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LOGIQUE ET PARAPSYCHOLOGIE

par Pierre Viéroudy

Revue de Parapsychologie n°10

 

 

I . QU'EST-CE QUE LA LOGIQUE ?

Toute recherche scientifique digne de ce nom (1) doit s'appuyer sur une méthodologie répondant à des critères précis sur la méthode à suivre. Le positivisme du XIXe siècle (2), est une méthodologie adaptée aux phénomènes expérimentaux macrophysiques. L'épistémologie, ou critique des sciences, a pour objet l'établissement et la réflexion sur les méthodologies scientifiques . La science est un découpage, un déroulement à partir d'un ensemble de notions posées. Le chercheur formule des questions, suivies de réponses ajustées aux questions. Mais on peut les poser de bien d'autres manières et on aura alors d'autres réponses . C'est ce que dit l'épistémologie , mais qui n'est pas hélas toujours dans la tête du chercheur. La manière de formuler les questions s'articule autour d'une notion fondamentale, la notion de logique. (3)

La logique est la prise de conscience, l'explication, la définition des règles, en vue de la pratique de la recherche. Elle est aussi en même temps élaboré à partir des résultats de la recherche elle-même (4). Lorsqu'elle ne colle plus aux faits étudiés, une logique devient purement formelle ou historique. Une logique peut être satisfaisante pendant longtemps et ne plus coller avec l'étude de phénomènes non encore appréhendés. L'évolution continue de la connaissance se produit avec des transformations de logique, des mutations de raison.

La logique est en fait une sorte de code, tellement inhérent à la pensée occidentale, qu'il est devenu un lieu commun de parler de "la logique ", comme s'il n'y en avait qu'une. Il existe en fait un assez grand nombre de logiques cohérentes, souvent très différentes les unes des autres. Cela peut paraître étonnant au profane, qui utilise une logique inchangée depuis deux mille cinq cent ans, depuis la Grèce classique. Les principes de cette logique sont tellement ancrés dans notre comportement quotidien qu'ils n'apparaissent que rarement avec netteté à la conscience du citoyen , et même plus grave, à celle du chercheur. Bien rares sont ceux, même et surtout parmi les chercheurs de métier, qui pourraient en énoncer clairement les principes fondamentaux. Il est donc nécessaire, avant de poser les principes d'une logique différente, de poser clairement ceux de la pensée habituelle.

(1). Il faut entendre par recherche scientifique, toute recherche menée sérieusement suivant des critères méthodologiques, par un chercheur honnête, qu'il soit professionnel ou non. Avoir passé des années sur des bancs d'université et disposer de diplômes, n'implique pas obligatoirement que l'on mène dans tous les cas une recherche scientifique. La réciproque est à fortiori valable. L'histoire des sciences est garante de ce préalable.

(2). Auguste COMTE Discours sur l'esprit positif - Paris - 1848 -

(3). Marc BEIGBEDER La clarté des abysses - MOREL 1977 - P. 29-30 4. Voir plus loin l'influence de la recherche microphysique sur l'introduction de la nouvelle logique.


 

II - LA LOGIQUE DU TIERS EXCLU

Celle-ci tient en trois principes imbriqués que l'on peut poser séparément le principe d'identité, le principe de contradiction, et le principe du tiers exclu.(5)

Le principe d'identité pose que A, proposition, élément, ensemble, est A. Il est identique à lui-même, n'enferme aucune contradiction. Une chose ne peut contenir en elle-même ce qui la contredit, ce qui se dresse contre elle-même ; elle ne peut être quelque chose et autre chose à la fois. A, est donc de ce point de vue simple et un ; c'est en science, le gardien de notre entendement.

Le principe de contradiction implique que la structure de toute connaissance logique se produit suivant une paire de propositions contradictoires, une proposition A et une proposition anti-A qui se contredisent comme le oui et le non. Ce principe formule comme allant de soi que l'une des propositions est nécessairement vraie, l'autre nécessairement fausse. La proposition A est vraie comme contradiction de anti-A ; la proposition anti-A est fausse comme contradiction de A. On reconnaît ce dualisme dans la structure de notre culture : Dieu et Diable, bien et mal , hasard et création, riche et pauvre, physique et psychique. Nos changements, nos nouveautés, ne consistent le plus souvent qu'en permutations et inversions qui ne sortent pas du carcan manichéen. (6)

Le principe du tiers exclu est la conséquence interne des deux précédents : le processus de connaissance s'effectue toujours suivant une paire de propositions contradictoires, où il y a d'un côté le oui et de l'autre le non, d'un côté le vrai et de l'autre le faux ; il n'y a rien entre les deux pas de proposition intermédiaire, entre la solution vraie et la fausse. Tout "tiers" est exclu. En effet, s'il y avait une solution intermédiaire entre le vrai et le faux, elle serait à la fois du vrai et du faux, ce qui serait contraire au principe de contradiction posé plus haut. Cette solution serait non identique à elle-même et attenterait au principe d'identité. Le principe du tiers exclu, qui précise qu'entre le vrai et le faux, il n'y a logiquement rien, est un corollaire cohérent des deux précédents.

