VAGUES D'OVNIS ET PSI COLLECTIF

 

par Pierre Viéroudy,

Revue de Parapsychologie n°6, 1978

I. Introduction

L'hypothèse la moins étudiée pour tenter d'expliquer le phénomène OVNI est certainement la manifestation d'une faculté PSI inconnue de la collectivité humaine. La principale tentative en ce sens fut celle de JUNG, qui ne possédait malheureusement pas les éléments lui permettant de se prononcer sur la matérialité des phénomènes allégués ; cette tentative est vite tombée en désuétude au profit d'autres plus excitantes pour l'esprit avide de sensationnel de l'homme du XXe siècle. Il faut dire que la matérialité incontestable de certains faits allégués, photos, échos-radar, traces au sol, semblait bien condamner irrémédiablement cette hypothèse. Cependant, les nombreuses " coïncidences " de nature psychologique notées au cours de mes enquêtes personnelles, m'incitèrent à examiner de plus près l'hypothèse de la manifestation d'une faculté PSI collective de l'humanité.
L'étude du " surnaturel " sous ses différentes formes, montre que celui-ci apparaît généralement dans des conditions d'inquiétude ou de détresse du sujet. Un nombre appréciable de cas d'observations OVNI sont associés à de tels états (1). Si l'on en trouve peu dans la littérature spécialisée, c'est peut-être parce qu'ils ne cadrent pas avec les idées les plus répandues sur la nature du phénomène OVNI, de plus, la plupart des enquêteurs ne se sont attachés qu'à l'aspect du phénomène, et non au " mécanisme " de son apparition, ni à l'état psychologique du témoin au moment de son observation.

II. Aspect physique des vagues :

Il a retenu l'attention de plusieurs chercheurs qui se sont penchés sur le problème. Vallée (2) a mis en évidence une assez bonne corrélation avec les oppositions de la planète Mars. Cette corrélation a par la suite été mise en doute, car elle ne s'est pas vérifiée avec la vague de 1957. C'est peut-être aller un peu vite en besogne, car, comme nous le verrons plus loin, cette vague présente des caractéristiques très particulières. La période de 1957 à 1972 n'ayant pas été étudiée avec précision, il faut attendre 1973 pour voir une vague précise ; cette vague correspond à l'opposition de Mars d'octobre 1973. Les vagues anciennes dont nous parlerons plus loin correspondent elles aussi aux oppositions de Mars de décembre 1896/mai 1905/septembre 1909/mars 1933. Une étude plus précise semble nécessaire avant de réfuter cette corrélation qui se vérifie assez bien sur près d'un siècle.
Poher (3) croyait aussi mis en évidence une certaine corrélation entre le nombre mensuel d'observations OVNI alléguées en France en 1954 et les variations des composantes du champ magnétique terrestres enregistrées à Chambon-la-Forêt. Cette corrélation est illusoire et a d'ailleurs été réfutée par l'auteur lui-même .(4)
Plus significatifs sont les travaux de l'APRO (5) sur les corrélations entre les nombres d'observations OVNI recueillis par l'Armée de l'Air américaine et les nombres de coupures d'électricité enregistrés par la Commission Nationale de l'Energie. Une corrélation remarquable apparaît particulièrement pour la vague très aiguë de 1957 (fig. 1).

Fig. 1 et 2

Enfin, un élément peut-être décisif nous est fourni par le nombre de traces au sol relevées sur les lieux d'atterrissage allégués. La figure 2 compare la répartition temporelle du nombre de traces au sol recueillis par Ted Philips (6) aux 1 000 cas mondiaux de Claude Poher .(7) La corrélation est significative, et appuyée par la corrélation avec les coupures d'énergie électrique montre que le phénomène de vague est probablement de nature objective et correspond à une brusque augmentation du nombre réel d'apparitions du phénomène.

