SERIE D'EMISSIONS "NORMAL/PARANORMAL" sur M6

 

Depuis la série "Mystères" des années 90, les émissions consacrées au paranormal se faisaient plus rares à la télévision française. Apparemment ce sujet ne faisait plus recette et n'était plus capable de satisfaire l'audimat. Cependant ces deux dernières années, on a pu noter quelques tentatives isolées, portées par la mode du thème de prédilection actuel de dénonciation des arnaques. Si "Mystères" et autres consœurs adoptaient une approche crédule et sensationnaliste, il semble que la nouvelle tendance soit à l'inverse une forme de "scepticisme", puisque les journalistes se placent immanquablement dans une dialectique du "Y croire /Ne pas y croire" , "Vérité ou arnaque ?", etc.

La série "Normal/Paranormal" s'inscrit également dans cette tendance, puisque chaque émission était commentée abondamment par une personnalité scientifique dont le rôle était de critiquer chaque reportage et chaque témoignage sur la base habituelle de la banalisation la plus complète : "Je vous fais la même chose demain" , "Il n'y a rien d'étonnant à cela", bref le parfait :"Circulez y'a rien à voir". Ce qui faisait que l'émission, entre parenthèses, semblait se contredire elle-même, sous couvert d'"objectivité".

J'ai voulu développer ici un peu longuement certaines caractéristiques de ces émissions, et en cela j'accorde, reconnaissons-le, plus d'importance à cette série qu'elle n'en mériterait vu son niveau de qualité. Seulement il me semble que les mécanismes que je démonte ici sont des principes généraux utilisés dans le traitement médiatique de "l'information" sur le paranormal en France, et j'espère inciter par là même le public à une plus grande prudence, analyse et réflexion personnelle par rapport à ces programmes. D'autre part, je pense qu'il y a des pratiques de malhonnêteté intellectuelle que l'on ne doit pas laisser passer, et de plus en plus les acteurs du paranormal sont incités à s'unir pour protester contre ces pratiques.

Je me suis basée sur les commentaires des uns et des autres échangées sur des listes de discussion Internet, et sur mes communications personnelles avec des participants à l'émission et avec le Rédacteur en chef, Eudes Semeria.

La formule de l'émission

Les émissions se composent de reportages sur plusieurs thèmes différents (au moins 4 ou 5 par émission), présentant des praticiens comme : voyants, magnétiseurs, hypnotiseurs, médiums etc. ainsi que des témoins de phénomènes paranormaux. Chaque reportage est critiqué, puis il y a des débats de plateau entre plusieurs intervenants présents dans les reportages, et le sceptique de service qui tente de les décrédibiliser au maximum. Ces débats sont menés par le jeune animateur Stéphane Rotenberg qui laisse bien entendu toujours le dernier mot à son invité le grand scientifique qui (dans son optique) ne peut être que sceptique. Certaines expériences sont tentées sur le plateau même, et ratent en général, alors qu'un personnage anti-paranormal (illusionniste, mentaliste) parvient à un meilleur résultat. La conclusion est que l'on peut facilement se laisser berner par des individus sans scrupules.

 

 

Les critiques

Ces émissions sont hautement critiquables pour les raisons suivantes :

1/ L'approche est beaucoup trop superficielle, de trop nombreux sujets sont traités, et certaines personnes contactées ne peuvent pratiquement pas s'exprimer, tellement on passe rapidement d'un thème à un autre.

2/ Le sceptique en place, dont le temps de parole est largement supérieur à celui de n'importe quel autre intervenant, est sempiternellement présenté par l'animateur comme le représentant de "la Science" (donc d'une respectabilité absolue). Si d'autres scientifiques apparaissent dans les reportages, ils ne sont pas considérés du tout de la même façon.

Pourtant, aucun de ces intervenants scientifiques de plateau ne connaît vraiment le sujet, et surtout aucun n'a publié d'article sur un sujet quelconque du paranormal dans une revue scientifique. C'est donc un abus manifeste d'autorité : cela revient à demander à un professeur en chirurgie vasculaire s'il croit que la prochaine fusée vers Mars a des chances d'arriver à remplir sa mission. Son avis n'aura pas plus de valeur que le mien ou le vôtre, il ne reflètera que son opinion personnelle, sans que la "Science" intervienne le moins du monde là-dedans.

On a vu par contre au cours des reportages certains scientifiques ayant fait des recherches poussées sur la parapsychologie (par ex Mario Varvoglis, Dick Bierman). Ceux-là ont eu très peu l'occasion de s'exprimer, car ils sont considérés par les journalistes de l'émission comme des "croyants au paranormal", alors que les sceptiques présidant l'émission sont considérés comme les "scientifiques objectifs". (source : ma correspondance personnelle avec le rédacteur en chef de l'émission).

