INDETERMINATION et FINALITE en PSILOGIE
Par Guy Béney
Revue de parapsychologie N°10, 1980
1 . Introduction
Parmi les tenants de l'existence du psi, on rencontre deux types d'attitudes concernant la santé de la psilogie* : celle optimiste, voire enthousiaste, qu'il est aisé d'afficher, et l'autre, pessimiste, bien plus rare, ou plutôt moins apparente.
Ceux qui adoptent la première attitude s'appuient souvent sur les "90% du cerveau" ou les "80% de l'ADN" dont les fonctions restent encore inconnues pour postuler qu'au sein de ces structures encore mystérieuses peuvent sommeiller des "pouvoirs" insoupçonnés. Un éveil progressif de ceux-ci est prévu et des applications sont envisagées dans les domaines militaire, télématique, médical, psychothérapique, agronomique, etc. On affirme même l'émergence d'un phénomène de société, au moins en Californie, où des "conspirateurs" veulent étendre la révolution paradigmatique - qui s'amorce à la lumière de ces nouvelles données et en ce début de I'"Ere du Verseau" - à de profondes transformations personnelles et sociales.(1)
La seconde attitude se base sur les critiques suivantes : de nombreuses expériences psilogiques n'ont souvent qu'un vernis scientifique ; les résultats d'anciennes expériences, reprises par de nouveaux chercheurs ne peuvent souvent plus être reproduits ; les tentatives d'applications ou d'apprentissage des facultés psi piétinent, malgré des idées astucieuses telles que le renforcement par rétroaction immédiate, le dialogue avec un GEA* "personnalisé", la suggestion posthypnotique d'une "vocation psi" ou les techniques d'homogénéisation sensorielle comme le ganzfeld certaines des anciennes "vedettes du paranormal" se retirent prudemment ou même parfois violemment enfin il arrive que soient émis par des scientifiques compétents, parfois psilogistes, de graves soupçons et accusations, fondés ou non, de négligence expérimentale ou même de fraude ; ainsi, à chaque vague "pro-psi" annonçant quelque découverte insolite semble succéder plus ou moins rapidement une vague "anti-psi", d'intensité comparable, qui en conteste le bien fondé ; le "minerai" des résultats et des témoignages de la recherche psilogique se révèle de faible teneur ; le "résidu" après le tri varie selon les psilogistes ; les phénomènes psi les plus banals mis à part, il n'y a pas de consensus, ni sur I'étendue du champ psilogique, ni sur les théories.
Qu'en est-il exactement ? Pour prendre du recul et étudier la problématique psi dans ses aspects expérimental, théorique et social, il semble qu'il faille considérer à la fois les deux sources des manifestations psi, le psi de laboratoire et le psi spontané. Nous verrons que la réflexion théorique concernant la première source paraît conduire à la démonstration toujours plus précise et paradoxale de la nature du psi comme indétermination. D'autre part, en dégageant certaines similitudes ou invariants dans les manifestations du psi spontané, il ressort que la caractéristique majeure de celui-ci est sa finalité, certes orientée vers l'individu, mais aussi, semble-t-il, régulée au niveau social.
*PSILOGIE : Diverses appellations ont été proposées pour qualifier le domaine scientifique qui a pour sujet d'étude les phénomènes psi suivant les hypothèses que les chercheurs ont formulées sur l'origine des phénomènes ou les contraintes idéologiques auxquelles ces personnes peuvent être soumises :
parapsychologie (M. Dessoir, Allemagne, 1889)
métapsychique (C. Richet, France, 1905) ;
bio-information (E. Naumov et 8. Kazhinsky, URSS, 1959)
psychotronique (Z. Rejdak, Tchécoslovaquie, 1967)
paranormologie (A. Resch, Italie, 1969).
Tous ces termes n'ont pas la neutralité d'interprétation que l'on peut attendre d'une discipline à laquelle manque encore une théorie générale. L'appellation la plus adéquate semble être le néologisme "psilogie" car il ne préjuge pas des conclusions.
*GEA : Générateur d'Evénements Aléatoires. La fonction d'un tel appareil est de produire des événements dont l'occurrence n'est pas significativement différente de l'attente du hasard.
(1). FERGUSON, M. - The Aquarian Conspiracy. Personal and Social Transformation in the 1980s. Los Angeles J.P. Tarcher, 1980.
La mise en lumière de ces deux caractéristiques fondamentales de la nature du psi, l'indétermination et la finalité, conduit à relativiser les discours démagogiques, volontaires ou non, qui annoncent dans un avenir proche la levée des trois achoppements majeurs de la recherche psilogique, à savoir l'absence d'apprentissage et d'applications des facultés psi ainsi que d'adhésion unanime quant à l'existence du psi. La focalisation de sa méditation sur l'indétermination et la finalité du psi amène plutôt le chercheur à s'interroger toujours plus profondément sur son interprétation du monde et de lui-même et sur la place du psi dans cette interprétation.
2 . La psilogie expérimentale
La plupart du temps le psilogiste distingue deux groupes principaux de phénomènes, qu'on peut nommer :
Il élabore un cadre expérimental convenable et tente de cerner le psi au moyen de deux définitions :
v
la première provient de la psilogie expérimentale. L'expérience psilogique type consiste en un agencement expérimental qui fait intervenir quatre éléments fondamentaux :Dans ce genre d'expérience, le psi est défini comme une relation significative entre le sujet et la cible, alors qu'ils sont séparés par un obstacle qui interdit, selon l'expérimentateur, toute relation sensori-motrice conventionnelle*. Le psi n'est donc rien d'autre qu'une pure occurrence.
v
la seconde définition, émanant de la psilogie théorique , repose sur l'hypothèse de travail à laquelle ont conduit les résultats des recherches antérieures, à savoir que les divers types de phénomènes dits paranormaux seraient des aspects différents d'une même nature essentielle, le psi.Les résultats que le chercheur obtient dans une expérience psilogique type sont variables, fugaces, mais ont été historiquement suffisants pour le convaincre de l'émergence significative du psi, de son existence. Comme l'écrit R. Chauvin, "le grand mérite de Rhine (à qui l'on doit principalement ce genre de recherches) est de nous avoir débarrassés du fardeau de la preuve : elle est faite" (3) . Mais c'est pour nous charger d'un autre fardeau plus lourd encore, celui des inférences épistémologiques, comme nous allons le voir.
3 . L'indétermination en psilogie
En psilogie expérimentale en effet, tout n'est pas aussi clair que le laisse suggérer la définition du psi de laboratoire. Il s'avéra peu à peu que la recherche dans ce domaine est entachée d'une indétermination multidimensionnelle.
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Celle-ci concerne d'abord les quatre éléments fondamentaux de l'expérience psilogique type. Ainsi :v
A ces indéterminations des quatre éléments fondamentaux s'ajoutent celles qui concernent les quatre types principaux de phénomènes psi eux-mêmes :Par suite de ces multiples indéterminations, c'est dans un vague continuum "psi" que risquent, en théorie, de s'immerger aussi bien les quatre éléments fondamentaux de l'expérience psilogique type que les quatre types principaux de phénomènes psi.
v
Il y a en outre indétermination de l 'occurrence du psi : la plupart du temps, on détecte l 'émergence du psi à l'aide de tests statistiques de décision appropriés et conventionnellement admis. Ces tests permettent de décider si les résultats obtenus sont significativement différents de l'attente du hasard, c'est-à-dire si, pour en rendre compte, on doit conclure à l'existence d'un facteur autre que le seul hasard. On estime qu'avec un risque inférieur à 1%, il y a déviation significative ; l'existence du facteur n'est donc pas démontrée, elle est décidée. En fait, ce risque que le hasard soit seul responsable des résultats, cette indétermination de l'occurrence du psi demeurent dans toute expérience.v
Enfin s'ajoute l'indétermination de la nature du psi : le test de décision n'apporte aucune indication sur la nature du facteur. On peut donner à celui-ci n'importe quel nom, psi par exemple ; il n'en reste pas moins une simple déviation significative, une pure occurrence. L'indétermination reste donc totale.Les divers types d'indéterminations, qu'on a pu dégager par une réflexion sur les résultats de la psilogie expérimentale, suggèrent fortement, par leur nombre et leur convergence, que la nature même du psi serait, par essence, indétermination. Selon la théorie intuitionniste, cette indétermination du psi serait le reflet de l'indétermination fondamentale de l'être. Notons que J.B. Rhine lui-même fut amené à reconnaÎtre une "indétermination générale du psi" (5) sans toutefois la détailler trop ni surtout en tirer toutes les inférences aux plans expérimental et théorique.
4 . La dissolution du cadre expérimental en psilogie
L'indétermination propre à la dimension psychique de l'obstacle, à laquelle on attribue pourtant la possibilité d'occurrence de relations psi entre les différentes personnes impliquées dans l'expérience, n'est pas limitable à celles-ci. Il n'existe pas de raison de ne pas l'élargir à des personnes extérieures au cadre expérimental et qui leur seraient reliées psychiquement, affectivement, comme des parents ou des connaissances. Ainsi, les indéterminations qui concernent les quatre types principaux de phénomènes et les quatre éléments fondamentaux d'une expérience psilogique type sont susceptibles d'être étendues à l'extérieur de celle-ci. L'indétermination fondamentale du psi conduit à la "dissolution" du cadre expérimental, dont les conséquences sont considérables.
D'abord, de loin en loin, c'est à l'ensemble de l'humanité, dans ses dimensions diachronique (l'histoire de l'humanité, enracinée dans l'évolution biologique) et synchronique (le déploiement géographique actuel) qu'il conviendrait logiquement d'élargir le cadre de l'expérience psilogique type, sinon pour préciser, du moins pour englober les facteurs susceptibles d'influencer l'expérience. A la limite, seul l'univers dans son intégralité pourrait s'avérer un cadre satisfaisant pour la moindre expérience psilogique. Ou encore, par la béance potentielle de la dimension psychique de l'obstacle, la présence d'une personne dans un système fermé fait de celui-ci un système ouvert. Voilà qui élargit notablement l'effet de l'expérimentateur et éclaire l'imprécision des expériences psilogiques de type classique due à la restriction de leur cadre expérimental.
