par François Favre,
François Favre, Eléments
sur la genèse subjective des apparitions, Parapsychologie n°6, juillet
1978.
Depuis plus d'un siècle, la parapsychologie a accumulé les observations
et les études expérimentales sur ce qu'on dénomme communément
les fantômes. Ceux-ci peuvent être définis comme des hallucinations
collectives temporairement matérialisées. Cette formulation ambiguë
laisse d'abord entendre que leur degré d'objectivité varie selon
les témoins, bien que leur matérialité soit enregistrable.
Elle souligne également le fait que leurs aspects subjectifs différent
d'un agent à l'autre, mais qu'ils sont toujours réductibles à
un même archétype. Leur caractère temporaire, enfin, les
distingue des psychocinèses à but figuratif effectuée directement
sur un matériau solide.[1]
Le terme d'apparition, tout du moins en français, présente un
sens à la fois plus large que celui de fantôme (qui caractérise
plus volontiers les seules apparitions d'êtres vivants) et plus restreint
(l'apparition n'intéressant que la vue). Il suppose également
une manifestation physique imprévue qui peut ne posséder aucune
intentionnalité propre. Ainsi se présentent certains phénomènes
purement matériels, comme les mirages (visuels ou sonores), les chutes
de météores, les passages de ballons-sondes ou de satellites artificiels,
les spectres de Brocken (ombres portées sur les nuages, lorsque le soleil
est à l'horizon) ou encore les halos solaires (qui peuvent être
multiples et provoquer ainsi des images de croix ou de glaive célestes)[2].
La distinction entre de tels phénomènes et les apparitions spécifiquement
psi n'est pas toujours évidente. Ces dernières peuvent en effet
imiter par PK des manifestations physiques plus ou moins bien connues, mais
surtout étranges et rares (comme les aurores polaires, les " roues
marines "[3]) qui avaient pu de ce fait frapper certaines imaginations.
Dans d'autres circonstances, l'apparition psi peut se caractériser par
un PK " en retour " sur l'un de ces phénomènes physiques
rares ou étranges, qui se serait initialement produit de façon
naturelle (par exemple, une foudre globulaire[4] au cours d'un orage) en présence
de témoin : le PK se produit alors en réaction au choc émotionnel
consécutif à cet événement brutal (d'où une
boule lumineuse apparemment " pilotée ").
Dans l'un ou l'autre processus, on retrouve, à la source de cette action
imaginaire qu'est la psychocinèse, un facteur subjectif (désir,
regret, etc.), spécifique et déterminant. On ne s'étonnera
don pas que les apparitions psi puissent reproduire, de façon plus ou
moins plausible, des êtres vivants, des objets techniques (avions[5],
maisons[6], vêtements) et même en inventer de parfaitement originaux.
Les apparitions psi reproduisent parfois des évènements anciens
et complexes, souvent célèbres (telles certaines batailles entre
deux armées[7]). Les connaissances actuelles de physique interdisent
de supposer que des images visuelles ou sonores d'évènements humains
passés puissent se conserver naturellement et être reproduites
ad integrum. Les vibrations sonores s'étouffent si vite qu'elles cessent
en quelques secondes d'exister dans leur spécificité physique.
Quand aux ondes lumineuses, l'atmosphère et les nuages les déforment
irrémédiablement. C'est pourquoi toutes les spéculations
sur une " mémoire " (visuelle ou auditive) de la matière
brute sont à rejeter formellement.
De telles suppositions traduisent d'ailleurs une totale méconnaissance
de la nature du psi. L'image paranormale, d'abord, est une projection imaginaire
et donc à ce titre, l'inverse d'une sensation ; ensuite, ce n'est pas
une information objective, un signifiant qui se transmet dans une communication
psi, mais une intention[8], un signifié (subjectif et donc indépendant
par nature du temps et de l'espace physiques[9]). Aussi bien trouve-t-on également
des cas de visions apparemment prémonitoires d'un évènement
réel. En fait, toutes ces représentations (d'origine inconsciente)
ont un caractère symbolique[10] : on observa ainsi, durant la christianisation
de la Germanie, des combats aériens où les hordes païennes
menées par Wotan se faisaient écraser par les armées du
Christ.
Un autre type d'apparition psi consiste à imiter une production imaginaire,
qu'il s'agisse de machines inventées par un romancier de science-fiction,
des personnages mythiques d'un film ou de figurations religieuses conçues
par des peintres[11]. Parfois au contraire, les apparitions psi en constituent
les formes prémonitoires[12]. Cette dualité originelle entraîne
le plus souvent un processus cybernétique (appelé par l'auteur
" circuit psi " ouvert) : la simple aura de mystiques en extase, par
exemple, sera reproduite de façon fantaisiste par des peintres maniéristes
ou confusément systématisée par des occultistes qui influenceront
à leur tour des médiums, ceux-ci produisant et observant finalement
des auras de couleurs ou de formes culturellement conditionnées.
Enfin le dernier type, le plus complexe mais le plus instructif, est l'apparition
psi qui en imite une autre ; ainsi s'élaborent des hantises[13], à
une échelle locale (telle l'apparition - depuis plusieurs siècles,
dans le lieu où il a vécu - d'un personnage célèbre,
assassiné de préférence), régional (du style le
loup-garou) ou même planétaire (comme les vagues de soucoupes volantes[14]
contemporaines, prémonitoires à l'envie d'une révolution
technico-religieuse de l'humanité).