III. Aspect psychologique des vagues :

Celui-ci semble par contre avoir été totalement négligé. Il serait intéressant d'essayer de mettre en évidence une corrélation entre les vagues d'OVNI et les périodes d'angoisse de la population.
La détermination d'un critère d'inquiétude objectif d'une population est délicate. Comme en toute science humaine, nous ne pourrons effectuer qu'une approche plus ou moins parfaite de la réalité. Il ne faut pas s'attendre à trouver un critère miracle qui s'appliquerait à tous les pays et toutes les époques. Les différences ethnologiques importantes à travers le monde nous obligeront à passer par une étude psychosociologique de la population et de l'époque considérée. Une première approche intéressante est celle des causes du suicide, situation extrême, mais révélatrice.
Deux écoles sont en présence dans l'étude du suicide ; la doctrine pathologique défendue par Esquirol (8) qui arguait de la fréquence de la réaction suicidaire dans l'étude de la pathologie mentale alors naissante, et la doctrine sociologique défendue par Durkheim (9) qui tend à prendre le pas sur la précédente. Durkheim avait basé son interprétation sur une étude statistique, le suicide représentant un phénomène constant que ne peuvent expliquer les actes individuels, mais qui résulte bien plutôt d'un conditionnement d'ensemble, influence familiale, sociale, religieuse, etc.
Pour Halbwachs (10), c'est le vide social créé autour de l'individu qui cause seul le suicide. Chaque société possédérait des " courants collectifs suicidogènes " qui agissent de façons différentes :
- par désintégration sociale, excès d'individualisation : suicide égoïste ;
- par surintégration sociale, insuffisance d'individualisation : suicide altruiste des sociétés primitives ;
- par dislocation anarchique du groupe social : suicide au cours des crises économiques, politiques, ou insuffisance de cohésion sociale ;
- par excès de réglementation sociale : suicide fataliste, dont l'intérêt ne serait plus qu'historique : cas des esclaves par exemple.
Les événements politiques, sociaux et économiques possèdent un rôle important et complexe. Statistiquement les révolutions ne modifient guère le taux de suicides, peut-être parce qu'elles ne touchent qu'une minorité de la population. Les guerres, contrairement à ce qu'on pourrait penser, déterminent un fléchissement notable des suicides tant chez les vainqueurs, que les vaincus, ou les pays neutres ; il est probable que dans ces périodes, la cohésion sociale se renforce dans un but commun. Les crises économiques augmentent la fréquence du suicide.
Les mass média jouent un grand rôle parmi tous les facteurs socio-culturels ; amplifiés par eux, les éléments de désocialisation, crises, événements sociaux, problèmes professionnels, religieux, engendrant frustration, angoisse, et manque de communication.
Parmi les différentes " fonctions " du suicide, la plus importante est la fonction d'appel mise en évidence par Stengel (11) qui en fait le caractère le plus important du suicide. L'observation montre qu'en effet, un grand nombre de tentatives apparaissent comme un appel à d'autres êtres humains, comme une sorte de sonnette d'alarme, le sujet réclamant un secours parce qu'il se sent incapable de faire face seul à sa situation. Cette notion d'appel relie directement le suicide à la notion de sollicitation consciente ou inconsciente du phénomène OVNI par le témoin. Il peut être intéressant de souligner que 50 % des suicides ont lieu entre 18h et 24h alors que 55% des observations OVNI ont lieu pendant la même période.
Une relation entre suicide et apparitions avait fort bien été mise en évidence au début du siècle. Flournoy rapporte le cas de Benvenuto Cellini, qui cruellement emprisonné par le pape, avait résolu de se suicider. Ne disposant pas d'un couteau pour se tuer, il disposa une grosse pièce de bois en trébuchet de manière à ce qu'elle l'assommât lorsqu'il la ferait basculer. Mais quand tout fut prêt et qu'il voulut porter la main, il fut saisi par une force invisible qui le projeta à deux mètres de là, puis il eut l'apparition d'un merveilleux jeune homme dont les exhortations réveillèrent son courage et lui firent abandonner ses funestes projets. Il eut encore dans sa prison des apparitions de cet ange ainsi que du Christ et de la Vierge .(12)