*CONVENTIONNEL : Ce terme peut être utilisé pour décrire l'attitude (c'est-à-dire non seulement un jugement, une représentation, mais aussi les relations émotionnelles, affectives, inconscientes et sociales qui les sous-tendent) conforme et convenant à la majorité de nos contemporains dans notre société occidentale sur les plans de la science, de la conception de la réalité et du possible.
(2). BELANGER, L. - Psi,au-delà de l'Occultisme. Montréal : Quebec-Amérique, 1978, p 152.
(3). CHAUVIN, R. - La Parapsychologie. Quand l'irrationnel rejoint la science. Paris : Hachette, 1980, p 16.
(4). RAO, K.R. - in Journal of Parapsychology, Vol. 41, n°3, september 1977, p 219.
(5). RHINE, J.B. - "Psi Methods Reexamined", in Journal of Parapsychology, Vol. 39, n°1, march 1975, pp 3 -58.
D'autre part, tant qu'il n'était question que de démontrer l'existence du psi et de découvrir sa propension à "boire l'obstacle" (nature non-physique, transpatiale, transtemporelle, transpersonnelle, indétermination fondamentale ), la méthodologie de type conventionnel convenait parfaitement. Mais celle-ci révèle vite ses limites lorsque, dans un deuxième temps, il s'agit d'étudier les conditions d'occurrence du psi, de préciser ses éventuels corrélats physiques et biologiques. Cette recherche exige un cadre expérimental adéquat, rigoureux et surtout fermé, où la cible en particulier puisse être déterminée avec précision ; or nous venons de voir combien on devrait pour cela reculer les limites de ce cadre. En outre, elle demande des résultats reproductibles par plusieurs équipes, autre pierre d'achoppement de la psilogie expérimentale.
Certains chercheurs tentent pourtant de découvrir des corrélats biologiques et physiologiques du psi. Dans la foulée de J.B. Rhine qui écrivit : "Il semble aujourd'hui certain que le psi fasse partie de l'héritage génétique de l'organisme" (6) on conduisit même des recherches visant à sélectionner des lignées animales douées héréditairement pour le psi, et qui se révélèrent aussi vaines que cruelles. En fait, et pour éviter ce genre de recherches, on peut se demander si la destinée de la psilogie expérimentale ne serait pas, paradoxalement, de préciser toujours plus l'indétermination fondamentale du psi.
Mais voici que l'innocente démonstration par quelques expérimentateurs du bien fondé de certains concepts émanant de la psilogie laisse planer sur l'ensemble du champ scientifique le nuage menaçant, toxique ou hilarant selon les tempéraments, des inférences épistémologiques, propre à faire germer des paradoxes en cascade.
5 . La boucle du discours psilogique : premier paradoxe
En effet, se basant sur des présupposés méthodologiques d'une orthodoxie rigoureuse, les psilogistes ont obtenu des résultats qui ont conduit à démontrer expérimentalement le bien fondé de ces concepts propres à la psilogie : psikinésie, effet de l'expérimentateur, indétermination fondamentale (dont nous avons vu certaines "synergies" comme l'indétermination fondamentale de la cible en psikinésie et la dissolution du cadre expérimental) ; or ceux-ci, de par leur nature même et en tant que reflets de la nature du psi, viennent saper les bases de la méthodologie de type conventionnel, menaçant des concepts fondamentaux comme celui de système fermé, d'observateur indépendant de l'observation, etc. S'appuyant au départ sur la méthodologie pour l'attaquer à la fin, le discours théorique de la psilogie se boucle en un premier paradoxe.
Celui-ci élève certes la psilogie au plan épistémologique ; mais, ce faisant, il lui fait perdre à la fois sa spécificité et sa neutralité. En effet, venant ébranler les fondations de la méthodologie, commune à toutes les disciplines scientifiques, le discours psilogique déborde inéluctablement son propre champ pour couvrir de son caractère potentiellement subversif l'ensemble du champ scientifique. Cette attitude à la fois impérialiste et apparemment suicidaire de la psilogie en tant que science expérimentale et théorique, ce paradoxe fondamental, ont été bien vus par R. Amadou quand il dit : "La parapsychologie a une vocation manifeste qui est scientifique. En réalité, sa vocation latente est antiscientifique." (7)
6. Efficacité versus lucidité : second paradoxe
Mais on bute sur un second paradoxe qui confine à l'absurde : dans l'orthodoxie scientifique où la psikinésie et l'effet de l'expérimentateur n'ont pas droit de cité, la méthodologie expérimentale s'avère un outil extrêmement fécond et qui conduit à des applications pratiques toujours plus nombreuses ; les résultats expérimentaux y sont reproductibles, les constantes vraiment constantes, les générateurs d'événements aléatoires méritent leur dénomination (méthode statistique de Montecarlo, etc.). Les concepts de risque, de fiabilité circonscrivent la part de hasard et permettent aux compagnies d'assurances, loteries et autres casinos d'envisager l'avenir en toute quiétude.
En psilogie expérimentale, au contraire, la même méthodologie se révèle stérile en applications malgré les ajouts conceptuels qu'elle a permis d'élaborer, ou plutôt à cause d'eux puisqu'ils viennent saper ses propres fondements. Ainsi, si le discours psilogique paraît plus lucide que celui des autres disciplines du champ scientifique (il admet, après démonstration, des concepts qui touchent aux bases de la méthodologie), il ne s'en révèle pas moins, au plan pratique, particulièrement et paradoxalement inefficace.
Il en est de même pour le chercheur. Celui-ci a pu d'abord être tenté, sous l'emprise de sa volonté de puissance, de s'approprier les facultés psi, de les développer et d'en trouver des applications. Or, à long terme, le contraire s'est produit dans bien des cas : non seulement l'individu n'est pas parvenu à "apprivoiser" le psi rebelle, mais c'est ce dernier qui, à force d'être courtisé, a pu amener le chercheur - en un retournement radical de situation - à s'interroger sur lui-même.
7 . Le retournement ipsotrope : troisième paradoxe
Si les phénomènes psi se révèlent a priori extérieurs au chercheur, indépendants de lui, objets d'expérience, il s'avère pourtant, au fil de sa méditation sur leur indétermination fondamentale et leurs inférences épistémologiques subversives, que son cheminement s'inverse. La focalisation de ses investissements intellectuels et affectifs semblent se retourner peu à peu, par étapes, en direction de son être propre. De "cosmotrope" (cosmos ; treipein , tourner) , extérieure et collective qu'elle était au départ - suivant le courant "naturel" de l'investigation conventionnelle -, l'approche du chercheur devient aussi et de plus en plus intérieure et individuelle, proprement intime. La recherche psilogique, basée sur les investigations en laboratoire et sur le terrain, ramène paradoxalement à soi.
On peut énumérer les principaux plans sur lesquels semble se produire ce renversement du "tropisme" du chercheur, qui passe progressivement de l'investigation d'objets extérieurs à la quête de lui-même :
On voit combien I'ipsocentrisme diffère de l'anthropocentrisme et de l'égocentrisme, ces deux derniers concepts ne renvoyant qu'aux noyaux instinctuels et culturels autour desquels semblent bâties les homéostasies propres à l'espèce et à l'individu. Il y a ainsi lieu de penser que, malgré sa proximité essentielle de Témoin/Acteur, Soi doit "ressembler" plus au Tout Autre qu'au moi conscient conventionnel. Ajoutons enfin que, si le cosmotropisme et l'ipsotropisme s'opposent par leurs directions, il n'est pas exclu qu'il y ait concentricité de principe du cosmos et de Soi, c'est-à-dire que l'approche scientifique conventionnelle pourrait, à la limite, rejoindre la quête ipsotrope par le chemin opposé.
Par son orientation ipsotrope, la psilogie tranche donc une fois de plus dans le concert des sciences. Partout ailleurs dans le champ des disciplines expérimentales, l'étude des structures, des mécanismes et de leur évolution polarise la réflexion du chercheur en direction de son animalité, de sa matérialité, de son existence au sein d'une multiplicité de phénomènes, sur fond d'unité cosmique et non sur fond d'unité dans le Champ de conscience. Les principes sur lesquels repose la méthodologie expérimentale, l'efficacité des réductionnismes physico-chimiques et génétique, la continuité qui se précise entre les théories des évolutions physique et biologique, la méconnaissance de certaines problématiques microphysiques en dehors des spécialistes et la sous-estimation coutumière de l'articulation psychosomatique - que nous étudierons ci-dessous - même (surtout ?) parmi les biologistes, sont autant de facteurs qui génèrent ou favorisent le caractère cosmotrope de la recherche scientifique conventionnelle.
Cet entêtement de la psilogie à aller à contre-courant, relativement à ses disciplines sœurs, évoque celui - éventuellement fécond et inéluctablement mortel - du saumon sur le retour.
8. L'articulation cruciale intimus/extraneus
A priori et par rapport à notre interprétation conventionnelle du réel, les phénomènes psi amènent à considérer l'existence de trois articulations principales. Celles-ci peuvent être classées en fonction de la fréquence apparente et croissante des phénomènes psi qui semblent les concerner :
. l'articulation psychophysique, . l'articulation transpersonnelle, . l'articulation psychosomatique.
Aucune n'est bien connue. Seule la dernière a fait l'objet d'investigations poussées, essentiellement sur les voies afférentes et efférentes du système cérébro-spinal.