A mon humble avis, il me semble a contrario, que le scientifique le plus "objectif" sera celui qui aura expérimenté sur la question pour voir ce qui est possible ou non, et non celui qui décrétera a priori que ces phénomènes sont impossibles (même si, il est vrai, les chercheurs psi ont un préjugé positif au départ sinon ils n'entreprendraient pas de longues études et une carrière de recherche peu gratifiante dans ce domaine). Pour les journalistes de Normal/Paranormal, la parole de ces parapsychologues était mise au même niveau que celui du médium qui parle avec les morts, ou que de la sorcière qui prépare ses potions, c'est à dire au niveau de la "croyance" au psi.

3/ Il y a eu pratique systématique de la désinformation quand, à plusieurs reprises, l'animateur a fait dire au scientifique de plateau qu'"Il n'y avait rien de scientifique, que rien n'avait été étudié scientifiquement", en particulier à propos de la télépathie. Le "scientifique" a rajouté que la télépathie n'était qu'un sentiment, une impression, et que de toute façon ce n'était pas quantifiable. Il y a donc eu là ignorance délibérée (ou feinte d'ignorance) de tous les travaux universitaires de parapsychologie quantitative qui se sont déroulés depuis plus de soixante-dix ans, surtout aux Etats-Unis mais aussi dans le monde entier. Pourtant j'avais moi-même (ainsi que d'autres personnes) founi au rédacteur en chef toutes les informations importantes sur la recherche parapsychologique au niveau des laboratoires privés ou publics dans le monde.

4/ Certains témoins ont été traités de façon inadmissible sur le plan éthique. Ainsi Mr Abgrall, psychiatre, se permet-il, devant des milliers de téléspectateurs, de traiter le discours d'une "médium" de "délire". Pour certains témoignages qui devaient rester anonymes, on a révélé le nom entier et non pas le prénom seulement comme c'était prévu. On a filmé certaines personnes pendant des heures pour ne retenir au montage qu'une phrase, sans que les témoins aient le moins du monde leur mot à dire. La plupart du temps, les témoins étaient piégés, car ils arrivaient de bonne foi pour raconter leur histoire ou informer de leurs théories, et sur le plateau ils étaient démolis et ridiculisés, voire même insultés. (La théorie de Anne Ancelin, même si elle peut être contestable pour certains spécialistes, ne méritait certainement pas un tel mépris ; les voyants étaient systématiquement suspectés de fraude etc).

5/ Les reportages portaient souvent, comme il est de tradition à la télévision française, sur des cas non fiables et n'ayant pas fait l'objet d'études scientifiques. En général, il est fait un choix de personnages ou d'associations particulièrement farfelues et "pittoresques", comme pour les talk-shows. Cette méthode pourrait être intéressante si le téléspectateur était incité à prendre des précautions élémentaires, comme ne pas se ruiner en voyants, ou ne pas passer tout son temps libre à faire de l'écriture automatique dans un contexte morbide. La dénonciation de certains charlatans est une œuvre salutaire (cela a été assez bien fait d'ailleurs dans une émission de "Sans aucun doute"), mais ce n'était pas le but ici. La technique employée aboutissait plutôt à amalgamer tous ces cas peu crédibles à l'ensemble des phénomènes paranormaux, y compris ceux ayant été étudiés par la parapsychologie, amalgame couramment pratiqué par des sceptiques comme les zététiciens par exemple.

L'objectif déclaré des journalistes était d'enquêter pour trouver des "cas fiables". On est en droit de s'étonner par conséquent que dans toute cette série d'émissions, une seule expérimentation scientifique ait été présentée (celle de Bierman), parmi une multitude de cas non vérifiés. On a envoyé des "journalistes cobayes" chez des voyants, ce qui bien évidemment a donné des résultats mitigés et a conduit à l'impossibilité de conclure, par contre on n'a pas dit un mot des études scientifiques sur des voyants (Laplantine, Osty, etc.) ou des résultats de tous les travaux de parapsychologie sur la clairvoyance.

On a encore une fois privilégié le spectaculaire à l'information sérieuse, sous prétexte des "difficultés de compréhension" du public pour les travaux scientifiques.

6/ Les journalistes de l'émission veulent se poser en arbitres, dans une intention présomptueuse d'une part, de discriminer ce qui est sérieux ou ne l'est pas, d'autre part de "tester" eux-mêmes les voyants et autres praticiens du paranormal. Or, je rappelle que seuls les scientifiques de la parapsychologie peuvent effectuer de telles études et expériences dans des conditions fiables (de laboratoire). Les résultats scientifiques de la parapsychologie, établis avec les protocoles les plus rigoureux, sont déjà acceptés difficilement, alors a fortiori on ne voit pas comment des séquences télévisuelles, tournées dans un contexte non contrôlé, pourrait apporter une preuve quelconque. Le résultat est toujours que chacun reste sur ses positions.

