grof :
Peter, un maitre-assistant de 37 ans, avait fait l'objet de nombreuses hospitalisations dans notre département au cours des deux années précédant sa thérapie psycholytique. Une psychothérapie et une pharmacothérapie n'avaient produit qu'un soulagement superficiel et passager de sa psychopathologie grave. Ses problèmes principaux, à cette époque, provenaient de symptômes combinant des éléments masochistes à ceux d'une compulsion obsessionnelle. Il se sentait continuellement poussé à trouver un homme correspondant à une physionomie bien particulière et, de préférence, habillé en noir. [...] Il avait malheureusement le don de tomber sur des sadiques. Il passa deux fois à côté de la mort, fut gravement blessé à plusieurs reprises et, un jour, son partenaire l'attacha et lui vola son argent. Peter souffrait, en outre, de dépressions suicidaires, de tensions, d'angoisses, d'impuissance, et de crises épileptiques.[ ... ]
Au cours d'une série de quinze séances psycholytiques, un système COEX très intéressant et très important se manifesta par séquence. Les couches les plus superficielles étaient formées des souvenirs de ses rencontres traumatisantes avec des partenaires sadiques. En diverses occasions, des hommes l'avaient attaché avec des cordes, enfermé dans une cave sans nourriture ni boisson et torturé par strangulation et flagellation. Les thèmes sadiques s'exprimaient aussi sous des formes symboliques.
Une couche plus profonde de ce même système condensait les expériences de Peter sous le troisième Reich.[ ... ] Peter avait été déporté en Allemagne, torturé et contraint par deux officiers nazis à se soumettre à leurs pratiques homosexuelles. Ces expériences avaient développé chez Peter une préférence pour le rôle homosexuel passif. Peter revécu sous LSD divers épisodes du nazisme. [ ... ]
Les expériences centrales du même système étaient liées à l'enfance de Peter. En régressant, il revécut les punitions que lui infligeaient ses parents. Sa mère l'enfermait régulièrement dans une cave sombre où il passait de longues heures sans nourriture. Son père, quant à lui, exprimait son despotisme en le frappant cruellement avec une lanière de cuir. Le patient réalisa alors que ses désirs masochistes étaient la synthèse de ces deux formes de punitions.
Lors de la reviviscence de ces souvenirs, on assista à une amélioration de l'état de Peter mais son problème majeur ne disparut pas de manière définitive. En fin de compte, il revécut l'expérience angoissante du traumatisme de sa naissance dans toute sa brutalité biologique. En tirant les conclusions de sa thérapie, il déclara qu'il avait trouvé les éléments précis qu'il cherchait désespérément à obtenir par les traitements sadiques : un espace fermé et sombre, une restriction de tous les mouvements du corps et une torture physique et mentale extrême. Après avoir revécu sa naissance biologique, Peter se débarrassa de ses symptômes et complexes.
3.3 Les expériences périnatales
Ces expériences touchent aux problèmes de la naissance, de la vieillesse, de la souffrance physique, de la mort... . Le sujet prend conscience des processus mort/naissance et de la fragilité de l'existence humaine. En même temps, il se trouve qu'il découvre les dimensions spirituelles et religieuses de l'univers.
Beaucoup de sujets ont l'impression de revivre la "traumatisme de leur naissance" (idée introduite par Otto Rank), d'autres disent avoir rencontré "Ieur mort". La plupart du temps, les expériences extrêmement fortes qui sont vécues font apparaître des postures, des symptômes physiques, des visions, etc... en rapport avec un processus d'accouchement.
Cependant, le lien causal avec le traumatisme de la naissance n'est encore qu'hypothétique. Ce qu'on peut dire, c'est que la liaison symbolique entre le vécu du sujet et le processus de la naissance est tout à fait remarquable ; Grof a classé l'ensemble des expériences périnatales selon une grille symbolique relative aux phases de l'accouchement. Dans ses hypothèses, il décrit quatre matrices périnatales : ces matrices sont des systèmes directeurs dynamiques qui s'actualisent, se réalisent à travers les phénomènes périnatals, qui eux-mêmes ont deux facettes : biologique et spirituelle. Chaque stade de la naissance biologique semble avoir un équivalent spirituel spécifique dans le psychisme humain, et on peut y rattacher symboliquement toute une classe de phénomènes.