D'après la réflexion sur l'antinomie ipsotrope/cosmotrope, et le recul progressif que semble engendrer une réflexion poussée sur les phénomènes psi, on peut proposer, de façon très schématique, l'existence d'une articulation plus cruciale, base des trois autres, l'articulation intimus/extraneus, lieu d'intégration, avec l'antinomie ipsotrope/cosmotrope, de divers autres couples : subjectif/objectif, intérieur/extérieur, individuel/collectif, profond/superficiel, privé-secret-caché/apparent.
v
substantivé, intimus (superlatif de intérieur) est pris ici dans le sens d'instance psychique hypothétique englobant le moi conscient, mais englobée par Soi, donc très profonde dans l'être et en relation avec les inconscients personnel et collectif ;v
substantivé, extraneus (étranger, ce qui est du corps ou qui vient du dehors (8) ) signifie l'étranger, l'autre, l'extérieur à soi.L'intimus est "chevillé" à l'extraneus tout en s'opposant à lui, comme les deux faces d'un anneau de Moebius qui s'opposent et ne font qu'un. L'intimus est, dans l'ici-maintenant, interprétation/structuration de l'extraneus ; ils sont connaturels en Soi. L'extranéité naît de ce que cette connaturalité est refusée, ignorée ou plutôt oubliée par une instance psychique limitée, comme le moi conscient, qui perçoit comme étrangers à lui son environnement physique, autrui et même son propre corps, les trois "objets" des articulations psychophysique, transpersonnelle et psychosomatique. De ce fait, l'intimus lui-même devient étranger, et sombre, pour le moi conscient, dans l'inconscience.
Le "barattage" de l'intimus et de I'extraneus sur les plusieurs milliards d'années de l'évolution a donné naissance à des myriades d'êtres vivants qui sont autant de formes particulières de l'articulation originelle. Chaque être vivant est donc un lieu d'affrontement, par l'intimus, de l'ipsotrope et, par l'extraneus, du cosmotrope. Ainsi, l'homme en tant qu'espèce et individu particulier est, dans l'ici-maintenant, une forme unique de l'articulation intimus/extraneus.
Celle-ci est cruciale, dans le double sens de fondamental et en forme de croix, puisque l'individu est à la fois persona et soma en action dans le monde (réductionnisme cosmocentrique) et Champ de conscience, Interprétation du monde et, en retour, de soi-même (holisme ipsocentrique) ; ou encore, comme l'a dit Pascal, "par l'espace l'Univers me comprend, par la pensée je le comprends."
Il n'y a donc jamais qu'un Champ de conscience, à la fois interprétation du monde et, en retour, de soi-même, toujours changeante dans l'ici-maintenant sous l'emprise, d'après la conception conventionnelle de l'homme, des intuitions, de l'intellect, des émotions et des sensations, et pourtant toujours unique. La problématique psi n'est plus alors seulement de savoir si le psi s'est manifesté malgré les trois premières dimensions de l'obstacle, à savoir la distance, le temps et la complexité, mais aussi comment et pourquoi la dimension psychique de l'obstacle, l'intimus gardien du seuil de conscience, a introduit le psi et son potentiel subversif dans le Champ de conscience.
(6). RHINE, J.B. in WOLMAN, B. (Ed.) Handbook of Parapsychology. New-York : van Nostrand Reinhold, 1977, p 169
(7). AMADOU, R. "Situation et Vocation de la Parapsychologie". Conférence du GERP, 13 décembre 1976.
(8). BORNECQUE et CANET - Dictionnaire Latin - Français, Librairie Belin,1967, p 182.
9 . La marginalisation du psilogiste
Plus ou moins conscients des inférences subversives conjointes de la psikinésie et de l'effet de l'expérimentateur, les scientifiques orthodoxes se gardent bien de reconnaÎtre ces concepts et de s'engager dans ce qui ressemble à une impasse, une faillite, sinon une absurdité scientifiques. C'est d'ailleurs par le caractère apparemment absurde du discours psilogique qu'ils s'appuyeront pour rejeter au nom de la rationalité et de l'efficacité l'ensemble de la problématique psilogique.
Devant la multiplicité des contradictions que révèle le discours théorique de la psilogie, et le bien fondé apparent de certaines attaques émanant de la science conventionnelle, il est normal que l'engagement psilogique du chercheur se trouve menacé. Ce dernier risque d'être arrêté dans sa recherche :
S'il évite ces écueils, le chercheur est amené à se marginaliser à la fois du monde scientifique conventionnel (uniquement parce que celui-ci veut ignorer, l'ensemble de la problématique psi) et de ce qu'il faut bien appeler "l'orthodoxie psilogique", dont les tenants minimisent la portée des concepts psilogiques afin de préserver les miettes de crédibilité et de crédits qu'ils quémandent auprès de l' "establishment" scientifique, et peut-être aussi afin d'échapper à la profondeur de l'interpellation des phénomènes psi.
Le franc-tireur se retrouve désormais seul, écartelé entre l'approche expérimentale de type rigoureusement conventionnel qu'il a suivie et le caractère scientifiquement subversif du corpus factuel, conceptuel et interprétatif que cette approche a pourtant permis d'élaborer.
10 . Cosmotropisme versus ipsotropisme
Alors, au cœur du labyrinthe, il pourra être conduit à admettre l'existence de deux modes de connaissance radicalement opposés, contradictoires, l'approche cosmotrope de la recherche rationnelle, réductionniste, extérieure et collective, tellement efficace que le consensus social l'a adopté pour base, et la quête ipsotrope, affective, holiste, intérieure et individuelle, dépourvue de "retombées" scientifiques au plan social, si ce n'est du point de vue de la créativité,comme l'a illustré l'historien des sciences P. Thuillier.(9)
La position du chercheur qui admet et assume cette vision n'est pas de tout repos. Déstabilisé par rapport à son référentiel antérieur, il subit en permanence le déchirement de cette "double contrainte" qu'impose la bipolarisation cruciale générée par son adhésion aux deux interprétations cosmotrope et ipsotrope du réel, aux deux "lectures de l'univers", conventionnellement contradictoires. Sachant qu'elles sont toutes deux fondées, devinant qu'elles sont complémentaires, aiguillonné par le désir de résoudre ses propres dissonances cognitives, il n'aura pourtant de cesse avant d'avoir, pour lui-même au moins, réalisé l'improbable synthèse ...
11 . La psilogie, un jnâna yoga occidental ?
Par les différents paradoxes qu'elle met en lumière, la réflexion épistémologique de la psilogie débouche sur une absurdité apparente qui évoque celle d'un koan zen du genre : "quel bruit fait une main lorsqu'elle applaudit ?". Cette méditation discursive sur les contraires à laquelle le chercheur est acculé ressemble profondément à la manière de penser de type Janus, étudiée par le psychiatre A. Rothenberg et qui consiste à concevoir et utiliser au moins deux idées, concepts ou images contradictoires. Leur résolution conduit à des intuitions créatrices selon la "réaction Aha".
Mais l'antagonisme auquel se heurte le psilogiste est bien plus ample et fondamental. S'y trouvent impliqués non seulement l'intellect, mais toute la sensibilité, tout l'être du chercheur. Une décharge explosive éventuelle de la tension accumulée en lui par l'impasse de sa méditation, un achèvement en fusion de ce qui semblait en collision, peuvent être vécus comme une réaction plus que créatrice. C'est la "réaction Ah", illuminative, ainsi que l'a étudiée A. Koestler. (10)
Ainsi, ultime paradoxe de la psilogie, la vraie richesse de cette discipline pourrait résider dans la contradiction fondamentale et multidimensionnelle à laquelle conduisent ses recherches expérimentale et théorique.
La fonction d'individuation remplie jadis par l'alchimie pourrait être la vocation effective de la psilogie, les recherches en laboratoire et sur le terrain ayant pour véritable fin de servir de déclencheurs puis de supports à la méditation discursive sur le possible, sur la dialectique des couples antinomiques (intimus/extraneus, final/causal, potentiel/manifesté, ipsotrope/cosmotrope, ordre/hasard, etc.) et sur les limites de cette méditation par le confinement dans quelque absurdité épistémologique. Il est vrai que certaines problématiques de la science conventionnelle suscitent des réflexions analogues, mais celles-ci, à ce jour, ont été généralement moins globales, n'impliquant pas aussi vitalement le chercheur et touchant moins directement l'ontologie.
En somme, la finalité de la psilogie, de même que celle d'un koan zen, serait de faire découvrir au méditant, par tout son être, combien l'essence de l'existence diffère de celle de l'intelligible. La réflexion psilogique ne serait rien d'autre qu'une forme occidentale et moderne de "yoga de la connaissance", de "jnâna yoga".
Si le philosophe G. Marcel a pu dire que "la méditation sur ces faits (les phénomènes psi) nous oriente vers une transcendance" (11) , on peut ajouter qu'elle y conduit même, selon un mécanisme qui reste encore largement obscur, mais dont le "ressort" émanerait de la tension des contraires. En effet, s'il refuse toute vision unitive facile, s'il reconnaît et assume l'impasse épistémologique à laquelle semble aboutir l'étude expérimentale et théorique du psi, il se peut que le chercheur résolve les contradictions qui l'écartèlent par leur dépassement, par une déstabilisation radicale, une subversion de son interprétation du monde et de lui-même, mêlant à l'intellect inducteur d'autres dimensions plus profondes de son être dans quelque impérience (in, intérieur ; perire, aller à travers) illuminative.
La créativité pouvant naître éventuellement d'une névrose, il n'est pas exclu qu'une saisie profonde du sens du psi nécessite une impérience paroxystique, donc transitoire mais à caractère psychotique. Notons que ce n'est pas parce qu'un discours psilogique débouche sur une telle idée qu'il faut en inférer sa fausseté. En outre cette remarque n'entre pas en conflit avec la préoccupation d'hygiène psychosociale qui est une des fonctions majeures du psilogiste. Bien au contraire, si ce dernier a conscience d'un tel débouché éventuel, au moins chez certaines personnes sensibles à la méditation discursive, il sera d'autant plus en mesure d'avoir une relation d'aide efficace envers les sensitifs qui éprouvent ce genre de processus et compréhensif vis-à-vis de ceux qui l'éludent de différentes manières. Notons enfin qu'un tel processus d'évolution ipsotrope par déstabilisations et rajustements successifs est connu sous des noms divers selon les écoles de psychologie (processus d'individuation de C.G. Jung, d'actualisation de soi d'A. Maslow, de désintégration positive de K. Dabrowski, de psychosynthèse de R. Assagioli ... ).
