par Francis Danest,
Que l'on soit psychanalyste de plus
ou moins orthodoxe obédience, anti-psychiatre, psychiatre farouchement
organiciste, psychomachin ou psycho-quelque-chose, il est un nom à qui
l'on fait souvent appel tout au moins en France, celui de JANET. Pour libéré
et adulte que l'on soit, les références parentales n'en sont pas
moins utiles. Mais il est un autre nom passé, lui, systématiquement
sous silence, ou presque, celui d'ALEXANDRE BERTRAND. Or, tout oubli, comme
chacun sait, invite à une réflexion toute particulière.
D'autant plus que le même JANET ne cacha jamais l'estime qu'il portait
à BERTRAND ; il voyait en lui, ainsi que le rapporte ELLENBERGER , le
véritable initiateur de l'Etude Scientifique de l'Hypnose.
A peu près à l'époque où PUYSEGUR avec rigueur essayait
de faire sortir l'hypnotisme des bourbiers mesmériens, pour lui donner
une forme acceptable, ALEXANDRE BERTRAND, qui pouvait se prévaloir d'une
double formation de médecin et d'ingénieur, s'astreignit à
cerner les problèmes du " magnétisme animal " de manière
expérimentale et rationnelle.
Il fait paraître son " Traité du Somnambulisme " en 1823
et mit dès ce moment en évidence une notion qui devait être
reprise intégralement, sans prise de conscience de sa part, semble-t-il,
par le groupe de l'antipsychiatrie. Il est intéressant de noter au passage
les forces assez maniaques de l'esprit créateur.
Ainsi que le rapporte J. EISENBUD , BERTRAND commanda oralement à un
sujet en transe de faire une chose, en voulant, en fait, qu'il fasse systématiquement
le contraire. Le sujet, alors, dans l'impossibilité totale de résoudre
ce conflit, présenta immédiatement les signes d'une agitation
croissante et désordonnée qui n'alla trouver son apaisement, si
ce n'est sa résolution, que lorsque l'auteur (BERTRAND) accorda enfin
son vouloir et sa commande verbale. Il s'agit bien précisément
du phénomène de double interdit que LAING et son école
ont placé de façon privilégiée à la source
de toute névrose et de toute psychose, généralement à
un moment donné de l'enfance psychologique du sujet. Toute l'antipsychiatrie,
avec le succès que l'on sait, a remarquablement développé
la phénoménologie de ce thème et les conséquences
de ce fait, non sans l'organiser en un système cohérent et envahissant.
Sans dire que l'antipsychiatrie est fille aînée de l'hypnose -
ce qui ferait hurler bien des gens pris dans le même sac -, il faut pourtant
noter de façon rigoureuse la précision de cette analogie, pour
ne pas dire plus.
Il ne s'agit pas là de théorie, mais d'un fait d'expérience.
D'autre part, si l'on trouve cet ALEXANDRE BERTRAND médecin et ingénieur
un peu lointain, n'oublions pas que, ainsi que nous l'avons dit, JANET (dans
ses expériences avec LEONIE en particulier) a repris sur un mode très
critique, les mêmes expériences, pour en arriver aux mêmes
conclusions. Il n'est pas le seul. Etrange, qu'à partir de ce scientifique
méconnu, on retrouve en filiation directe la famille divisée et
meurtrie des psychiatres et antipsychiatres les plus orthodoxes, sans parler
des psychanalystes (FREUD, JUNG se réfèrent peu ou prou à
JANET) qui, pas plus que leurs petits cousins, ne supportent les situations
compromettantes. Il est donc bien compréhensible que cet aïeul gênant
ait à peu près disparu de leur champ de conscience.
Or, quiconque expérimente de manière honnête et sérieuse
le champ télépathique retrouve exactement cette question. Ceci
nous fait poser ipso facto cette fonction aux racines de la pathologie, sans
pour le moins du monde la taxer d'anomalie ou de symptôme, à moins
de faire preuve d'une belle résistance, derrière le rempart de
la confusion : celle du fait, et du mode d'emploi. Et cette résistance-là
en dit long sur celui qui ne la manie pas. Il arrive alors, ce qu'a bien noté
LAING, que l'individu même normal, placé dans une situation qui
la menace, sans lui laisser la moindre perspective d'ouverture, bâtisse
un édifice schizoïde, dans un état d'apparente impassibilité,
voire de détachement, vis-à-vis de son corps et de tout ce qui
peut y naître. Il bloque ainsi toute prise de conscience laissant partir
sur des chemins divergents une raison folle avec, pour seul viatique, un sentiment
purement autistique. Il y aura alors ce que MINKOWSKI a appelé simplement
une " perte de contact vital avec le monde ". Et toute forme d'expression
énergétique se trouve court-circuitée.