Grof a donné de nombreuses descriptions des quatre matrices, que nous présenteront très brièvement ici:
MPF1 : Vie paisible au sein de l'utérus / expérience d'unité cosmique
MPF2 : Déclenchement de l'accouchement, fortes contractions alors que le col de l'utérus est encore fermé / impressions d'étouffement universel, expérience de l'enfer
MPF3 : Progression du fœtus dans le canal vaginal / conflit mort-naissance
MPF4: Dernière phase de l'accouchement / mort de l'ego et re-naissance
Grof rapporte que le fait pour un sujet de vivre de telles expériences peut entraîner un changement radical dans son existence et sa vision du monde.
Voici un extrait dune séance de formation LSD d'un psychiatre:
[ ... ] A présent, ma situation était très réaliste et très différente: un fœtus souffrait d'étranges agressions toxiques au cours de son existence intra-utérine. Ma taille s'était considérablement réduite, ma tête était considérablement plus grosse que le reste de mon corps. J'étais suspendu dans un milieu liquide et les substances chimiques nocives pénétraient dans mon organisme par le cordon ombilical. Grâce à des récepteurs inconnus, je savais que leurs effets étaient néfastes à mon organisme. Je percevais également la propriété agressive de ces substances étrangères dans mon système gustatif; la sensation combinait le goût de l'iode à celui de sang putréfié et d'un vieux bouillon.[ ... ]
Les sentiments de maladies et d'indigestion disparurent et j'entrai dans un état extatique toujours plus intense.[ ... ] ma vision se dégageait et une masse incroyable de lumière et d'énergie m'enveloppait, se répandait en moi sous forme de vibrations subtiles. J'étais toujours un fœtus connaissant la perfection ultime et la félicité d'une expérience intra-utérine positive ou un nouveau-né se fondant dans le sein nourricier, source de vie. J'étais aussi l'univers tout entier; j'assistais au spectacle du macrocosme avec un nombre incalculable de galaxies vibrantes et, en même temps, J'étais ce macrocosme.[ ... ] Cette expérience extrêmement riche et complexe dura une éternité. J'oscillais entre l'état d'un fœtus désemparé et malade et une existence intra-utérine heureuse et sereine. Les influences néfastes se traduisaient par des visions de démons ou de créatures malveillantes, archétypes issus de contes de fées. [...] A un moment donné, l'expérience intra-utérine sembla s'ouvrir sur le temps plutôt que sur l'espace. A mon grand étonnement, je revécus ma propre conception et divers stades de mon développement embryonnaire. Tout en vivant les complexités de l'embryogenèse avec une précision dépassant de beaucoup celle des meilleurs manuels de médecine, je remontais dans un passé encore plus éloigné, je visualisais certains vestiges phylogéniques de la vie de mes ancêtres du règne animal.[ ... ] Plus rien de concret ne se manifesta ensuite. Je passai la majeure partie de mon temps pénétré du sentiment de ne faire qu'un avec la nature et l'univers, je baignais dans une lumière dorée dont l'intensité se réduisait progressivement.[ ... ]
3.4 Les expériences transpersonnelles
Elles sont les dernières à apparaître, très fréquentes chez les sujets ayant déjà vécu des expériences périnatales. Le dénominateur commun de ce groupe de phénomènes très riche et varié, est que l'individu a le sentiment que sa conscience s'est étendue au-delà des limites habituelles de son ego, et de celles du temps et de l'espace.
Les types d'expériences recensés par Grof sont très nombreux. On y trouve par exemple:
Beaucoup d'expériences peuvent être interprétées en rapport avec la mystique hindouiste ou bouddhiste. Elles sont très peu communicables et encore moins vérifiables scientifiquement, aussi les sceptiques n'ont aucune difficulté à les déclarer "impossibles, donc inexistantes". Ils invoquent le délire, la psychose, la fabulation... comme explications largement suffisantes. Grof a cependant lutté pour faire admettre ses résultats si incroyables par la communauté scientifique (surtout dans le milieu psychiatrique), mais les objectifs sont encore loin d'être atteints !