Il vient alors qu'une saisie profonde du sens du psi chez une personne semble proportionnelle à sa capacité, préalable à son impérience, de supporter le déchirement des contraires et la frustration d'une synthèse, d'assumer le vide interprétatif.
Simone Weil, philosophe et mystique, dont la profonde méditation a porté notamment sur ce thème écrivit, se référant au pythagorisme : "La contradiction est l'épreuve de la nécessité ... éprouvée jusqu'au fond de l'être, c'est le déchirement, c'est la croix. Quand l'attention fixée sur quelque chose y a rendu manifeste la contradiction, il se produit comme un décollement. En persévérant dans cette voie, on parvient au détachement ... la bonne union des contraires se fait sur le plan au-dessus." (12)
Remarquons que c'est dans son corps et donc par l'articulation psychosomatique, que le chercheur intègre sa réflexion, qu'il fait sa synthèse. On connaît en effet les réactions psychosomatiques de la résolution d'un koan ou les aspects psychosomatiques du processus ipsotrope, en particulier dans les impériences du type physio-kundalini, lors desquelles le tronc cérébro-spinal semble pouvoir se confondre avec l'"axe du monde".
12 . La "montée en théologie" de la psilogie
Voici un discours qui paraît non seulement téléologique (vocation, finalité de la psilogie), mais aussi manifestement théologique (illumination, transcendance, mystique). On sait combien l'orthodoxie psilogique évite de se compromettre dans ce domaine.
Le consensus social actuel impose à la science d'être neutre à ce point de vue, ou alors franchement athée. Les théologiens pourraient donc être surpris favorablement de voir une science tenir un discours plutôt apologétique vis-à-vis de certains de leurs dogmes, habitués qu'ils étaient depuis deux siècles à en découdre durement avec la science. En outre, la psilogie présente cette originalité, apparemment, de ne pas "descendre" d'une révélation, mais au contraire de "monter" de l'investigation scientifique de type classique.
(9). THUILLIER,P.- "la physique et l'irrationnel", in La Recherche, n°111, mai 1980, pp 582-587.
(10). KOESTLER, A.- Janus. Paris : Calmann-Lévy, 1979, p 143.
(11). MARCEL, G. -"L'ambiguité fondamentale de la réalité psi" , in AMADOU, R. La Science et le Paranormal. Paris : IMI, 1955, p 217.
(12). WEIL, S. - La Pesanteur et la Grâce. Paris : Plon, 1948, collection 10-18, pp 106-107.
Cependant, certains phénomènes dont la psilogie affirme l'existence, tels que le psi animal ou l'impérience de "hors-corps", demeurent pour de nombreux théologiens des attaques directes de dogmes en place ; en outre, il n'est pas bon que la foi devienne certitude à la lumière trop crue de la science.
Pour ces raisons, la psilogie se retrouve entre les deux chaises, la méthodologie scientifique et la révélation, le doute systématique et la foi, sur lesquelles sont assis les deux grands modes d'appréhension du réel. Science et religion préfèrent se la renvoyer dos à dos, craignant qu'elle ne se révèle un cheval de Troie envoyé par l'autre.
Par contre, la "montée en théologie" de la psilogie convient aux contactés, médiums ou mystiques, dont la sensibilité ou le vécu ont pu les affranchir quelque peu des dogmatismes rigides (au risque certes de les plonger dans leurs propres fantasmes) et qui n'ont cessé de répéter que "les pouvoirs psychiques constituent parfois l'appât, attirant le futur dévot aux pieds du Seigneur de l'Univers.(13)
13 . L'enjeu cosmique du psi
Ce qui fait la spécificité de la psilogie par rapport aux techniques de déconditionnement comme les koans, c'est qu'elle repose ou prétend reposer sur des faits. Par sa base empirique et la "montée" de son discours aux plans épistémologique et ontologique, elle se présente en quelque sorte comme une philosophie expérimentale. C'est comme si l'adepte du bouddhisme zen faisait naître sa réflexion non plus d'une question de son maître, mais d'avoir entendu quelque jour une main applaudir toute seule.
Alors se pose la question de savoir si le cosmos lui-même joue les maîtres zen, faisant "applaudir des mains solitaires" pour provoquer l'amorce d'une méditation ipsotrope chez les individus qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre et assez de discrimination pour déceler la contradiction née de ces deux esthésies. Alors, l'univers ne serait plus tant une machine, comme le proposait H. Bergson, qu'un "poltergeist" à faire des dieux. A l'évidence, le problème de la finalité est soulevé et dans son aspect le plus crucial.
14. La finalité en sciences
Il est certain que la finalité est subjective par essence et que, pour un même fait, de multiples interprétations peuvent être avancées ; d'où l'extrême prudence des scientifiques à ce sujet, qu'ils résument par cette formule bien connue, où se dissimule leur neutralisme : la science cherche à comprendre le "comment" et non le "pourquoi".
En particulier on connaît la volonté des biologistes d'expurger leur discipline de toute notion de finalité. Il est vrai que celle-ci s'inscrit très difficilement dans le contexte théorique actuel, basé sur la prépondérance du hasard.
Pourtant, les plus pointilleux des biologistes, comme le fut J. Monod, ne peuvent faire autrement que d'admettre au moins une certaine forme de finalité, même s'ils l'appellent prudemment "téléonomie"(14). Celle-ci se révèle jusque dans la dénomination des objets biologiques, basée plus sur leur fonction apparente que sur leur structure (mélanophore, polymérase, répresseur ... ).
De même, les cybernéticiens, méditant sur la propriété de "causalité circulaire" que présentent les boucles de rétroaction, furent contraints d'abandonner le principe de causalité et d'introduire la notion de finalité, d' "intention", dans le monde des machines puis des êtres vivants, comme l'a illustré le biologiste J. de Rosnay. En effet, c'est sur le nombre et l'intrication de ce genre de boucles, de ces serpents qui se mordent la queue, qu'est basée la complexité et l'unité de l'homéostasie du holon* individuel.
D'après l'approche systémique du théoricien L. von Bertalanffy, tout système est un ensemble d'éléments en interaction dynamique organisés en fonction d'un but. Il s'ensuit que la mise en évidence d'un certain système dans un domaine quelconque, la biologie, la sociologie ou même la psilogie, introduit ipso facto dans ce domaine la notion de finalité, certes dans l'acception propre à cette approche.
15. Le caractère finalisé du psi
Dans les diverses formes d'hypothèses énergétiques ou informationnelles sur la nature du psi que l'on propose habituellement, le caractère finalisé de celui-ci est peu développé. En se polarisant sur les prétendus "supports", "canal" ou "énergie" du psi, on élude le problème de son sens.
*HOLON : voir p 40.
(13). HAMSANANDA, S. - La Réintégration Divine par le yoga. La baume de Castellane : Le mardarum, 1974, p 324.
(14). MONOD J. and JACOB, F. - Teleonomic Mechanisms in Cellular Metabolism, Growth and Differentiation. Cold Spring Harb. Symp. Quant. Biol., 26, pp 389-401.
(15). ROSNAY, J.de - Le Macrocosme. Paris : Seuil, 1975, p 210.
De nombreux chercheurs ont admis pourtant l'orientation vers un but , le caractère intentionnel des manifestations du psi. Cependant, les avis diffèrent profondément dès qu'il s'agit de préciser quels types de buts le psi poursuit, de quelle nature est l'instance responsable du caractère finalisé.
Le fait de reconnaître l'existence de phénomènes comme la "circumnutation paranormale" d'une vrille végétale en direction d'un support proche, le "guidage par le psi', (psitrailing) chez certains animaux domestiques ou le retour au pigeonnier (homing), équivaut à admettre que le psi est au service des motivations de l'individu. Celui-ci peut être une plante, un animal ou un humain, comme dans le modèle PMIR* de R.G. Stanford. Et c'est tout l'enjeu de la reconnaissance du psi végétal du animal spontané de montrer que le psi peut se manifester éventuellement dans le vécu d'espèces autres que l'homme et dont les motivations sont apparemment dépourvues de toute tension transcendantale. Un danger cependant de cette reconnaissance réside dans la tendance à réduire l'homme à sa seule dimension animale et à négliger ainsi les aspects du psi qui peuvent lui être spécifiques.
Justement, certaines formes de psi humain spontané présentent des caractéristiques nouvelles. Par exemple on ne rapporte pas de cas de PKS ("poltergeist") induit par un animal. D'autre part, il ne fait plus aucun doute que la psyché humaine, par sa complexité, ses méandres inconscients, peut tout autant servir que desservir les buts conscients de l'individu. Diverses données indiquent qu'il en est de même pour le psi. Une "psipathologie de la vie quotidienne" reste à faire, couvrant une gamme de phénomènes allant des actes manqués au psi négatif (psi missing). Enfin, si le psi se rencontre à l'évidence, dans le monde profane, s'il peut émerger dans l'état ordinaire de conscience d'un individu, il est manifeste que ses occurrences sont plus importantes en fréquence comme en qualité lorsque la personne est placée dans des situations "hiérophores" (hiéros, sacré ; phorein porter) , génératrices d'états non ordinaires de conscience (ENOC*) comme éventuellement lors d'un stress, d'une hypnose, d'une extase, d'une agonie ...
Notre propos était de savoir si certaines occurrences au moins de phénomènes psi ont pour finalité de servir de déclencheurs et de supports à la méditation discursive sur des thèmes précis. Dans ce cas, la finalité ne serait plus alors circonscrite au seul phénomène, mais pourrait s'étendre éventuellement à la régulation de l'émergence de multiples phénomènes psi répartis dans l'espace et dans le temps. Pour mettre en évidence de telles "convergences interpellatives", il est désormais nécessaire de porter aux plans sociologique et historique le point focal de l'investigation psilogique. L'étude qui suit est un exemple de convergence interpellative, dans laquelle les déclencheurs sont de nature biologique, alors que la finalité, qui n'apparaît vraiment qu'au plan sociologique, semble manifestement relever de la problématique psilogique.