Cette situation étant à l'opposé d'une érotique
libre, une nouvelle symptomatologie va naître, que l'on voit d'ordinaire
sous un angle uniquement négatif ; ou plaire à certains indices,
en ce point précis, que " l'énergie physique et l'énergie
psychique pourraient bien être deux aspects d'une seule et même
chose. Le monde de la matière apparaissant comme une sorte de reflet
du monde de l'esprit et inversement. "
JUNG a donné à ce genre de communications le nom de " Phénomène
de synchronicité ", véritable plaque tournante de la parapsychologie
pour qui sait observer le décours naturel d'un tel langage : " le
lien entre les deux événements intérieur et extérieur
ne paraît pas être un lien de cause à effet, mais apparaît
comme une sorte de simultanéité et une analogie de sens pour l'individu
qui en fait l'expérience ". Il faut là se reporter aux travaux
similaires de JUNG et de ce physicien remarquable que fut PAULI .
Nous voudrions illustrer ces notions par une observation inédite, dont
nous discuterons plus tard certains éléments.
EMILIE, âgée d'une cinquantaine d'année, est venue nous
trouver dans un état assez lamentable après plusieurs psychothérapies
et traitements en tous genres.
Elle vit depuis plusieurs années confinée chez elle par des phobies
aussi diverses que totalement paralysantes. Celles-ci l'ont coupée complètement
du monde extérieur : impossibilité de travailler, de sortir sans
une " nounou " protectrice. Même le chien qu'elle avait choisi
comme substitut, ne remplissait plus ce rôle. Impossibilité de
lire, d'écouter, de goûter quoi que ce soit ; une fuite éperdue
devant toute relation humaine, fût-elle la plus gratifiante.
Née d'une famille de plusieurs enfants, loin de polariser sur elle une
attention de petite dernière, il lui a semblé vivre un long abandon.
Le père disparaît très tôt d'une façon dramatique
et mystérieuse. La mère ne tardera pas à en faire autant
d'une maladie incurable. Emilie vira cette mort comme une exécution capitale
par l'intermédiaire de ses soins, abreuvée de griefs et de sarcasmes.
A travers divers indices trop longs à rapporter ici, il devient évident,
à cette écoute, que nous avons affaire à un remarquable
sujet PSI. Emilie, dès l'âge de quatre ans, prend conscience qu'elle
" sait " sans savoir : on la punit régulièrement pour
ce mode incongru de connaissance. On retrouve ici tous ces petits signes rapportés
par ailleurs par le Docteur Nicole GIBRAT . Vraisemblablement, sans remonter
jusqu'à des ancêtres bretons lointains, la mère a remarquablement
conditionné sa fille, selon le mode du " double interdit "
dont, nous l'avons vu plus haut, les antipsychiatres n'ont pas le monopole.
Le jour précis de ses six ans, Emilie assise sous un arbre, sur la pelouse
d'un parc public, en regardant l'eau d'un lac qui dormait sous ses yeux a "
vu " sa mère dans les bras d'un homme qui n'était pas son
père légal. Il semble en fait qu'il ait été le père
réel, histoire classique du " parrain " meilleur ami de la
famille. C'est là certainement un mode plus fréquent qu'on ne
le pense généralement, de confrontation avec la scène primitive.
Le regard fixé sur le clapotement de l'eau au soleil a, sans doute, provoqué
une modification de l'état de conscience que les sujets PSI connaissent
bien.
Arrive le goûter où, pour un prétexte futile, on la prive
d'une friandise dont elle avait envie. Avec tout ce qu'il est convenu d'appeler
" l'innocence " de son âge, mot bien mal choisi s'il en est,
elle raconte devant une vingtaine d'invités - anniversaire oblige - la
" vision " si précise. Inutile d'aller chercher si loin un
Œdipe travesti ou renversé en mal de représentation, d'autant
plus que la crudité et la véracité du " flash "
est telle que le père adoptif va disparaître deux semaines après,
dans les brouillards nordiques d'une expédition aventureuse, ainsi d'ailleurs
curieusement que le père " réel " devenu encombrant
; la mère, perdue dans une telle rivalité, ne saura plus que faire
de son agressivité.
C'est par Emilie que le scandale est arrivé dans ce milieu bien-pensant.
La déclaration de guerre, pour feutrée qu'elle soit, n'en est
pas moins totale.