Voici maintenant un exemple d'expérience semblant transcender les limites de l'ego:
A un stade avancé de la thérapie psycholytique de Renata, des événements inhabituels et curieux dominèrent quatre séances LSD successives. Ces séquences concernaient une période historique précise. L'action se situait à Prague au dix-septième siècle, une époque décisive dans l'histoire de la Tchécoslovaquie.
Après la défaite de la Montagne Blanche, en 1621, qui marqua le début de la Guerre de Trente Ans en Europe, le pays perdit sa souveraineté et passa sous l'hégémonie de la dynastie des Habsbourg. Désireux de museler la fièvre patriotique et les forces de la résistance, les Habsbourg envoyèrent des mercenaires capturer les principaux représentants de la noblesse tchèque. Vingt-sept d'entre eux furent arrêtés et décapités sur un échafaud dressé sur la place de la Vieille Ville à Prague.
Renata perçut diverses images et intuitions extraordinaires concernant l'architecture, les vêtements, les armes et les objets de l'époque. Elle décrivit aussi avec une précision étonnante I'ambiguité des relations existant entre les membres de la famille royale et les vassaux. Renata n'avait jamais étudié cette période de l'histoire de son pays et il fallut rechercher des livres rares pour confirmer l'exactitude de l'information rapportée. Nombre de ces expériences étaient liées à diverses périodes de la vie d'un jeune noble, l'un des vingt-sept à avoir été décapités sur l'ordre des Habsbourg. Au cours d'une séquence dramatique, Renata revécut avec force émotion et amples détails les événements concernant l'exécution, y compris l'angoisse et l'agonie du jeune homme. Elle s'identifia véritablement à lui à plusieurs reprises. Ces séquences historiques la laissaient perplexe ; en quoi étaient-elles liées à sa personnalité actuelle ? En dépit de ses croyances, elle déduisit de ces séances qu'il s'agissait de reviviscences d'événements de la vie d'un de ses aïeux.[ ... ]
4-Le chemin de Christina Grof
Christina a vécu des moments extrêmement difficiles et très étonnants. Elle est née dans une famille aisée et a bénéficié d'une jeunesse dorée à Honolulu et Hawai. Modelée par un milieu conservateur, elle a fait de bonnes études et "un beau mariage". Elle s'est mise à pratiquer le Hatha-Yoga avec sa mère, en considérant cette discipline comme un exercice physique parmi d'autres. Par la suite, lors de ses accouchements, Christina eut des crises terribles, avec modifications d'états de conscience, syncopes, mouvements involontaires très violents, etc ... ceci avec une incroyable dépense l'énergie. Elle devint très inquiète, et peu à peu commença dans son esprit à relier ces crises a sa pratique du yoga. Elle rencontra un Swami, et participa à des retraites de méditation, sans connaître du tout le domaine qu'elle abordait. Là, elle eut de nouvelles crises très fortes, allant jusqu'à "faire l'expérience de sa propre naissance et de sa propre mort ".
Quand elle revint dans sa famille aux Etats-Unis, rien n'allait plus dans sa vie. Christina était complètement déstabilisée, elle se trouvait dans un état de doute et de déséquilibre permanent. Lors d'un accident de voiture, elle se sentit quitter son corps et vécu le "syndrome de Moody" (NDE). Après cela, elle se sentait devenir folle et son état empirait de jour en jour. Elle en arriva à divorcer.