 

Deux exemples :

Un reportage assez impressionnant montre Maud Kristen réussir une voyance sur le Cirque Médrano. Les "croyants" en concluent "Maud Kristen est une très bonne voyante", alors que les sceptiques déduisent : "Maud a employé des compères, ou des micros cachés etc". En aucun cas un reportage dans des conditions non contrôlées ne pourrait être une preuve de quoi que ce soit : les journalistes auraient pu tout bidonner, le montage a pu faire disparaître tous les indices verbaux qui auraient pu être donnés volontairement ou non, des "fuites" d'informations dans la préparation du reportage auraient pu se faire, etc etc.

Autre exemple : on cite une expérience de Dick Biermann sur la précognition inconsciente d'images violentes. Les journalistes ont été soumettre les résultats de ce scientifique à un "professeur de psychologie expérimentale" pour expertise. Depuis quand les journalistes sont-ils les censeurs, les garants des expériences scientifiques ? Biermann participe à de nombreux congrès scientifiques où ses pairs ont tout le loisir de lui soumettre des critiques de protocole etc., il publie ses expériences dans des revues scientifiques, les biais statistiques possibles sont régulièrement discutés. L'institution scientifique peut se passer en général de la vérification des expériences par des journalistes de M6 !

7/ Il y a eu à plusieurs reprises des commentaires de reportages donnant des conclusions en totale contradiction avec ce qui venait d'être vu. Pour l'expérience de télépathie de Bernard Auriol entre des jumelles, la conclusion du journaliste était : "Cette fois, ça n'a pas marché, mais les jumelles restent persuadées …". Or le résultat, analysé par Yves Lignon, se révèle être significatif statistiquement. Autre reportage où l'on soumet des cobayes, d'une part à un voyant, d'autre part à une psychologue. Ils disent que le deuxième voyant réagissait plus en psychologue qu'en voyant. Conclusion du journaliste : les psychologues font aussi bien que les voyants.

Curieuse approche didactique, où l'on apprend au public à tirer les conclusions inverses à celles suggérées par le bon sens, au lieu de développer l'esprit critique !

8/ Le montage, totalement orienté, a conservé de longues péroraisons des scientifiques de plateau, alors que, je le rappelle, ils n'ont pas de connaissances sur le sujet, comme par exemple Mr Charpak qui considère sans doute que son prix Nobel l'autorise à prendre position sur n'importe quel problème de société, et qui a écrit dernièrement un ouvrage avec le zététicien Henri Broch. Par contre, dans l'émission "Best of", on n'a laissé qu'une demi-phrase d'un sociologue comme Bertrand Méheust, qui a quand même consacré une thèse et de nombreux ouvrages à la sociologie du paranormal. Ce même Bertrand Méheust, qu'on ne peut taxer d'être un "croyant", avait présenté dans une autre émission son article sur les prémonitions du naufrage du Titanic, intervention qui avait là aussi été largement amputée, pour laisser la place à une personne probablement sceptique (qui d'ailleurs disait la même chose que ce qui était dans la fin de l'article de Méheust). On appréciera la délicatesse du procédé.

Par contre, le "dérapage" de Mr Abgrall n'a, lui, pas été coupé, et on a beau jeu ensuite de prétendre que ses propos n'engagent que lui et pas la direction de l'émission, quand on reçoit des protestations de téléspectateurs.

Pour l'expérience de Biermann présentée, on a laissé un critique expliquer longuement qu'il y avait un biais dans le protocole, sans donner la parole à Bierman pour pouvoir répondre. Cette présentation suffisait à discréditer l'expérience au yeux du public.

Malgré les protestations d'un participant de l'émission, outré parce qu'on n'avait gardé des nombreuses heures de tournage de son interview que quelques phrases non significatives et hors contexte, dans le désordre, les responsables de l'émission ont persisté dans leur style de présentation tendancieuse.

9/ Les explications simplistes et réductionnistes des "scientifiques de plateau" se réduisaient globalement à :

Quand le hasard ne pouvait plus vraisemblablement être invoqué, on soupçonnait le praticien de fraude (ex Maud Kristen). Avec des formules parfois surprenantes : "Je ne mets pas en doute votre bonne foi, mais j'aurais voulu un témoin à moi" (??)

On a pu également remarquer le manque complet d'empressement de Mr Charpak à accepter la proposition de Maud Kristen de refaire une expérience avec son propre protocole, ce qui ne témoigne pas d'une grande ouverture d'esprit ni d'une volonté sérieuse d'élucider le problème. A la télévision, les sceptiques se contentent la plupart du temps d'allusions vagues à la fraude et à l'illusion pour discréditer le reportage, souvent sur un ton très ironique.