16 . Une convergence interpellative à déclencheurs biologiques
Les trois domaines d'expérimentation suivants :
semblent présenter des problématiques similaires. Celles-ci s'étagent selon trois niveaux :
la psikinésie dans les cas de "téléplasma" ou de guérison psi ;
la tentative d'un expérimentateur d'introduire par suggestion hypnotique des vésications sur le corps d'un patient, comme dans les expériences de l'hypnologue L. Chertok (16) ;
une nécessité vitale, conduisant à l'hérédité d'un caractère acquis. Le lamarckien P. Kammerer affirma que, dans ses expériences sur des salamandres et des crapauds, cette nécessité (la reproduction dans un milieu étranger à l'espèce) fut responsable de l'apparition de caractères nouveaux (callosités, etc.) transmissibles aux générations suivantes.(17)
v
au plan social, les chercheurs des trois domaines sont des marginaux, au statut parfois très précaire. Ils préservent leur crédibilité en restant prudents ou évasifs quant aux conséquences de leurs recherches, n'allant pas semble-t-il jusqu'au bout des inférences que permettraient pourtant leurs résultats. Ils louvoient avec l'orthodoxie pour être reconnus ou au moins tolérés. Pour cela, ils évitent de se compromettre avec les autres domaines marginaux dont la problématique est pourtant semblable. Sinon, ils sont rejetés à la fois par l'orthodoxie et par les tenants de leur domaine qu'ils menacent. Le degré d'exclusion va de la simple marginalisation à la campagne de diffamation organisée, comme pour P. Kammerer.Ainsi, les trois domaines expérimentaux présentent des problématiques structurées de façon apparemment semblable. Cette mise en évidence d'un tel cas de convergence interpellative amène à élargir le champ de la psilogie expérimentale et à considérer que certains chercheurs appartenant à des disciplines diverses peuvent se placer involontairement dans une problématique psilogique parce que les questions qu'ils posent ou l'expérimentation qu'ils conduisent relèvent en fait de la psilogie.
Tout se passe en effet comme si toute tentative, de quelque discipline qu'elle émane, psilogique ou non, de démonstration de l'influence déterminante et non conventionnelle de l'intimus sur la structuration d'une cible apparemment externe et étrangère devait conduire inéluctablement à des résultats non reproductibles, de "clair-obscur", comme si les caractères interpellatif et subversif que semble présenter toute démonstration d'une telle influence devaient être compensés par le caractère élusif des résultats obtenus.
17. La notion de psiphanie
Cette problématique se retrouve plus ou moins clairement dans plusieurs autres domaines d'investigation, également marginaux qui étudient la "surgie" de phénomènes extraordinaires, pour reprendre l 'excellent terme de J. Guitton (18) :
. l'étude des hiérophanies (hiéros, sacré paraître), telles que les apparitions de la Vierge, les christophanies, etc.;
. l'ufologie ; c'est d'autant plus évident qu'on adopte l'hypothèse psikinésique.
A la suite d'un certain nombre d'auteurs qui ont déjà tenté de rapprocher les diverses "apparitions" (téléplasma, OVNIs, mariophanies ... ), et afin de bien mettre l'accent sur la nature éminemment finalisée de ce genre de phénomènes psi, nous pouvons désigner par le concept de psiphanie tout phénomène présentant les caractéristiques suivantes :
. il est interpellatif : sa surgie contraint intuitivement, dans l'ici-maintenant, à une révision profonde de la conception conventionnelle de la réalité et du possible ;
. il est élusif : sa manifestation est généralement de courte durée ou n'est pas reproductible. Il semble esquiver toute objectivation poussée ;
. il est subversif : sa surgie se traduit chez le témoin ou le chercheur par une profonde déstabilisation de l'interprétation du monde et de lui-même, immédiatement ou à long terme. Il pose en particulier le problème crucial de la possibilité que l'intimus puisse agir sur l'extraneus, selon un mode non seulement inexpliqué, mais ignoré dans le cadre de la science conventionnelle.
Il convient de bien préciser la différence entre un phénomène psi et une psiphanie. Dans les deux définitions du psi proposées au début de l'article il n'est fait aucune allusion à sa finalité. Dans celle d'une psiphanie, au contraire, la finalité du phénomène est reconnue et analysée selon ses différentes caractéristiques : interpellative, élusive et subversive. Ainsi, un phénomène psi ne peut être reconnu comme une psiphanie qu'après qu'on en ait décelé ses trois caractéristiques finalisées. Il n'y a donc psiphanie que pour les individus qui l'ont reconnue comme telle.
*PMIR : Psi-Mediated lnstrumental Response. Modèle d'après lequel "en présence d'un besoin particulier, l'organisme utilise la PE aussi bien que les voies sensorielles pour "balayer" son environnement, à la recherche d'objets et d'événements qui conviennent à ce besoin et d'information associée à de tels objets et événements" (in Krippner, S.(Ed.) - Advances in Parapsychological Research. 2. Extrasensory Perception. New-York : Plenum Press, 1977, p 280.)
*ENOC : Etat Non Ordinaire de Conscience. Cette expression semble être à ce jour la moins mauvaise traduction de son équivalent américain "altered state of consciousness". Elle désigne tout état de conscience différent de l'état "conventionnel" de veille, comme le rêve, la transe, la "conscience cosmique",etc.
(16). CHERTOK, L. Le Non-Savoir des Psy. L'hypnose entre la psychanalyse et la biologie. Paris : Payot, 1979.
(17). KOESTLER, A. L'Etreinte du Crapaud. Paris : Calmann-Lévv, 1972.
(18). GUITTON, J. - "Soucoupes Volantes et Science-Fiction", in Revue Métapsychique, n°25, 1978, pp 15-20.
18 . Les invariants dans les surgies psiphaniques
Cette téléonomie fondamentale qui émane de la nature même des psiphanies, nous pouvons la retrouver dans la régulation des surgies psiphaniques à condition d'en entreprendre l'étude au plan adéquat, à savoir le holon* social dans ses dimensions dia - et synchroniques.
Ainsi, le chercheur qui s'efforce de dégager les invariants dans les occurrences de psiphanies en laboratoire ou sur le terrain pourra découvrir les constantes suivantes :
. les sensitifs semblent plus contrôlés par leurs facultés psi qu'ils ne les contrôlent. Il n'est donc pas justifié de parler de "pouvoirs". Selon le psychanalyste J. Eisenbud, la finalité première du psi "n'est pas du tout celle de l'individu, mais celle d'une hiérarchie ascendante de systèmes interreliés dans laquelle l'individu n'est qu'un vague messager." (19)
. le psi, source finalisée des psiphanies, parait faire des incursions épisodiques dans notre monde physique en s'abstenant de laisser des preuves de son existence qui puissent emporter l'adhésion unanime. Ainsi, il subsiste toujours un détail, si infime soit-il, sur lequel, en retour d'une vague interpellative "pro-psi" suscitée par la surgie puis l'étude d'une psiphanie donnée, pourra s'appuyer une vague "anti-psi" qui rejettera l'ensemble du phénomène ("gismo" de T. Serios, fils de nylon à Rosenheim, trous dans les boules à "scrunches" de J. Hasted ... ) ;
. le psi apparaît d'une sagacité extraordinaire, bien supérieure à celle de la personne à laquelle on attribue le déclenchement inconscient des phénomènes (appels téléphoniques à l'horloge parlante par "crypto-PK" dans le cas de PKS de Rosenheim), d'une espièglerie manifeste, en particulier auprès des chercheurs qui s'efforcent d'objectiver le phénomène. Par exemple, la caméra tombe en panne au moment même où le sensitif parvient à réaliser un effet PK manifeste. Le psi brouille les cartes et conduit parfois à un "festival de l'absurde".
19. Le psi, objet ou sujet ?
Considéré jusque-là comme un objet d'expérience, le psi peut apparaître désormais comme un sujet, à la lumière des caractéristiques des psiphanies et de la régulation de leur surgie.
La comparaison entre les possibilités de l'homme et celles du psi est apparemment à l'écrasant avantage de ce dernier. On peut alors s'interroger sur le bien fondé des recherches où l'on croit pouvoir l'étudier. Tant qu'il s'agit de rats, de singes, de dauphins, de fourmilières ou même d'ordinateurs, l'homme peut justifier ses recherches sur leur intelligence en s'appuyant sur sa prétention à les dominer nettement, se posant sur ce plan comme le fleuron de toute la noosphère. Par contre, au regard des capacités potentielle du psi, que l'on présume, le bien fondé de certaines recherches en laboratoire ou sur le terrain peut être contesté si l'on se demande qui, de l'expérimentateur ou du psi, cherche ou s'amuse à traquer l'autre.
En outre, il semble que diverses vagues de phénomènes psi ont orienté successivement ou simultanément la réflexion des chercheurs sur les sujets suivants
La recherche de la finalité du psi doit-elle alors être poussée jusqu'à admettre une orientation délibéré de la réflexion psilogique, ou même plus généralement scientifique, sur certains thèmes ?
Enfin, faut-il aller jusqu'à cette extrême, comme l'ont fait certains membres de la Parapsychological Association, d'attribuer au psi les propriétés d'omniscience et d'omnipotence que l'homme ne décerne habituellement qu'aux déités ? (20)
*HOLON : (holos, tout ; suffixe on, partie) ; A. Koestler définit ainsi ce concept qu'il a créé : le holon désigne les entités à face de Janus aux niveaux intermédiaires de toute hiérarchie que l'on peut décrire soit comme des totalités soit comme des parties, selon qu'on regarde "d'en bas" ou "d'en haut" ... Il peut s'appliquer à tout sous-ensemble biologique ou social stable manifestant un comportement régi par des règles et (ou) une constante de Gestalt structurelle ... Ainsi, l'individu constitue le sommet de la hiérarchie organique et en même temps l'unité la plus basse de la hiérarchie sociale. Koestler propose en outre le concept d'holarchie pour désigner toute hiérarchie de holons.