Alors, désespérée, elle alla à New-York revoir un de ses anciens professeurs de psychologie, et se confia à lui. Celui-ci l'envoya voir Stanislas Grof, qui à cette époque écrivait "The human encounter with death". Elle lut le livre et compara les récits de Grof à sa propre expérience. Elle fut étonnée de voir que Grof préconisait de poursuivre et de comprendre de telles expériences, qui selon lui faisaient partie du healing process (processus de guérison). Christina participa à plusieurs séminaires et ateliers organisés par Grof. C'est ainsi qu'ils firent connaissance, pour quelque temps plus tard se marier. Mais Christina eut de nouveau une crise terrible en 1976 ("six jours d'enfer", dit-elle), et pourtant Stanislas l'encourageait toujours a poursuivre. Plus tard, Christina a trouvé un livre décrivant point par point ce qu'elle avait vécu, sous le nom d'expérience Kundalini ( 1 ).
Christina et Stanislas Grof eurent -et ont encore- à s'opposer à la majorité des psychiatres qui ne voient dans de telles crises que des manifestations psychotiques ne relevant que de la chimiothérapie lourde. Ils essaient tous deux de faire comprendre la différence entre une psychose "ordinaire" et ces états de conscience où la perception de la réalité est certes très inhabituelle, mais où le sujet ne sombre pas dans une "folie" complètement coupée du monde extérieur.
Christina a fondé le Spiritual Emergency Network , qui est un réseau de personnes fortement engagées dans la voie transpersonnelle, et désirant partager leurs connaissances et expériences. Des permanences sont assurées, pour les cas où des "orages psychiques" trop insupportables pour un sujet l'amènerait à requérir une aide, un secours d'urgence, choses qui ne sont pas apportées en hôpital psychiatrique traditionnel.
A travers le récit de Christina Grof, on sent tout le danger d'une expérience paroxystique. Au départ, Christina ne pensait qu'à éviter ces fameuses crises. Jusqu'au jour où elle rencontra Stanislas qui lui dit : "That's terrific ! Go on !" , et que ces encouragements, bien que très surprenants, l'aidèrent à réorganiser sa vie en accueillant les expériences transpersonnelles. Cependant tout le monde n'a pas la possibilité d'être assisté en permanence par un psychiatre tel que Grof, aussi le Network est-il un moyen de rompre l'isolement terrible dans lequel peut se trouver une personne en train de vivre des expériences aussi bouleversantes.
(1) KUNDALINI : Mot tiré du yoga tantrique, désignant une expérience dans laquelle une énergie, "lovée comme un serpent" à la base de la colonne vertébrale, est activée et remonte à travers les "chakras" (centres énergétiques).
5-Essais théoriques
Le concept majeur introduit par Grof est celui de COEX ( Systèmes d'Expériences Condensées). Cette hypothèse est très importante du point de vue de la compréhension psychanalytique du phénomène.
Un système COEX est défini comme une constellation spécifique de souvenirs, consistant en expériences condensées (et en fantasmes qui leur sont reliés ) , qui proviennent de différentes périodes de la vie d'un individu (naissance, petite enfance, adolescence, etc ... ).
Chaque système COEX possède un thème organisateur fondamental, et les souvenirs qu'il contient sont tous associés à une forte charge affective de même nature. Par exemple, les systèmes COEX qui représentent et condensent chez un individu des situations où se sont vues menacées la survie, la santé, et l'intégrité de son corps, sont particulièrement importants.
La structure de la personnalité renferme un grand nombre de COEX, systèmes dynamiques organisateurs intégrant leurs composants en une unité fonctionnelle distincte.
Chaque COEX est relié à des symptômes cliniques spécifiques ou à certains mécanismes de défense. On distingue des systèmes COEX positifs (expériences affectives positives), et les COEX négatifs.
Les systèmes COEX intègrent des éléments périnatals et transpersonnels, ils concernent tous les niveaux de la psyché.
Ils possèdent à la base une expérience fondatrice (la plus antérieure du système) qui représente un prototype, une matrice pour l'enregistrement ultérieur d'événements du même type. En effet, la sensibilité spécifique d'un individu à tel ou tel type d'événements semble être déterminée par des matrices dynamiques fonctionnelles, profondément ancrées dans l'inconscient, innées et transpersonnelles par nature (à rapprocher du concept junguien d'Archétype).