 

Les points positifs

1/ Certaines séquences étaient intéressantes et impressionnantes :

2/ Certains sujets, bien que déjà très rebattus, étaient sérieusement exposés, avec des témoins crédibles (par exemple la séquence sur les NDE).

3/ Bien qu'il y ait eu dans ces émissions beaucoup de "candides", c'est-à-dire de personnes ne connaissant pas le paranormal, il semble que les journalistes aient cherché à se documenter. La recherche de témoins et d'intervenants a été relativement approfondie : c'est ainsi que l'on a quand même vu l'Institut Métapsychique, et des personnalités comme Mario Varvoglis, Bertrand Méheust, Bernard Auriol, Philippe Wallon etc.

4/ Je ne crois pas personnellement que l'approche "sceptique" de ces émissions était délibérée et choisie au départ. Comme cela se passe souvent, les journalistes n'ayant pas grande culture dans le domaine, ont essayé de contacter des personnalités et de se documenter, et il se peut qu'ils soient tombés dans le réseau "sceptique". Impressionné par le scientisme et le réductionniste simplificateur de certains individus, ils ont dû peu à peu leur laisser monopoliser le discours.

5/ Les interventions qui m'ont personnellement le plus intéressée étaient celles du "mentaliste". La manipulation mentale est effectivement un sujet passionnant et très peu étudié à l'heure actuelle (sauf dans le cadre des emprises sectaires). Seulement, on peut regretter que l'optique prise ait été celles des "trucs" de magiciens que l'on ne révèle pas, plutôt que de donner des constatations psychologiques scientifiques. Je m'étonne d'ailleurs de savoir dans quels cadre de tels "praticiens" peuvent travailler.

 

L'intérêt de telles émissions

D'après les journalistes de l'émission, l'audience aurait été de plusieurs millions de téléspectateurs. Deux heures en prime time, c'est une occasion assez rare pour une émission "d'information". Mais quel est l'intérêt réel de ce genre d'émission au niveau social ? S'il s'agit de montrer des voyants ou des gens qui ont eu des rêves prémonitoires, c'est assez peu informatif car pratiquement tout le monde connaît cela dans son entourage. S'il s'agit de démontrer que les phénomènes paranormaux n'existent pas, alors c'est assez peu convaincant, puisque d'une part on a quand même montré des cas "troublants" (Maud Kristen, la dame qui gagne au loto, etc), d'autre part l'argumentation des "scientifiques de plateau" étant très pauvre, il aurait mieux valu faire venir directement les représentants de l'AFIS ou du cercle zététique pour présenter des dossiers étayés. S'il s'agissait de faire du spectacle en faisant s'affronter les plus allumés des praticiens avec les rationalistes purs et durs, alors Dechavanne a déjà fait mieux (dans le grotesque).

Je pense que l'objectif de cette émission était au départ de montrer le "pour" et le "contre", et qu'en cela elle est un échec, car elle n'a bien montré ni le pour ni le contre. Les croyants sont restés croyants et les sceptiques sont restés sceptiques, chacun ayant été conforté dans ses positions. L'intérêt est donc purement anecdotique.

Pourtant il est possible de faire de bons documentaires, comme l'émission d'Eric Bony et de Michel Arowns qui a été rediffusée récemment sur Arte. Mais il vaut mieux éviter les débats qui sont trop passionnés, surtout qu'on oppose toujours les extrêmes : sceptiques particulièrement bornés et croyants au paranormal dépourvus de discernement.

 

 

 

Participer ou ne pas participer ?

Cette question est très épineuse et il est très difficile de choisir quand on est témoin ou acteur du paranormal, si l'on doit participer ou non à ce type d'émission. Participer, c'est prendre le risque personnel d'être ridiculisé devant des millions de téléspectateurs, c'est aussi affronter la déception de voir qu'au montage on n'a gardé que vos propos les plus insignifiants sans faire passer l'essentiel et sans vous demander votre avis. C'est laisser la possibilité à une chaîne de TV d'induire le public en erreur à partir de votre interview (phrases hors contextes ou tronquées, etc), ce qui est quand même une responsabilité.

Refuser de participer, c'est d'un autre côté laisser le champ libre aux charlatans de tout poil et aux témoins naïfs, ce qui contribuera à empirer encore l'image du paranormal pour le grand public et à rabaisser encore le niveau.

En espérant que bientôt pourra se mettre en place une sorte de comité d'éthique qui pourrait "épingler" les abus en termes d'information scientifique, nous devons, pour chacun de nous, trouver notre propre réponse.

 

Pascale Catala.

 

 

A propos des débats télévisuels sur le paranormal, nous vous conseillons l'ouvrage de Marianne Doury : "Le débat immobile", Kimé.