Le cas de la Baronne d'A., quoique différent par les circonstances, répond au même processus. La baronne d'A. se crut atteinte d'une affreuse et incurable maladie qu'elle craignit de transmettre à ses enfants. Elle tomba dans un profond désespoir et résolut de se suicider. Un soir de clair de lune, elle se rendit sur un débarcadère voisin avec l'intention de se noyer. Mais tandis qu'elle regardait l'eau au-dessous d'elle, elle vit émerger de la nappe liquide son ami, le Docteur T., la tête renversée en arrière, la regardant bien en face. Elle vit ses yeux étincelants tandis qu'il s'élevait hors de l'eau ; lorsque le " Docteur " fut entièrement émergé, il la saisit fortement par la taille, l'entraîna violemment loin du bord et la ramena à sa demeure où il la tança d'importance, lui reprochant son suicide dans une sévère algarade. Après quoi, le " Docteur " partit et la baronne d'A. s'endormit sur une chaise grelottant de peur et d'horreur. Elle se réveilla le lendemain dans cette position n'ayant plus l'intention du suicide, avec une marque bleue à la taille là où le " Docteur " l'avait saisie et qui lui fit mal plusieurs jours. Il est intéressant de préciser que le Docteur T. était pour la Baronne d'A. une sorte de directeur de conscience. Il lui apparut dans le costume gris d'alpiniste qu'il portait lors de leur première rencontre.
Flournoy cite un cas rapporté par Jung, peut-être plus proche par l'aspect du phénomène qui nous occupe ; c'est celui d'un paralytique, qui voulant se tuer en se précipitant par la fenêtre se trouva rejeté dans la chambre par l'apparition d'une lueur éclatante devant la fenêtre.
Un cas de ce genre aurait eu lieu dans ma famille au début du siècle. La personne, alors jeune fille, avait résolu de se suicider ; alors qu'elle se préparait à se pendre, elle vit apparaître une " grosse lune " brillante qu'elle interpréta comme un signe du ciel, et abandonna son projet.
On pourrait rapprocher ce cas de celui de l'apparition en 1271, au Japon, d'un objet semblable à la pleine lune au moment où le grand prêtre Nichiren devait être décapité, semant la panique parmi les officiels et empêchant l'exécution .(13)
Cependant, souligne Flournoy, l'automatisme téléologique ne se limite pas à ces cas extrêmes et peut se manifester pour protéger ou diriger l'individu.
Si cette approche des causes et mécanismes du suicide nous apporte des éléments importants, celui-ci reste une situation extrême en voie de disparition. (8) De plus les statistiques sur le suicide sont fragmentaires en raison des difficultés de recensement. Nombre de suicides sont camouflés par les familles pour des raisons morales ou sociales compréhensibles.
Nous avons vu que les crises économiques sont une cause importante des suicides ; elles entraînent une augmentation du chômage, des expulsions de locataires, etc., qui isolent l'intéressé en lui faisant apparaître son inutilité. Cet état est particulièrement sensible pour les femmes dont l'absence d'emploi professionnel représente la moitié des cas de suicide. (8) Les difficultés matérielles se traduisant par un isolement de plus en plus grand soit une des principales causes au suicide des vieillards. Des recherches entreprises en Autriche, en Suisse et en Angleterre notamment montrent la même aggravation du suicide en période de crise économique.
Dans les sociétés industrialisées immobilistes d'Europe occidentale, il est certain que le chômage est générateur d'angoisse et d'incertitude. Chacun est concerné par le chômage et la crainte de perdre son emploi est source d'inquiétude. Le nombre de demandeurs d'emploi est parfaitement connu depuis 1945. De plus tous les demandeurs d'emploi ne sont pas des chômeurs ; une partie d'entre eux se sentent inquiets ou mal dans leur peau, en rendent responsables leur emploi et " cherchent autre chose ". Un bon indice d'inquiétude de la population pour les sociétés d'Europe occidentale peut nous être donné par les variations du nombre de demandeurs d'emploi.