La reviviscence lors de séances LSD d'expériences traumatisantes de l'enfance se traduit souvent par des changements considérables dans le psychisme du sujet. On rejoint ici les principes thérapeutiques freudiens concernant l'"abréaction" .
Le deuxième point important dans la vision théorique de Grof, est la classification des matrices périnatales. Ce sont les racines fondamentales de types d'expériences extrêmement fortes, liées au processus de la mort/renaissance. La description des matrices est très riche.
De plus en plus, Grof essaie de rattacher les affections psychologiques et psychosomatiques aux bases périnatales et aux différentes matrices concernées. Le danger de cette démarche est de faire des matrices un principe d'explication universel, et de reproduire ainsi la tendance malsaine des psychanalystes traditionnels ... Espérons que Grof ne tombera pas dans un nouveau réductionnisme. Les tentatives d'explications sont cependant toujours enrichissantes.
Dans son dernier ouvrage paru en français, " Psychologie transpersonnelle ", Grof tente de relier ses théories psychologiques à des branches parallèles des sciences " de pointe". Il subodore des structures explicatives communes, en citant abondamment la théorie des systèmes, l'holographie, les nouveaux principes de la mécanique quantique, etc... Il prône une nouvelle approche, dite approche holonomique , qui considère les principes d'arrangement et d'organisation de la réalité et du système nerveux central, la distribution de l'information, la relation entre le tout et ses parties, etc....
Cette approche s'inscrit dans le changement de perspective du New-Age qualifié d' " émergence d'un nouveau paradigme".
6-Répercussions sociales
Grof et sa femme ont amorcé un mouvement au sein du milieu psychiatrique. Les domaines auxquels ils touchent étant si extraordinaires, il n'est pas étonnant que les résistances soient fortes. Le "Spiritual Emergency Network" a pris une grande importance, principalement aux Etats-Unis, mais pénétrera bientôt aussi en Europe. Il existe une association internationale transpersonnelle ( I T A ), ainsi que maintenant une association analogue en France, et ailleurs... De nombreux ateliers, conférences, débats ... sont organisés.
La psychothérapie transpersonnelle est en plein essor. On applique également la perspective transpersonnelle à de nombreux domaines (éducation, médecine ... ). C'est avant tout un nouveau regard sur le monde qu'apporte "Ie transpersonnel". Comme pour bien d'autres domaines, on pourra déplorer le phénomène de mode qui a suivi la naissance de cette branche de la psychologie, et reconnaître qu'elle a été bien souvent galvaudée. Ceci semble inévitable et il faut savoir distinguer le bon grain de l'ivraie. En effet, il peut être dangereux de chercher à évoluer dans le "spirituel" ou "supra-normal" alors que la simple normalité nous fait défaut. Il ne faut pas oublier non plus que ces domaines nous sont encore en grande partie inconnus, que nous manquons de méthodes expérimentales pour les aborder, et que nous jouons quelque peu aux apprentis-sorciers. Il faut croire que ce jeu est passionnant, pour qu'il rencontre un tel succès...
Pascale CATALA, 1986.
Stanislas et Christina Grof, 1985.
BIBLIOGRAPHIE
• S.GROF, J.HALIFAX. La rencontre de l'homme avec sa mort (Editions du Rocher, 1982)
• S.GROF. Royaumes de l' inconscient humain (Editions du Rocher, 1983)
• S.GROF. Psychologie transpersonnelle (Editions du Rocher, 1984)
• R.N. WALSH, F.E. VAUGHAN. Au-delà de l'Ego (La Table Ronde, 1984)
International Transpersonal Association 3519 Front street San Diego, CA 92103 USA
POST-SCRIPTUM : 15 ans après ...
Je n'ai pas suivi l'évolution de la psychologie transpersonnelle et ne peux dire quelle extension elle a prise en France à l'heure actuelle, mais je peux signaler un article très récent de Gérald Leroy-Terquem et Djohar Si Ahmed à ce sujet :
"La respiration holotropique : changer d'état de conscience pour trouver sa voie", paru dans "GUERIR L'AME ET LE CORPS" dirigé par Philippe Wallon, Albin Michel, Paris, 2000.