Il était donc inévitable que toute analyse scientifique classique des phénomènes paranormaux, par définition basée sur la logique du tiers exclu, arrive à deux propositions contradictoires qui s'excluent mutuellement : ou le phénomène allégué est physique et ne peut être psychologique, ou il est psychologique et ne peut être physique. Toute solution intermédiaire est par principe exclue, ce que reflète bien le mouvement d'inversion des conceptions du réel que nous connaissons encore actuellement. (6)

III . LA REVOLUTION MICROPHYSIQUE

L'avènement, au début de notre siècle, de la microphysique allait bouleverser la logique classique. (7) La découverte des rayons X par ROENTGEN et de la radioactivité de l'uranium par Henri BECQUEREL en furent les prémisses. Le scandale physique que constitua la théorie des quanta de Max PLANCK acheva la remise en cause des anciennes conceptions : l'énergie rayonnée par un corps chaud ne l'était pas continuellement, mais sous forme de "paquets" en quantités limite qu'il dénomma quanta. La quantité d'énergie de ces quanta est déterminée par la fréquence de la lumière ou des autres formes d'énergie rayonnante, et par une nouvelle constante appelée constante de PLANCK. Cette théorie sembla tout d'abord un peu isolée de la physique, mais en 1904, EINSTEIN publia sa fameuse étude sur l'effet photoélectrique, où il postule la constitution discontinue de la lumière en photons, qui sont aussi des quanta. Quelle que soit son intensité, même celle très faible provenant des étoiles les plus lointaines, la lumière frappant un métal est susceptible de lui arracher des électrons, ce qui n'est possible qu'en postulant une nature corpusculaire, les photons. Ce phénomène est incompatible avec la théorie ondulatoire de la lumière, pourtant prouvée expérimentalement par la diffraction : l'énergie en chaque point d'une onde, diminuant avec le carré de la distance à la source, deviendrait donc trop faible, pour arracher un électron quand cette distance est suffisamment grande. En 1913, Niels LOHR propose sa conception de la structure de l'atome sous forme de "modèle solaire". Déjà il était apparu que l'atome consistait en un noyau chargé positivement et d'électrons chargés négativement, mais la structure en était inconnue. BOHR supposa que les électrons tournent autour du noyau en décrivant des "orbites" , mais que certaines orbites seulement sont " permises " aux électrons. Si un électron reçoit suffisamment d'énergie de l'extérieur, il saute sur une orbite supérieure et lorsqu'il retourne à sa première orbite stable il restitue l'énergie qu'il a absorbée. Cette énergie n'est autre qu'un photon dont la quantité d'énergie est fonction de la constante de PLANCK. Cette nature à la fois ondulatoire et corpusculaire de l'énergie conduisit au grand événement de la microphysique : les Relations d'indétermination d'HEISENBERG : le grand physicien allemand constate et montre par ses fameuses relations que si l'observateur veut déterminer la position du corpuscule, au fur et à mesure qu'il précise cette position, il indéterminera son mouvement, et inversement. (8) Cela résulte du fait même qu'un corpuscule ne peut être rigoureusement un corpuscule parce qu'il est en même temps une onde, et que l'onde ne peut rigoureusement être une onde parce qu'elle est également un corpuscule.

En 1924, l'accumulation des contradictions va conduire Louis de BROGLIE à concevoir une mécanique quantique ou une onde associée à tout corpuscule. La vérification expérimentale de la théorie mathématique de la mécanique ondulatoire fut apportée en 1927 par DAVISSON et GERMER, qui obtinrent en envoyant un faisceau monocinétique d'électrons sur un cristal de nickel, un phénomène de diffraction entièrement semblable à celui que l'on pourrait obtenir dans les mêmes conditions, en employant à la place des électrons un faisceau monochromatique de rayons X. Ces expériences, bientôt reprises sous des formes différentes par THOMSON, PONTE, KIKUCHI , RUPP, ont apporté une confirmation complète des idées de la mécanique ondulatoire, démontrant ainsi la nécessité d'associer une onde à l'électron. On a pu obtenir des phénomènes de diffraction pour d'autres particules, en particulier pour des protons, des noyaux d'atomes et plus récemment des neutrons. En 1940, BORSCH a pu répéter avec des électrons les expériences de diffraction par le bord d'un écran qui avaient permis en 1916 à FRESNEL d'établir la nature ondulatoire de la lumière.