Fig. 3.

Le graphique de la figure 3 représente les variations du nombre annuel d'observations OVNI français de 1945 à 1974 connu à LDLN (14) et les nombres annuels de demandeurs d'emploi pour la même période .(15) On peut constater qu'il existe une similitude frappante entre les deux courbes. Les vagues de 1954 et 1974 correspondent aux maximas du nombre des demandeurs d'emploi en France depuis 1945. Le minimum de 1963 correspond également au minimum du nombre des demandeurs d'emploi. Pour essayer d'être le plus exact possible, il importe de vérifier mathématiquement ces résultats à l'aide des coefficients de corrélation.
Le coefficient de corrélation r est une mesure de la liaison qui existe entre des variables couplées (ici nombres d'observations OVNI et nombres de demandeurs d'emploi), et s'il dépasse un certain seuil, il permet éventuellement d'affirmer que cette liaison est statistiquement significative.
J'ai calculé le coefficient de corrélation pour les 30 couples de données correspondant aux années 1945 à 1974, et ai obtenu r = 0,663, ce qui pour n = 30 représente une liaison hautement significative ; la probabilité associée est inférieure à 1 pour 10 000 .

Années Observations OVNI Demandeurs d'emploi en milliers Années Observations OVNIS Demandeurs d'emploi en milliers
1945 6 73,1 1960 18 131,1
1946 2 52,5 1961 17 112,0
1947 5 47,1 1962 17 100,8
1948 9 77,8 1963 13 96,8
1949 1 131,1 1964 21 97,1
1950 23 152,9 1965 60 141,3
1951 11 120,1 1966 52 147,1
1952 176 131,8 1967 156 196,1
1953 42 180,0 1968 174 253,8
1954 901 183,3 1969 172 223,0
1955 34 160,0 1970 141 262,1
1956 25 112,3 1971 171 338,2
1957 30 80,7 1972 199 383,5
1958 18 93,1 1973 312 393,9
1959 12 139,7 1974 1028 497,8


Tab.4. - France : nombre d'observations et de demandeurs d'emploi.

Il est intéressant de vérifier ce résultat pour d'autres pays où le chômage est un stimulus émotionnel important. Malheureusement, les statistiques OVNI sont en possession de quelques chercheurs américains, et il est très difficile de se les procurer. Malgré mes efforts, il ne m'a pas été possible de les obtenir.
Cependant, il existe des statistiques sur les atterrissages espagnols de 1945 à 1970 (18) et j'ai pu me procurer en Espagne le nombre total d'observations pour la même période .(19)

Fig 5

Mathématiquement, le tableau 6 nous donne les observations totales un coefficient de corrélation = 0,51 et pour les atterrissages = 0,628. Ces résultats, quoique un peu inférieurs aux chiffres français, représentent eux aussi une liaison très significative = les probabilités associées sont respectivement de 1 pour 100 et 1 pour 1 000.
Il est regrettable que je n'aie pas pu me procurer d'échantillonnage pour un plus grand nombre de pays.

Années Observations OVNI Atterris. OVNI Demandeurs d'emploi en milliers Années Observations OVNIS Atterris. OVNI Demandeurs d'emploi en milliers
1945 2 - 148 1958 21 2 81
1946 6 - 178 1959 25 1 80
1947 2 - 139 1960 13 1 114
1948 3 - 117 1961 9 1 125
1949 0 - 160 1962 6 0 98
1950 87 3 166 1963 12 1 100
1951 7 0 144 1964 12 1 130
1952 25 1 106 1965 87 1 147
1953 11 2 122 1966 35 3 123
1954 44 6 107 1967 88 7 146
1955 19 2 112 1968 375 40 182
1956 27 0 106 1969 224 21 159
1957 37 1 91 1970 135 4 146


Tab.6. - Espagne : nombres d'observations et de demandeurs d'emploi.

Si les statistiques sur les nombres d'observations OVNI sont assez suivies depuis 1945, il existe aussi quelques recueils d'observations anciennes. Ceux-ci mettent en évidence un certain nombre de vagues mondiales depuis la fin du XIXe siècle. Il n'existe pas de statistique précise sur le chômage pour cette période, mais on peut cependant cerner de manière précise les variations de l'activité économique causes du chômage.
On pourrait penser pour cela aux variations de la production industrielle, mais elles sont noyées dans la rapide expansion de la productivité. Les indices de prix, qui baissent en période de récession, ne sont pas plus satisfaisants car ils sont noyés dans l'inflation grandissante du XXe siècle. Les difficultés économiques en période de récession rendent les affaires difficiles et font chuter les bénéfices. Si la valeur des actions peut être soumise à la spéculation, seule une profonde altération de la vie économique peut varier leur rendement : les variations de ce rendement peuvent constituer un " indice d'inquiétude " utilisable. De plus, celui-ci est parfaitement connu depuis plusieurs siècles pour la plupart des pays industrialisés .(20) Pour le XIXe siècle, encore très rural, le mouvement des récoltes de céréales pourrait constituer aussi un indice d'inquiétude valable .(21)
Des statistiques du nombre d'observations de 1800 à 1900 ont été établies par la SOBEPS (22); j'y emprunterai la période 1880 à 1900, la plus précise. Pour la période 1900 à 1945, il ne semble pas avoir été publié de statistiques complètes. Les éléments les plus intéressants sont fournis par la FSR qui met trois vagues importantes en évidence. L'une au début de 1905 (23) , centrée sur le pays de Galles, comporte " plusieurs douzaines " d'observations dont cinq ou six datées avec précision ; je retiendrai sous toute réserve vingt observations pour cette année. Une deuxième vague, semble-t-il mondiale, eut lieu de mars à mai 1909 (24) avec un maximum sur l'Angleterre et la Scandinavie ; Carl Grove retient quarante trois rapports pour cette année, pour la plupart des " bateaux aériens " style 1897. Enfin, une troisième vague centrée sur la Scandinavie eut lieu en 1933-1934 (25). John A. Keel retient vingt rapports en 1933, cinquante cinq rapports en 1934 et quelques autres en 1936-1937-1938. Ces rapports concernant presque tous des " aéroplanes fantômes " qui firent couler beaucoup d'encre à l'époque. Je complèterai cette période 1885-1945 avec les observations françaises connues à LDLN et quelques autres relevées dans différents ouvrages.
Il n'existe pas à ma connaissance d'indice économique pour l'ensemble du monde ; les indices qui reflètent le mieux la marche de l'économie mondiale sont ceux de l'Angleterre, pays le plus ouvert au commerce international en cette première moitié du XXe siècle.
Malgré ces approximations, on constate sur le graphique 7 que toutes les vagues de cette période 1885, 1896-1897, 1905, 1909, 1922, 1933-1934, 1946, correspondent à des dépressions économiques. La grande vague de 1897 correspond à l'activité la plus basse de tout le XIXe siècle. (21) On peut se demander pourquoi la vague de 1897 a eu son maximum aux Etats-Unis, dans le Middle West plus précisément ; or, cette région est la plus grande productrice de céréales du monde et la récolte 1897 s'annonçait très mauvaise. (21) On peut noter au passage que ces constations n'infirment en rien les corrélations avec les oppositions de la planète Mars avancées par Vallée et Guasp .(26)