Je pense personnellement qu'il faut bien distinguer la pratique thérapeutique des avancées théoriques que l'on peut faire sur la compréhension scientifique du fonctionnement psychique. Des patients d'analystes freudiens auront des rêves typiquement freudiens, des junguiens rencontreront leur "anima", et les patients de Grof auront des expériences transpersonnelles autant qu'ils en voudront. Les explorateurs de l'Inconscient humain ont ceci de spécifique, c'est qu'ils ne rencontrent que ce que leur imaginaire -au sens le plus vaste- met sur leur chemin. Les "cartographies de la conscience" sont multiples, celle de Grof a simplement l'avantage d'englober plus ou moins les autres. De plus, les psychologues transpersonnels ne rejettent pas les phénomènes dits "spirituels" (de type "Kundalini" par ex.) ou paranormaux, alors qu'ils sont encore largement méconnus par les autres thérapeutes et peuvent pourtant parfois entrainer certains sujets dans la détresse la plus grande. Comme l'a rappelé Bertrand Méheust dans "Somnambulisme et médiumnité" : depuis Charcot et ses disciples, toute la dimension de la mystique et de l'extase avait été reléguée dans la pathologie psychiatrique banale.
On ne peut qu'être frappé, à la lecture des cas cliniques présentés par des thérapeutes, quels qu'ils soient, de l'aspect magique du "conte de fée" que constitue les histoires de leurs patients. Je ne doute pas, pour avoir assisté à certaines séances étonnantes, qu'il existe de tels cas. Quant à savoir si les raisons profondes de la "guérison" relèvent plus des techniques thérapeutiques sophistiquées plutôt qu'à la mobilisation des capacités d'auto-guérison du sujet, c'est une autre histoire ... Je me demande également si sur le long terme l'amélioration du patient est toujours aussi nette. Etant donné qu'en France, aucune méthode d'évaluation des thérapies n'est couramment pratiquée (sauf en thérapie comportementale), la question risque de rester longtemps ouverte.
L'attitude très enthousiaste et confiante de Grof concernant les thérapies transpersonnelles me semblait déjà exagérée en 1985. Avec le recul, après avoir rencontré de nombreuses personnes en quête de "spiritualité", et assisté au développement du mouvement New-Age en un syncrétisme mystico-orientaliste de plus en plus coupé des bases scientifiques, je ne peux que réitérer mes réserves. Se lancer de but en blanc dans une thérapie basée sur la transe, l'émotion, et les états de conscience paroxystiques ne me semble pas indiqué pour tout le monde, et surtout bien moins inoffensif que l'on pourrait croire. Et il n'y a pas encore d'étude expérimentale complète permettant d'établir la valeur thérapeutique et cathartique de la reviviscence d'expériences traumatisantes dans tous les cas, bien que Freud ait donné à cette idée le statut de présupposé évident au sein de nos esprits. (Voir les expériences de James W. Pennebaker, 1985 ; les études récentes de Bernard Rimé sur le "partage social des émotions" ; et les évaluations sur le "debriefing" en prévention des syndromes post-traumatiques). Ce qui manque surtout est un "follow-up" des patients, une évaluation de leur état quelques semaines après la thérapie.
La psychothérapeute Djohar Si Ahmed m'a affirmée qu'en plus de dix ans de pratique, elle n'avait jamais rencontré de problèmes dûs à la thérapie holotropique (crises nerveuses, décompensations, etc.). Au contraire, elle s'est aperçue au fil du temps que l'efficacité de cette méthode était excellente pour des types de patients comme par exemple les adolescents en rupture, avec lesquels elle obtient des résultats spectaculaires.
Il existe des circonstances de la vie où l'on n'a pas d'autre choix que "d'entrer en thérapie" et que la voie de la thérapie holotropique s'impose d'elle-même. Alors sans aucun doute, l'aventure s'annonce passionnante.
Pascale Catala, mars 2000.