Mais la mère ne s'enfermera pas dans les horizons chimériques
du grand Nord comme les deux hommes. Elle restera ligotée sur place,
connaissant quelques mois plus tard les affres d'un cancer utérin ne
laissant à sa dernière héritière que " ses
yeux pour pleurer ".
Voilà donc Emilie interdite de toute fonction télépathique,
chargée de toute la culpabilité de la disparition du trio classique,
recueillie, malgré la fratrie, par une tante aigrie et vieille fille,
secrètement amoureuse des deux hommes. Pour faire bonne mesure, elle
leur prête assez finement une " liaison contre nature ", à
elle-même doublement interdite, et à chaque occasion, rappelle
à sa nièce qu'elle est l'auteur de cette triple disparition, qu'elle
ne devrait pas avoir le " droit de respirer ", ne pouvant même
plus lui interdire une fonction PSI qu'elle-même ne supporte pas davantage.
Dès lors, tout est décidé. Nous retrouvons Emilie à
cinquante ans, mariée à un vague cousin, murée dans une
autre relation familiale, avec sa culpabilité, sa fonction " PSI
" irrespirable, sans enfant, hors du monde, véritable statue, sans
autre expression que chaotique, ne trouvant bien entendu " aucun sens à
tout cela ". A plus forte raison sans pouvoirs, car n'ayant plus à
sa disposition le moindre " signifiant " à manier, donc pas
la moindre langue autre qu'analogiquement irrationnelle, doublement interdite
par la vivante et la morte.
Il n'était pas alors besoin ni de Sodome ni de Gomorrhe pour habiter
une statue de sel. Rappelons qu'on ne lui a d'ailleurs autorisé que ses
" yeux pour pleurer ". Emilie avant de s'enfermer n'a eu que le temps
de se faire titulariser à l'E.D.F. dans un emploi de secrétaire
où lui passent entre les mains, pendant qu'elle peut encore y travailler,
à longueur de journée, des réclamations pour " déphasages
ou sautes de tension " (sic).
Emilie, ayant totalement introjecté ces interdits en tous genres, en
arrive à un épisode pré-mélancolique avec une conclusion
suicidaire logique qu'elle ne formule pas, mais qu'elle médite, et que
l'on " reçoit " fort bien.
La psychothérapie est au point mort, elle aussi. Quelques jours avant
Noël, Emilie propose à son psychothérapeute un lot de lampes
dont ses anciennes collègues lui ont fait cadeau : " cela peut peut-être
vous servir ". De façon apparemment maladroite, l'interlocuteur,
comme gêné par cette demande de plus de lumière, autrement
dit, d'une illumination, fait état du fonctionnement " suffisant
" de l'installation, alors qu'il s'agit d'une véritable naissance
de langage qui risque de le détrôner, par prise du pouvoir.
Alors, au pied même du divan, deux lampes sautent, et quelques secondes
plus tard, un court-circuit prend naissance dans le radiateur électrique
pratiquement neuf. Les fusibles du courant-force sautent ainsi que le disjoncteur,
ce qui achève de plonger le bureau et tout l'appartement dans l'obscurité
et le froid.
L'éclat de l'éclair, et surtout la détérioration
particulièrement violente, réveillent un peu la perception du
psychothérapeute. On sait en effet à quel point les phénomènes
parapsychologiques, comme s'ils ne parvenaient pas à se faire entendre
dans l'état actuel des choses, sont spectaculaires et souvent bruyants.
Il s'agit, bien entendu, d'une véritable " prise de sens ".
Dès ce jour Emilie retrouve un langage et renoue avec l'extérieur,
ayant retrouvé la possibilité de refuser un abandon constant aux
instances surmoïques introjectées dominantes. La cassure du suicide
s'éloigne d'un mouvement parallèle.
Si l'on reprend le déroulement biographique d'un point de vue parapsychologique,
on s'aperçoit que la télépathie doublée d'interdit
amène à l'effet PK comme une cristallisation, par une densification
subite d'énergie en un instant, à visée intentionnelle.
On sait en effet, qu'en télépathie, une fois l'envoi fait, il
persiste. Il ne suffit donc pas que, plus tard, les instances parentales aient
changé, pour que la névrose ne se développe pas. Le conditionnement
névrotique se poursuit par simple persistance de l'envoi, ce qui explique
sans doute pourquoi, de deux sujets placés dans un environnement identique,
l'un va devenir psychotique ou névrotique, l'autre pas, dans leur déroulement
biographique.
Il y a de fortes chances pour que l'un soit un sujet PSI particulièrement
sensible, l'autre pas ou peu.
Ceci permet peut-être de résoudre ce point très irritant
que l'on rencontre dans toute démonstration clinique sur l'apparition
d'une névrose ou non dans une même famille ou un même groupe
d'individus, selon les sujets. C'est à notre sens une hypothèse
de travail essentielle.