On comprend alors clairement, au vu de ces différents processus, l'ambigüité
génétique fondamentale des apparitions psi. Aussi, plutôt
que de s'interroger vainement sur la précession de l'œuf ou de la poule,
certains parapsychologues - comme ceux du G.E.R.P., en France - s'efforcent-ils,
pour les apparitions comme pour le reste du paranormal, de raisonner en termes
de relations acausales. Le psi, qu'il concerne un évènement isolé
ou un ensemble phénoménal, un individu ou un groupe, est une coïncidence
significative et cela seulement[15].
Les groupes idéologiques (spirites ou catholiques, partisans des extraterrestres,
ou de la terre creuse) qui s'intéressent aux apparitions psi et en produisent
peu ou prou à l'image de leurs désirs se caractérisent
unanimement par le refus d'un tel mode de raisonnement. Chacun se polarise sur
son apparition : le chercheur spirite espère des preuves de la réincarnation,
l'ufologue spécule sur la propulsion des OVNI et le prêtre naïf
médite la portée spirituelle des messages de la Vierge. Tous oublient
qu'une croyance n'est jamais prouvée et toujours prouvable. L'approche
psychanalytique de certains cas a nettement montré qu'en supprimant le
conflit existentiel du (ou des) protagoniste de l'apparition, celle-ci disparaît
; qu'on entretienne au contraire ce conflit et l'apparition devient répétitive[16].
On relève donc dans tous ces groupes une incapacité manifeste
à s'assumer moralement ; elle se traduit chez certains scientifiques
(dont, hélas, des parapsychologues notoires) par une totale occultation
des problèmes épistémologiques du sujet et renvoie, dans
notre civilisation matérialiste, à la désolante prostitution
de cette énigmatique divinité du logis qu'est l'imagination[17].
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[1] Ainsi, tout récemment, un physicien londonien, J.B. Hasted, a obtenu
d'un médium la production de représentations figuratives, grâce
à la torsion par PK de fil de fer enfermé dans un tube de verre
(Communication aux journées de parapsychologie de Bruxelles, 1 et 2 octobre
1977) ; l'impression à distance par action psychique directe, d'images
mentales sur une pellicule photographique - même protégée
par un écran en plomb en constitue un autre exemple. Voir : OCHOROWICZ,
J., six articles sur les psychophotographies, Annales des Sciences Psychiques
(1909 à 1912). EISENBUD, J. (1967). The World of Ted Serios. New York
: William Morrow and Co.
[2] MEZENTSEV, V. (1970). Phénomènes étranges dans l'Atmosphère
et sur la Terre. Moscou : Mir.
[3] FORT, C. (1967). Le Livre des Damnés. Paris : Eric Losfeld.
[4] MAURAIN, C. (1948). La Foudre. Paris : Armand Colin. VEBEL, A.J. (1971).
La Foudre globulaire, illusion d'optique ? La Recherche, 12, 468-469.
[5] KEEL, J. (1971). Mystery Aeroplanes of the 1930s. Part IV. Flying Saucer
Review, 5, 20-28.
[6] MOBERLY, C.A.E., & JOURDAIN, E.F. (1959). Les Fantômes du Trianon.
Monaco : Editions du Rocher.
[7] VESME, C. de. Visions grandioses de Croix, d'Armées et de Combats
dans les Airs. Revue Métapsychique (1938), 6 : 339-359 et (1939) 1 :
54-64, 2 : 104-123 ; 3 : 194-207.
[8] Un tel fait n'empêche pas certains chercheurs contemporains de soutenir
avec vigueur des modèles théoriques du genre " onde de forme
".
[9] FAVRE, F. (1975-1976). Les enfants du Lac de Constance. Parapsychologie
1 : 14-27, et 2 : 11-32.
[10] JUNG, C.G. (1961). Un mythe moderne. Paris : Payot. VALLEE, J. (1972).
Chronique des Apparitions extra-terrestres. Paris : Denoël.
[11] René LAURENTIN a ainsi souligné la ressemblance de l'apparition
mariale de Pontmain avec les représentations des icônes byzantines,
dans son ouvrage, Pontmain, histoire authentique. Paris : Lethielleux, 1970.
[12] Ce fut le cas du poète anglais William Blake, qui peignit abondamment
les diverses apparitions qui lui advinrent.
[13] FAVRE, F. (1976). Maggonia. Imagine 3, 62-68.
[14] Appelés aussi Mystérieux Objets Célestes (MOC) ou
encore Objets Volants Non Identifiés (OVNI ; en anglais UFO).
[15] L'exemple précité de la coïncidence de Pontamin doit
donc être alors envisagé comme l'expression complémentaire
d'un même archétype et non plus comme une relation de cause à
effet. Sur les positions philosophiques du G.E.R.P., voir JANIN, P. (1977).
Psychisme et hasard. Parapsychologie 4, 5-20.
[16] Le conflit peut se réduire à la tentative, par un parapsychologue,
de reproduire expérimentalement telle ou telle apparition. C'est ainsi
qu'il faut comprendre l'aventure de Pierre VIEROUDY, qui parvint à "
créer " une mini-vague d'UFO. Voir son livre : Ces OVNI qui annoncent
le Surhomme. Paris : Tchou, 1977.
[17] DURAND, G. (1969). Les Structures anthropologiques de l'Imaginaire. Paris
: Bordas. PERET, B. (1965). Le déshonneur des Poètes. Paris :
Pauvert.