(19). EISENBUD, J. - Psi and Psychoanalysis. New-York : Grune & Stratton, 1970. p 337.
(20). BOWLES, N. and HYNDS, F. - Psi Search. San Francisco : Harper & Row, 1978, p 11.
20. Les limitations du potentiel psi
En fait, plus que de savoir ce que le psi peut accomplir, il est intéressant désormais de s'interroger sur les performances qu'il ne peut pas réaliser.
Il semble justement que le psi ne peut pas ne pas être élusif. Malgré ses potentialités fantastiques, il ne peut se manifester que de façon particulièrement fugace. Mieux, on devine que c'est à ses potentialités mêmes qu'il doit son caractère sporadique. Cette élusivité est en outre un reflet de sa nature indéterminée et finalisée. Il est d'ailleurs à ce point élusif que l'individu "anti-psi" trouvera qu'à son goût cette élusivité mériterait plutôt le nom d'inexistence.
En plus de son caractère élusif, il est manifeste que les occurrences du psi dépendent d'autres contraintes. Certaines d'entre elles semblent refléter une symbolique plus ou moins évidente. Par exemple, pourquoi rapporte-t-on plus de jets de pierres spontanés que de lévitations de pâquerettes ? Pourquoi ces pierres sont elles souvent chaudes ? etc. Ces contraintes apparentes du potentiel psi, qu'elles soient imposées à celui-ci, qu'il se et nous les impose ou que nous nous les imposions à travers lui, nécessitent des études, si ce n'est en laboratoire, au moins sur le terrain.
L'investigation en psilogie semble donc encore justifiée, mais il est évident que le psilogiste diffère profondément de ses collègues chercheurs des disciplines conventionnelles. Il doit être conscient, dans l'intérêt même de ses recherches, de son union à son sujet d'étude, de la dissolution du cadre expérimental -qu'engendre la nature indéterminée du psi - et de la finalité interpellative, élusive et subversive de certaines au moins des manifestations psi.
Ainsi, l'expérimentateur devrait privilégier un recul théorique notable avant de conduire ses recherches même si, éventuellement, il devait payer sa lucidité d'une diminution qualitative ou quantitative de son activité et de son efficacité expérimentales.
21 . La notion de holon transpersonnel
Il fut courageux de reconnaître en leur temps la réalité de concepts comme l'effet de l'expérimentateur, la psikinésie, le conformisme doctrinal, l'indétermination fondamentale, la suggestion posthypnotique, etc. Cependant, nous avons vu qu'une extension de la problématique psilogique au plan sociologique s'impose, par la mise en lumière de l'importance de la dimension psychique de l'obstacle, de la dissolution du cadre expérimental qui en découle et de l'existence de convergences interpellatives émanant de disciplines fort diverses. Cette ouverture au holon social conduit à admettre que les concepts habituels de la psilogie sont en eux-mêmes insuffisants pour rendre compte de la nature et des conditions d'occurrence de ces phénomènes psi particuliers que sont les psiphanies, aux trois caractéristiques finalisées. Il convient de les élargir, de les faire converger et de les intégrer dans un concept plus global si l'on cherche à comprendre le comment et le pourquoi des surgies psiphaniques et de la dynamique sociologique de la sempiternelle polémique "pro/anti-psi" qu'elles engendrent, la résistance à la reconnaissance de la réalité des phénomènes psi semblant, comme l'a noté le psychanalyste J. Ehrenwald, "faire partie intégrante du syndrôme psi,(21)
L' étude, à la fois dia - et synchronique, des surgies psiphaniques, conjointement aux plans des holons individuel et social, devrait permettre de progresser dans la compréhension de leur nature, de leur régulation et de leur sens. La réflexion nous oriente vers une approche globale, une éthologie de cette espèce de "dahu" qu'est le psi et dont le territoire semble s'étendre sur l'ensemble du champ des activités humaines.
A titre d'hypothèse de travail et en prenant pour base les concepts d'inconscient collectif de C.G. Jung, de holarchie d'A. Koestler et de géopsyché de M.A. Persinger, on peut proposer le concept de holon transpersonnel pour désigner l'éventuel système qui présiderait à la régulation des surgies psiphaniques :
En outre, ce terme renvoie évidemment à la psychologie transpersonnelle dont le postulat de base veut que la psyché soit fondamentalement transpersonnelle.(22)
Le holon transpersonnel peut être considéré comme un système de régulation ayant pour fonction de contrôler au plan du holon social l'articulation intimus/extraneus, c'est-à-dire l'ingérence de la subjectivité dans la structuration du monde objectif, la diffusion de la croyance en cette ingérence, l'ampleur de sa marque sur l'imaginaire social.
Régissant les articulations psychosomatique, psychophysique et transpersonnelle par le contrôle de l'articulation cruciale intimus/extraneus, le holon transpersonnel serait un double système de contrôle :
. normalement il réprimerait toute manifestation du potentiel psi en dehors du "canal" naturel et commun de l'articulation psychosomatique, par lequel la psyché individuelle peut agir sur le névraxe, éventuellement par psikinésie comme l'a proposé le neurophysiologiste J. Eccles (23) ;
. selon une homéostasie couplée des plans individuel et transpersonnel, il autoriserait la surgie de psiphanies spécifiques et pertinentes, en adéquation avec les témoins, les chercheurs et la société dans leurs dimensions dia - et synchroniques.
Il serait donc responsable des différents plans téléologiques que l'on peut dégager des manifestations psiphaniques :
22 . La répression du potentiel psi
Si l'on admet l'existence du psi et ses propriétés d'omniscience et d'omnipotence, il nous faut alors admettre que celles-ci doivent être réprimées de quelque manière, et même autoréprimées, pour qu'il y ait structuration d'une certaine réalité, c'est-à-dire à la fois un "quelque chose" sur fond de néant et un "trou spécifique" sur fond de totalité.
L'interprétation conventionnelle du monde et de lui-même de l'individu humain correspond à un stade actuel de cette répression. En fait, les théories des évolutions physique et biologique semblent montrer que, s'il dut y avoir à l'origine répression fondamentale, celle-ci subit depuis, chronologiquement, un mouvement de dérépression déjà fort avancé, fruit du "barattage" sur plusieurs milliards d'années de l'intimus et de I'extraneus, les deux pôles fondamentaux sur lesquels s'articule le statut contradictoire de l'être dans le monde, de l'être vivant.
Nous avons déjà noté l'importance de ce statut chez l'homme. En tant que soma, externe, identification en retour de lui-même, persona, il est conventionnellement un individu de son groupe social, un exemplaire de son espèce, une partie infime du cosmos. En tant que psyché, il est intimement l'Interprétation du monde et de lui-même, une totalité, riche du potentiel psi réprimé. Dans l'ici-maintenant "coloré" spécifiquement par l'articulation intimus/extraneus qui lui est propre, l'homme est les deux à la fois. Une dérépression du potentiel psi ne semble possible qu'au prorata de la profondeur de la saisie par le Champ de conscience de son solipsisme radical, de sa connaturalité avec le psi, de l'indétermination fondamentale de son être.
Selon la théorie de la répression du potentiel psi, l'ingérence de I'intimus dans l'extraneus est réprimée totalement, sauf à travers le canal naturel de la relation consciente psyché-soma. Pour satisfaire un désir, l'individu doit employer les voies sensori-motrices conventionnelles.
Mais cette répression semble présenter chez l'homme des effets négatifs importants : la psyché consciente, par trop limitée et identifiée à son vecteur, le soma, perd de vue sa nature foncièrement transpatiale, transtemporelle et transpersonnelle. Le développement de la science, inéluctablement cosmotrope, ne peut que la renforcer dans ce sens. En particulier, l'approche scientifique des phénomènes psychophysiologiques, par l'extérieur, conduit à retourner le statut ontologique de la psyché. De fondement, celle-ci devient simple épiphénomène, vouée au néant lors de la destruction de son support physique. Le caractère inéluctable et insupportable de cette perspective individuelle amène, au niveau social, un refoulement de l'idée de la mort, un biaisage de la problématique thanatologique, risquant de conduire paradoxalement à une société mortifère, comme l'a analysé l'anthropologue L.V. Thomas.(24)
23 . La dérépression du potentiel psi
A l'opposé, un développement du potentiel psi n'est pas sans risques. Sous l'emprise de sa volonté de puissance, l'individu est tenté de chercher à développer ses éventuelles facultés psi afin de s'affranchir de certaines des contraintes que lui impose le déterminisme, sans avoir conscience que c'est sur la nécessité d'airain de celui-ci qu'est basée sa sécurité existentielle.
(21). EHRENWALD, J. - in Journal of Parapsychology, Vol. 35, n°4, december 1971, p 292.
(22). WILBER, 9. - "A developmental view of consciousnes", in Journal of Transpersonal Psychology, Vol. 2, n°1, 1979, p 33.
(23) J. ECCLES, J. - The Neurophysiological Basis of Mind. Oxford : 1953, pp 276-277.
(24). THOMAS, L.V.- Anthropologie de la Mort. Paris : Payot, 1975.
En effet, tant que la personne veut conserver son référentiel social et, plus fondamentalement, exister, il ne "faut" pas que son être intime soit "déballé", non seulement à la conscience d'autrui, mais aussi à la sienne propre ; réciproquement, elle n'a que faire de l'intimité des quatre milliards de ses congénères. Il ne "faut" pas sous peine de viol du Champ de conscience, de vertige, de folie ou de mort qu'elle détruise par le psi les barrières sur lesquelles est bâtie son identité (persona, cénesthésies, interprétation conventionnelle du monde basée sur le sens du temps, la causalité, la matérialité, l'indépendance de l'observateur par rapport à l'observation ... ). Pour qu'il puisse y avoir individu et société, communication et non communion, il ne "faut" pas que se réduise à "l'un sans second" ce fondement de l'existence individuelle qu'est la dualité intimus/extraneus, et qui ne se maintient que par l'ignorance ou l'oubli par le Champ de conscience de l'identité en Soi de ces deux termes. Il ne "faut" pas que "je" s'identifie au monde, à l' "axe du monde".