De nombreuses études, diverses élucidations seraient nécessaires,
même au niveau des protocoles épistémologiques, pour savoir
exactement dans quelle mesure cette hypothèse est valable. Elle fonctionne
cependant fort bien ce qui, d'un point de vue doublement dynamique et pragmatique
- si ce n'est académique - est essentiel. Rien n'empêche de la
poser, à moins d'un aveuglement spécifique. Cette hypothèse
permet, nous l'avons vu, d'envisager sous un angle différent l'entretien
du conditionnement névrotique, et sans doute sa création. Elle
répond aux difficultés que l'on rencontre à dénouer
ces états dans la pratique, et à rendre au sujet sa disponibilité.
Elle permet encore de mieux éclairer l'action thérapeutique, qui
n'est pas seulement du dialogue. Car il existe au niveau PSI, dans la relation
entre inconscients une ouverture, comme une fermeture, suivant les mêmes
modalités.
Lorsqu'une phénoménologie précise de la télépathie
existera, il deviendra sans doute possible de modifier l'impact thérapeutique,
comme cela se passe déjà, et depuis toujours, même si le
" couple " patient-thérapeute l'ignore. On se heurte là,
il est vrai, au problème de la résistance névrotique globale
ou différenciée à la parapsychologie, avec toutes les subtilités
propres à ce mécanicisme.
François FAVRE l'a fort bien décrit sur un mode historique, autant
qu'actuel lorsqu'il dit : " Il va de soi que la conception topique d'un
inconscient personnel fermé à toute communication directe avec
un autre inconscient s'écroule irrévocablement et qu'il faut bien
admettre avec JUNG la notion d'inconscient collectif. (Mais dans cette relation
d'inconscient à inconscient), les phénomènes PSI peuvent
être considérées, du point de vue du sujet, comme la résultante
affective de stimuli antagonistes passés (conscients, objectifs, réels)
et futurs (subjectifs, inconscients, imaginaires).
C'est à quoi tend la théorie de la synchronicité. "
Pour en revenir à notre observation, il est intéressant de noter
cette progression dans le temps, d'un blocage télépathique qui
trouve sa résolution dans un phénomène PK, en un véritable
" orage instantané ". Ceci pour l'observateur non averti, car
il ne faut pas oublier, dans la critique du phénomène, qu'au niveau
PSI précisément, celui de l'inconscient, le temps n'existe pas
au sens que nous lui donnons dans sa linéarité de causalité
univoque passé, présent, futur.
Il est licite d'objecter que, si le thérapeute avait plus facilement
reçu les données en cause, le phénomène PK ne se
serait pas produit et que par conséquent, il ne se trouve là qu'incidemment,
à titre d'artéfact ou d'accident de parcours, qu'il n'aurait pas
eu loisir d'apparaître face à un sujet plus développé
sur le plan PSI.
Dans le cas opposé, tout laisse à supposer qu'il faut en arriver
à ces éclats, véritables étincelles de rupture,
pour que le sujet retrouve la libre faculté de son discours. On sait
aussi toute l'importance à l'échelle atomistique, de ces faits
de ruptures, de " sautes ". La douceur lénifiante n'est pas
forcément dans les mœurs de l'évolution, sans parler de progression.
Peut-être qu'un autre aménagement de la situation permettrait au
sujet de retrouver un discours mais pas forcément sur le territoire qui
est le sien. Nous réservons pour un autre article, l'histoire d'un homme
qui, quoique non " bloqué ", dut jouer littéralement
avec la foudre, au cours d'un orage de montagne, pendant plus d'une heure, comme
un chat avec la souris, avant de retrouver une expression propre.
Ce n'est pas une justification pour quelque maladresse technique, mais cela
se passe sur un autre plan. On n'échappe pas au champ PSI selon toute
éventualité, et il ne me semble pas que l'élargissement
du sens suffise, selon toute probabilité, à écarter l'existence
de cet ensemble de phénomènes. Il s'agit d'une condition nécessaire
pour rendre au sujet de sa disponibilité et c'est précisément
à ce niveau que toute tentation de mêler la pathologie à
un tel champ risque ne fait d'en bloquer définitivement l'expression,
c'est-à-dire de le renvoyer à un univers potentiel. Cela ne supprime
donc en rien le jeu dialectique en cause.
Faute d'une " prise de sens " avec ses moyens propres, le sujet risque
tout simplement d'échapper aux termes de son aventure. A s'enfermer dans
des jeux de miroir existentiels, on condamne l'autre à un déni
formel.