Fig. 7.

Il ne faut se leurrer, et bien considérer que si le nombre de demandeurs d'emploi constitue un bon critère d'inquiétude pour la France et l'Espagne entre 1945 et 1974, cela ne veut pas dire qu'il le soit pour tous les pays et toutes les époques. Les causes d'Inquiétude sont très fluctuantes. En sciences humaines, rien n'est plus vrai que le vieil adage " l'habitude est une seconde nature ". Ne disait-on pas officiellement en France en 1973 " le seuil de quatre cent mille chômeurs est intolérable " alors qu'en 1976 avec un million de chômeurs " la situation de l'emploi n'est plus notre principale préoccupation ". Il est probable que pour d'autres pays, le chômage ne soit pas une source d'inquiétude aussi importante, par exemple aux Etats-Unis où la main-d'œuvre est très mobile et la perte d'emploi une péripétie normale de la vie courante ; l'opinion américaine semble par exemple beaucoup plus sensible aux crises de violence, et il y aurait là une recherche intéressante pour qui en possède les élements.
Dans les pays de l'Est, où le chômage est en principe inexistant, les crises politiques constituent probablement une source d'inquiétude importante. Le graphique 8 montre que la principale vague roumaine (27) eut lieu en août-septembre 1968, au moment de l'entrée des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie, alors que la Roumanie était directement menacée.

Fig. 8.

Autre exemple : nul ne niera l'inquiétude provoquée par la sécheresse de l'été 1976, en France, essentiellement en juin, où l'ampleur du désastre est apparue. Le graphique 9, qui montre le nombre d'observations rapportées par la chronique " nouvelles récentes " de LDLN, se passe de commentaire.
La principale difficulté reste la détermination d'un critère d'inquiétude mathématiquement exploitable comme l'est le chômage. Une crise politique ou un été de sécheresse sont des événements difficilement chiffrables. Le chercheur doit faire preuve d'une grande ingéniosité pour traduire l'inquiétude d'une population en chiffres exploitables.