Le développement, ou plutôt le dévoilement du potentiel psi, par la levée des barrières physiques ou psychiques de l'articulation intimus/extraneus, débouche sur le vide, un vide peut être gros du Tout, mais appréhendé d'abord comme Néant ; certains adeptes de la technique dite de rétroaction biologique ont pu s'en rendre compte, et plus encore ceux qui pratiquent avec assiduité certaines formes de méditation. Seuls, éventuellement, de rares individus qui se sont longuement préparés à la privation sensorielle, au détachement., seraient capables de générer d'eux-mêmes et d'assumer un haut degré de vacuité, d'unité et de gratuité. La connaissance de cet état non ordinaire de conscience pourrait se réaliser dans l'ici-maintenant de l'articulation intimus/extraneus, et en particulier de l'articulation psychosomatique, comme lors d'une impérience du type physio-kundalini provoquée.
24 . La dynamique psiphanique
L'ensemble de la dynamique psiphanique, régulée aux deux plans du holon transpersonnel et du holon individuel, serait un compromis nécessaire et viable entre ces deux extrêmes. Tout se passe comme si le holon social ne pouvait fonctionner qu'en ménageant la chèvre de la dérépression et le chou de la répression du potentiel psi. Ce clair-obscur serait obtenu et entretenu par la dérépression de psiphanies pertinentes au sein d'une population donnée, venant interpeller et déstabiliser un certain taux d'individus quant à leur croyance en la possibilité de l'ingérence de l'intimus dans l'extraneus, générant ainsi toute une dynamique sociale qu'amplifient les médias.
De par son double caractère nécessaire et subversif, ce taux de psiphanies déréprimées et d'individus déstabilisés ne pourrait fluctuer en temps normal qu'entre deux limites inférieure et supérieure bien précises. Ainsi, ces dérépressions régulées par l'homéostasie du holon transpersonnel seraient suffisantes pour maintenir les fonctions d'interpellation et de déstabilisation propres aux psiphanies, mais insuffisantes pour conduire à des applications, à un apprentissage du psi ou à une adhésion unanime quant à son existence.
Le caractère élusif des psiphanies et la dynamique "anti-psi" que leur étude déclenche invariablement constituent les facteurs de rétroinhibition indispensables, capables de contrer le danger d'emballement dû à leurs caractères interpellatif et subversif. Ainsi les psiphanies , par nature, contiennent en elles-mêmes les facteurs de régulation qui ne se révèleront pleinement qu'au plan sociologique.
Il semble en outre que le taux moyen des surgies psiphaniques ne varie guère d'une population à l'autre, que le consensus social se soit fait autour de I'inexistence du psi ou au contraire de son omniprésence. En d'autres termes, d'après le modèle proposé, la croyance en une origine du psi extérieure à soi ne serait pas plus dérépressive vis-à-vis des surgies psiphaniques que sa négation. Au contraire, ce serait cette négation, dépassant un certain seuil critique, qui pourrait même susciter la dérépression psiphanique. On voit combien cette idée, qui provient d'une réflexion au plan global et non local, entre en contradiction avec les résultats de l'étude du psi en laboratoire où les "moutons", qui croient à l'existence du psi, produisent significativement plus de psi que les "boucs" qui n'y croient pas, et donc en définitive, combien les propriétés des psiphanies émanant de l'homéostasie du holon transpersonnel diffèrent de celles du psi de laboratoire.
Il semble donc que le véritable dérépresseur du potentiel psi n'est pas tant la croyance au psi que la saisie par le Champ de conscience, dans ses dimensions intellectuelle, intuitive, émotive et sensorielle, de sa connaturalité avec le psi. Celui-ci n'est plus alors considéré comme extérieur à soi, mais comme "allant de Soi", cette expression devant être prise dans ses deux sens d'évidence et d'ipsocentrisme. Il y a identité entre "ipséité" et "psi-ité". De tels individus intimement persuadés de leur connaturalité avec le psi ne sont légion dans aucune société, qu'elle soit animiste ou matérialiste, sauf éventuellement dans quelques microsociétés qui les regroupent spécifiquement et qui sont, en effet, réputées pour l'intensité que semblent y prendre les phénomènes psi.
25 . La dynamique "pro/anti-psi "
Les psiphanies se succèdent par vagues au sein de la population et viennent interpeller celle-ci par le jeu des médias. Ne répondent à l'interpellation de telle vague spécifique (mariophanie, torsion de métal, OVNIphanie ...) que ceux qui y ont été directement confrontés ou du moins préparés à l'accepter, de par leur idiosyncrasie.
La surgie d'une psiphanie, puis son étude par des individus "pro-psi", précèdent de peu leur contestation quasi complète, fondée ou non, par des individus "anti-psi", représentants du consensus social basé sur la science conventionnelle. Ainsi, la dynamique de régulation négative entretenue en France par les Cahiers Rationalistes, Raison Présente et, plus populairement Science et Vie, et aux Etats-Unis par the Humanist, the Skeptical Inquirer, fait partie intégrante, au plan sociologique, de la problématique psi. Remarquons sur ce point le recul critique dont fait preuve M. Truzzi dans sa revue the Zetetic Scholar dont l'équipe rédactionnelle est composée aussi bien d'individus "anti-psi" que "pro-psi".
L'absence de preuve péremptoire susceptible d'amener l'adhésion unanime de la population laisse au plan collectif toutes les portes ouvertes et chacun peut s'affirmer en toute bonne foi rationaliste, spiritualiste, "pro-psi", "anti-psi", "a-psi", etc. Seul demeure à long terme, des psiphanies, leur caractère déstabilisateur sur l'interprétation du monde et d'eux-mêmes de certains individus et ses conséquences dans leur vie. Que l'on songe aux diverses psiphanies que C.G. Jung a rencontrées tout au long de son existence, au rôle primordial qu'elles ont joué dans la maturation de sa pensée ( en particulier dans la prise de conscience suivante : "j'avais fait l'expérience vivante que je devais totalement abandonner l'idée de la souveraineté du moi."(25)) et au contraire à l'absence de psiphanies dans la vie d'un J. Rostand ou d'un J. Monod, malgré leur ouverture intellectuelle certaine, amenant des cheminements bien différents de leurs réflexions.
26 . Quelques réflexions sur le modèle de régulation psiphanique
Certains hommes répugnent à concevoir quelque niveau d'intégration au-dessus d'eux, susceptible de relativiser leur libre arbitre. Au contraire, effrayés par leur liberté, il arrive à d'autres de la remettre d'office à une transcendance radicale. Le modèle de régulation psiphanique proposé se situe entre ces deux extrêmes, n'affirmant ni infirmant le bien fondé d'aucune.
Le psychologue behavioriste M.A. Persinger qui a étudié l'occurrence de certains types d'apparitions survenues aux Etats-Unis écrit à propos du concept de "géopsyché" qu'il propose pour en rendre compte : "Un système de contrôle au niveau du groupe ou de l'espèce n'est pas une nouvelle idée. Les études écologiques ont démontré que de nombreux groupes d'animaux manifestent des comportements qui semblent médiatisés par des systèmes de contrôle biologiques ... Il est possible que la totalité des êtres humains soit immergée dans une seule structure de connections et régulée par des mécanismes fondamentaux." (26)
On voit que ce chercheur s'intéresse surtout à l'aspect sociologique de l'occurrence des phénomènes, au contraire de la plupart des psilogistes qui limitent souvent leur étude à quelques phénomènes particuliers et aux seules personnes qui semblent y être impliquées directement, tenant rarement compte de l'immersion dans le tissu social des sensitifs et des chercheurs eux-mêmes.
Le problème, en fait, n'est pas de trancher entre une origine individuelle ou transpersonnelle des psiphanies, ces deux sources n'étant pas exclusives mais complémentaires. En biologie par exemple, si l'on trouve des cas où un holon supérieur peut décider du sort du holon inférieur (un lézard qui lyse sa queue pour s'échapper), réciproquement, il arrive que le holon inférieur puisse menacer le holon supérieur (une cellule peut détruire tout l'organisme en se cancérisant). En fait, la plupart du temps, les activités finalisées de la cellule vont évidemment dans le sens de celles de l'organisme. Les deux holons fonctionnent en harmonie par un jeu extrêmement complexe de régulations. Il y a interdépendance des holons.
Il y a lieu d'effectuer le passage du local (adéquation individu-psiphanie) au global (le holon transpersonnel), permettant ensuite un retour au local avec une perception éventuellement neuve. Ainsi, la situation d'une psiphanie venant interpeller un individu ressemble beaucoup à celle où une certaine molécule hormonale vient s'adapter à la membrane d'une cellule particulière ; cet événement se produit car cette dernière est une cible dans un réseau hormonal spécifique et aussi car à ce moment, une telle rencontre s'impose dans un but de régulation.
C'est ce jeu, cette co-régulation, cette adéquation des holons individuel et transpersonnel au plan de l'occurrence des psiphanies qui fait l'objet de la branche psychosociologique de la psilogie. D'après le modèle proposé, c'est donc toujours l'homme qui est au centre de l'étude. Celui-ci est en effet, en tant qu'holon individuel, à la fois le sommet, la totalité de l'holarchie organique (organes, cellules, organites ... ) et la partie élémentaire de l'holarchie sociale, c'est-à-dire, dans la problématique psilogique, du holon transpersonnel.
De même que le holon cellulaire, par exemple, présente des centaines de types différents de cellules, le holon transpersonnel présente de multiples aspects différenciés. La gamme psiphanique est très vaste et susceptible d'interpeller chacun au sein même de son champ d'intérêt. Elle s'étend de la PK sur GEA à la thanatose, de l'impérience de "hors-corps" à la synchronicité. Mais, malgré cette diversité, le holon transpersonnel reste unique.
Ainsi, il n'est pas responsable de l'un ou l'autre des grands types de psiphanies, mais de tous les types, aussi bien historiques que contemporains. C'est à cette instance qu'il faut attribuer dans le passé des manifestations éminemment interpellatives comme la régulation des surgies mariophaniques dans les pays catholiques, les apparitions téléplasmiques de certains milieux spirites, les succès des expérimentations de psikinésie sur des cibles biologiques autour de 1970 aux Etats-Unis, les vagues d'OVNIphanies sur l'ensemble de la planète ...
Evidemment, le modèle de dérépression psiphanique selon l'homéostasie couplée des holons individuel et transpersonnel n'en est qu'au stade de l'ébauche. Le holon transpersonnel se présente à l'heure actuelle comme une boîte noire dont nous connaissons relativement bien les sorties : les surgies psiphaniques et toute la dynamique sociale "pro/anti-psi" qu'elles engendrent, et plus mal les entrées : désirs, conflits individuels et collectifs, bien que, nous l'avons vu, la problématique thanatologique joue apparemment un rôle primordial). L'approche psychanalytique, essentielle en matière de psilogie, pourrait, en poussant son investigation au plan du holon social, et tout en évitant ce que A. Danchin appelle la "contagion totalitaire du raisonnement analogique" (27) s'inspirer de la théorie des catastrophes du biomathématicien R. Thom, de l'approche systémique de L. von Bertalanffy et de certaines techniques d'élaboration et de réfutation des modèles, notamment biologiques, pour les adapter à sa problématique.
Ainsi un modèle sera déjà considéré comme satisfaisant,
Enfin, le développement du modèle doit évidemment passer par l'intégration des œuvres de C.G. Jung (inconscient collectif et processus d'individuation), H. Bender (champ affectif), A. Koestler (holarchie), K.R. Rao (théorie intuitionniste), S. Lupasco et M. Beigbeder (potentialisation et actualisation), M.A. Persinger (géopsyché), G. Bateson (écologie de l'esprit), N. Ben-Yehuda (sociologie des ENOC ) (28) , etc., ainsi que des domaines variés où l'on rencontre la notion-clef de dérépression.
(25). JUNG, C.G. - Ma Vie. Paris : Gallimard, 1973, p 22-8.
(26). PERSINGER, M.A. and LAFRENIERE, G.F. - Space-Time Transients and unusual Events. Chicago : Nelson-Hall, 1977, p 251.
(27). DELATTRE,P. et THELLIER, M. Elaboration et Justification des Modèles. Applications en biologie. Actes du colloque, Tome 1. Paris Maloine, 1979, p 41.
(28). BEN-YEHUDA, N. - "Altered states of Consciousness : a Sociological perspective", in Journal of Altered States of Consciousness, Vol. 4, n°4, 1978, pp 345--356.
27 . La notion-clef de dérépression
La notion de dérépression semble permettre de relier la psilogie à de nombreux autres domaines. Le modèle de dérépression psiphanique postule que, pour qu'il y ait surgie d'une psiphanie donnée, il faut que se produise, en adéquation avec le témoin et l'ensemble de la dynamique sociale, une dérépression du potentiel psi. Ainsi, ce que l'observateur perçoit a priori comme une "apparition" serait en fait une inhibition spécifique d'une inhibition antérieure. Ce modèle, qui pourra être développé ultérieurement, tire sa justification et sa substance de plusieurs ordres de faits, émanant des domaines suivants, tous concernés par cette notion-clef de dérépression :
* au plan de la génétique moléculaire, la régulation de la totipotence du génome des êtres vivants s'effectue, dans certains cas, par un tel mécanisme. Il y a donc lieu de pousser plus loin l'analogie entre cette totipotence et l'omnipotence présumée du psi ;
* au plan psychogénétigue , on ne connaît pas de gènes de l'intelligence, on ne connaît de gènes que pour certaines débilités. Ceci pourrait indiquer que les gènes agiraient plutôt comme des limitateurs du champ de conscience et de la lucidité que comme leurs supports ;
* au plan psychophysiologique : la théorie du cerveau comme filtre proposée par H. Bergson et reprise par plusieurs auteurs tels que H.H. Price et A. Koestler.
Certains travaux, comme ceux de S. Grof, semblent donner une confirmation expérimentale à cette hypothèse du cerveau comme limitateur actif du champ de conscience, refoulant dans l'inconscience les psiesthésies et les souvenirs inutiles ou dangereux ; il semble en effet qu'en état d'anoxie provoquée, le cerveau arrête son travail d'inhibition car le champ de conscience se voit inondé de contenus inconscients, personnels et même transpersonnels. (29)
Divers types d'états non ordinaires de conscience pourraient relever d'un mécanisme semblable de dérépressions plus ou moins profondes et spécifiques. On peut énumérer:
Notons que l'ampleur des différents phénomènes psi peri mortem suggère, d'après le modèle proposé, que le mourir peut être considéré comme une dérépression radicale au niveau de l'articulation psychosomatique dans l'ici-maintenant. Selon cette optique, la thanatologie serait le lieu d'ancrage des problématiques psychosomatique et psilogique.
* au plan psychologique : les concepts de censure, de refoulement, d'amnésie, puis, au contraire, de catharsis, de défoulement, d'an-a-mnèse. Ce dernier terme, construit avec deux "a" privatifs, indique bien l'idée de dérépression ;
* au plan psychophysique : le dévoilement mnémonique selon le modèle du fonctionnement holonomique du cerveau proposé par le neurochirurgien K.H. Pribram (34) en relation avec la théorie du déploiement de l'univers du physicien D. Bohm, ou le "débobinage" de l'univers dans son double aspect intérieur et extérieur cher au philosophe R. Ruyer, porte-parole français des néognostiques.(35)
* aux plans philosophique et mystique : les invites à la privation sensorielle et au détachement, points convergents des discours de mystique ascétique, basés apparemment sur un vécu commun dont l'origine relève donc plus du biologique que du culturel.
K.R. Rao suggère un rapprochement entre la philosophie de l'Advaïta Vedanta de Shankara et la théorie holographique, où le Brahman est l'univers holographique et le Jiva le cerveau holonomique. Il écrit : "C'est la potentialité d'omniscience de la part d'un organisme individuel qui rend l'Advaïta et les théories holographiques attirantes pour un théoricien du psi. (36)
En effet, d'après le philosophe Shankara, ce sont les processus mentaux, les "upadhis", qui limitent la connaissance de la conscience suprême. Lorsque le voile d'inconnaissance, "avidya", est défait, la conscience individuelle se découvre Conscience suprême, Témoin éternel ; alors est atteinte la non-dualité, "a-dvaîta".
28 . Perspectives
Nous avons vu que la notion de dérépression est rencontrée à la fois en sciences exactes et en sciences humaines. En outre, la problématique thanatologique est apparue aussi bien au plan sociologique (comme sous-jacente à la régulation des dérépressions psiphaniques) qu'au plan psychosomatique (dérépression radicale lors du mourir). Il semble donc que par le concept de dérépression il y ait convergence, dans l'indétermination propre à la béance du mourir, des aspects sociologique et psychosomatique de la psilogie.
En particulier, d'après le modèle proposé, l'ampleur des phénomènes psi peri mortem évoqués précédemment amène à considérer le mourir, radicalement dérépressif au plan psychosomatique, comme une psiphanie éprouvée dans le champ de conscience du mourant et dépourvue de son caractère élusif. Sans ce régulateur, elle ne peut inhiber la tendance à l'emballement ipsotrope que génèrent ses autres caractères interpellatif et subversif.
La recherche à partir de cas spontanés à caractère peri mortem ou d'ENOC, recueillis auprès de la population ou des personnes "spécialisées" que sont les médecins et les religieux, a déjà montré qu'elle permet, avec les précautions d'usage, l'élaboration et la justification de modèles psilogiques pertinents. Cette voie de recherches, qui présente l'avantage d'autoriser l'investigation psilogique conjointement aux plans sociologique et psychosomatique autour de sa racine thanatologique, semble encore loin d'être épuisée.
Ainsi, certains concepts et hypothèses qui ont été présentés dans cet article doivent prochainement faire l'objet de tests lors de recherches entreprises par L. Bélanger dans le cadre de l'université de Montréal.
Le sens du psi s'appréhende fondamentalement au plus intime de l'être, comme nous l'avons vu. Il semble se révéler d'autant plus clairement que s'approfondit la méditation sur des thèmes comme l'écartèlement des contraires (ipsotrope/cosmotrope), l'articulation cruciale intimus/extraneus, la régulation sociologique des psiphanies, la notion-clef de dérépression, la racine thanatologique de la psilogie, l'indétermination et la finalité du psi. C'est dans ces directions que le chercheur pourra mener sa quête, devenu simple "chemineau de l'ipséité" sous l'effet, aussi élusif que subversif, de l'interpellation psi.
(29). GROF, S. and HALIFAX, J. - The Human Encounter with Death. New-York : Dutton, 1978.
(30). SANNELLA, L. - Kundalini, Psychosis or Transcendance ? San Francisco : Ed Lee Sannella, 1976.
(31). BENEY, G. - Essai d'identification et d'analyse, chez l'homme, d'un mécanisme "ipsotrope", tronc commun hypothétique des domaines "hiérophores" (mystique, sciences de la religion, psilogie, biologie évolutive). Travail effectué dans le cadre de l'université de Montréal, non publié, 1978, 120 pages.
(32). SABOM, M.B. and KREUTZIGER, S.A. - "Physicians evaluate the near death experience", in Theta, 1978
(33). OSIS, K. and HARALDSSON, E. - At the Hour of Death. New-York : Avon, 1977.
(34). PRIBRAM, K.H. - "Consciousness : A scientific study", in Journal of Indian Psychology, Vol. 1, pp95-118
(35). RUYER, R. - La Gnose de Princeton. Paris ; Fayard, 1974.
(36). RAO, K.R. - "Psi : Its Place in Nature", in Journal of Parapsychology, Vol. 42, n°4, december 1978, p293.