Fig. 9 et 10

IV. Les déclencheurs psychologiques :

On peut se demander si en période d'inquiétude latente, un événement précis pourrait déclencher la vague. Vallée s'était penché sur cet aspect et écrivait notamment sur la vague américaine très aiguë de 1957 (28) : " son caractère vient de ce qu'elle a surtout eu pour théâtre les régions du monde où les moyens de communication sont les plus développés et où l'opinion publique est la plus sensible à tous les stimules émotionnels. Elle est marquée par deux particularités : elle coïncide avec le lancement du second satellite artificiel de la terre et ce n'est pas une véritable vague mais un pic soudain de grande amplitude et de faible durée ".
La tension émotionnelle fut effectivement très grande après ces lancements, particulièrement aux U.S.A., où une inquiétude se fit jour sur la suprématie américaine en matière de défense face à l'U.R.S.S.
Il serait intéressant de chercher à mettre en évidence si un déclencheur psychologique apparaît au début des vagues récentes les mieux connues.
Le graphique 10 montre le développement de la vague américaine du 15 juin au 15 juillet 1947 d'après les recherches de Ted Bloecher (29). La fameuse observation de Kenneth Arnold du 24 juin fut publié " à la une " par une centaine de journaux du soir le 25 juin. On voit que la vague se développe rapidement à partir des derniers jours de juin pour atteindre son maximum le 7 juillet.
Le graphique 11 montre le développement de la vague française du 15 août au 20 octobre 1954 (30). Les cas Mazaud et Dewilde du vendredi 10 septembre, qui firent grand bruit à l'époque avec les premiers humanoïdes, furent connus du public à partir du 14 septembre. La vague s'amplifie très rapidement à partir du 15 septembre pour atteindre son maximum les 2 et 3 octobre.

Fig. 11.

Le développement de la vague française de 1973-1974 (31) semble répondre au même processus. On constate une fois encore que les deux cas qui firent le plus de bruit dans les journaux, la radio et la télévision sont ceux de Turin du 30 novembre et d'Ouzouer-sur-Loire du 10 décembre. Ces informations à sensation semblent donner le coup d'envoi de la vague qui se développe rapidement à partir du 15 décembre (graphique 12). Plus important encore, les émissions de J.-C. Bourret (17) du 28 janvier au 22 mars encadrent le maximum de la vague. La cinquième semaine consacrée aux cas les plus impressionnants avec " humanoïdes " précède juste le maximum du 5 mars. Le maximum secondaire du 23 mars correspond à la soirée d'observation LDLN : il est vrai que ce jour-là beaucoup de gens avaient le nez en l'air, mais il est non moins vrai qu'un nombre appréciable des observations du 23 mars et non des moindres, a été fait par des personnes non prévenues.

Fig. 12.

Un processus du même ordre semble s'être produit en octobre 1972, en Belgique dans la région de Spa-Nivézé où plus de vingt observations eurent lieu entre le 17 et le 27 octobre dans une aire de quelques kilomètres carrés alors qu'un hebdomadaire à grand tirage publiait une étude sur le phénomène OVNI.
On pourrait penser que cette notion de " déclencheur psychologique " est purement conjecturale et invérifiable. Il n'en est rien. Le statisticien Toulet a montré mathématiquement un processus de ce genre en travaillant sur la répartition géographique des atterrissages U.S. Toulet a divisé la carte des atterrissages américains en carrés égaux et examiné la répartition de ceux-ci dans chaque carré. Alors que le hasard devrait montrer une répartition gaussienne des nombres de points par carré, il a constaté qu'un nouvel atterrissage se produit plus probablement dans une case qui a déjà été visitée, et c, en proportion du nombre de fois qu'elle a déjà été visitée. Le test mathématique du " khi carré " montre qu'il y a quatre vingt chances sur cent pour que cette répartition ne soit pas due au hasard .(33)

V. Conclusion

Ces résultats surprendront probablement bien des ufologues axés sur l'hypothèse " extra-terrestre ", et les parapsychologues qui ne se sont jamais penchés sérieusement sur le phénomène OVNI. Cependant, plusieurs chercheurs ont déjà signalé cette possibilité qui a une faveur de plus en plus marquée de la part des jeunes chercheurs rebutés par les contradictions de l'hypothèse extra-terrestre (34). Force est d'admettre que celle-ci relève davantage de la passion que de l'objectivité scientifique.
De tous temps, l'homme s'est refusé à assumer ses propres potentialités : il a toujours cherché à se décharger sur de rassurantes entités extérieures, qui ont eu nom au cours de l'histoire de dieux, diables, démons, fées, vierge, esprits… et extra-terrestres. Avant d'admettre de telles hypothèses, invérifiables de surcroît, le " principe d'économie " impose d'étudier d'abord celles qui font appel aux phénomènes connus. Un examen, même superficiel, des données du phénomène OVNI, montre nombre de correspondances avec les phénomènes métapsychiques d'ectoplasmie. Seule l'échelle des phénomènes est différente ; au lieu d'un seul médium, ce serait le groupe humain ou la collectivité humaine entière qui induirait le phénomène.
Ma conviction est que le phénomène OVNI est à la fois physique et psychologique. Si aucune explication satisfaisante rendant compte de toutes les données n'a encore été proposée, c'est probablement parce qu'on a étudié séparément les explications physiques et psychologiques, les unes excluant les autres. Il est probable que seuls des modèles psycho-physiques pourront permettre de faire avancer la recherche ufologique qui apparaît comme une branche à part entière de la parapsychologie, ainsi que le fut le spiritisme.

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NOTES

 1) Voir par exemple le cas de Mme DURAND (LDLN n°149, nov. 1975) qui priait pour obtenir un signe du ciel, et vit apparaître " une énorme boule de feu merveilleusement belle " et fut guérie de ses maux de cœur, ou le cas de Draguignan (Vues Nouvelles n°8, juillet 1976) où le témoin sujet PSI instable fit douze observations successives d'un phénomène OVNI après une intense sollicitation psychique.

2) J. VALLEE (1965). Anatomy of a phenomenon. Neville Spearman ; Les phénomènes insolites de l'espace. La Table Ronde.
3) C. POHER (1973, novembre). Etude des corrélations entre enregistrements géomagnétiques et observations d'UFOS. LDLN n°129.
4) Lettre ouverte à P. VIEROUDY. LDLN n°155, mai 1976.
5) APRO Bulletin, mars-avril 1970.
6) Center for UFOS Studies, 1974.
7) C. POHER (1972). Etude statistique portant sur 1 000 témoignages d'observations d'UFOs. Publication de l'auteur.
8) P. MORON (1975). Le suicide. PUF.
9) E. DURKHEIM (1897). Le suicide. Alcan.
10) M. HALBWACHS (1934). Les causes du suicide. Alcan.
11) E. STENGEL, & E.C. COOK (1958). Attempted suicide. Chapman et Hall.
12) Th. FLOURNOY (1911). " Automatisme téléologique anti-suicide ". Esprits et médiums. Fishbacher.
13) J. VALLEE (1972). Chronique des apparitions extra-terrestres. Denoël.
14) Communication personnelle de Mme Ch. GUEUDELOT.
15) Monthly Bulletin of Statistics. United Nations, Genève.
16) D. SCHWARTZ (1963). Méthodes statistiques à l'usage des médecins et des biologistes. Flammarion, 1963.

17) J.C BOURRET. La nouvelle vague des soucoupes volantes. France Empire, 1975.
18) V. BALLESTER OLMOS et J. VALLEE (1971 décembre). Etude de cent atterrissages ibériques. LDLN n°115.
19) Communication personnelle de Miguel GUASP.
20) S. HOMER (1963). History of interest rates. Rutgers University Press.
21) J. BOUVIER (1972). Initiation aux mécanismes économiques contemporains. Sèdes.
22) Inforespace n°4, 1972. Chronique des apparitions OVNI au XIXe siècle.
23) UFOS in Wales in 1905. FSR vol. 17, n°4, 1971.
24) The airships wave of 1909. FSR vol. 16, n°6 et 7, 1970.
25) Mystery airplanes in 1930. FSR vol. 17, n°2, 3, 4, 5, 1971.
26) M. GUASP (1973). Theoria de procesos de los OVNIs. Publication de l'auteur. Valencia.
27) I. HOBANA & J. WEVERBERGH (1973). Les OVNI en U.R.S.S. et dans les pays de l'Est. Lafond.
28) J. VALLEE (1965). Les phénomènes insolites de l'espace. La Table Ronde.
29) Inforespace n°20, 1975.
30) A. MICHEL (1958). Mystérieux objets célestes. Arthaud.
31)LDLN n°149, novembre 1975.
32) Le carrousel de Spa-Nivézé. Inforespace n°11, 1973.
33) F. TOULET (1974 juin). Les observations d'OVNI obéissent-elles à un processus contagieux ? Phénomènes spatiaux n°40.
34) Voir par exemple : J. VALLEE (1975). Le collège invisible. Albin Michel ; P. GUERIN (1975). Exposé au congrès PSI du 1er février 1975 à Paris ; F. FAVRE (1976). Les enfants du lac de Constance. Parapsychologie n°1 et 2 ; M. DUNEAU & F. FAVRE (1976). Débat sur les OVNI, In : La Parapsychologie devant la Science. Berg-Belibaste.

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