 

(5). Marc BEIGBEDER - op. cit. p. 31 à 35

(6). Ce mouvement d'inversion apparaît clairement en physique , où incapable de sortir du dilemme physique-psychique , on passe successivement de la soumission du psychique au physique à la prééminence du psychique sur le physique. L'exemple le plus récent en est la "gnose de Princeton" qui bascule d'un coup dans la prééminence universelle du psychique (cf. Raymond RUYER, la Gnose de Princeton, FAYARD 1974). Malgré son actualité, cette formulation ne saurait satisfaire le parapsychologue, confronté à des événements à la fois physiques et psychiques.

7. Stéphane LUPASCO - L'expérience microphysique et la pensée humaine. PUF 1941

8. Il faut bien préciser que cette indétermination ne relève en aucun cas d'une imperfection de l'appareillage et des circonstances expérimentales, mais d'une limitation fondamentale inhérente à la nature de la matière.

 


 

 

IV. LA LOGIQUE DE L'ANTAGONISME

Les propositions de la microphysique résultant de constatations expérimentales irréfutables, sont cependant en contradiction flagrante avec la logique usuelle du tiers exclu. Cette contradiction conduisit le physicien français Stéphane LUPASCO à concevoir une logique plus vaste, dont la logique usuelle ne serait qu'un cas particulier.

Le découpage du champ d'exercice de la conscience en paires de contradictoires est commun à la plupart des logiques ; on le retrouve non seulement dans la logique chinoise du Yin et du Yang, mais dans presque toutes les logiques. Le petit implique le grand ; le long, le court ; le même, le différent ; le continu, le discontinu ; le bon, le mauvais ; le mal , le bien ; le beau, le laid , etc. L'expérience objective ne contient manifestement ni le petit ni le grand en soi. Ce sont des termes relatifs, qui forment une table de valeurs au moyen de laquelle nous jaugeons les choses, mais qui n'apparaît pas dans l'expérience brute des phénomènes de la "réalité". Il semble bien que chez l'enfant la perception de la paire soit antérieure à celle des objets isolés ; le découpage totémique des primitifs est fait d'oppositions. (9) Nous sommes en présence d'une sorte de dualité logique principielle.

Une constatation générale familière s'impose à l'observateur dont la banalité même empêche de saisir les considérables conséquences. On côtoie sans s'en douter le fait suivant : tout système énergétique est fonction de forces antagonistes, relevant de la nature même des événements qui le constituent. Pas de systèmes astrophysiques sans forces d'attraction et forces de répulsion issues des propriétés physiques même des objets astronomiques. Pas de systèmes moléculaires, atomique, nucléaire, sans forces qui opèrent un rassemblement des événements et forces qui les dispersent. Il n'est pas de secteur de l'expérience, autant macrophysique que microphysique qui ne mette en évidence cet antagonisme indispensable à la formation de tout système. Tout système énergétique semble donc exiger comme condition de son existence, la possibilité de dynamismes antagonistes et résulte toujours de leurs équilibres variés. Si les événements ne possédaient en eux-mêmes de propriétés dynamiques antagonistes, contradictoires et non pas contraires puisqu'inhérentes à la même donnée, aucun système ne serait possible. (10)

Tout ce qui se manifeste à nous, tout phénomène, toute modification d'un certain état de chose, implique l'existence d'une énergie qui n'est pas et ne peut être rigoureusement statique, sans quoi, rien ne se passerait jamais dans l'univers. Un dynamisme est donc toujours présent comme moteur de n'importe quel événement. "Que l'énergie ne soit guère possible, du moins saisissable pour nous, en dehors de l'antagonisme qui lui est inhérent, est un axiome que nous avons cru devoir ériger en principe fondamental de la logique de toute énergie, sous l'expression de principe d'antagonisme.(11) Un dynamisme, s'il n'est pas rigoureusement statique, ce qui équivaudrait à son inexistence, implique un passage d'un certain état potentiel à l'actualisation. Si un dynamisme peut demeurer à l'état potentiel, c'est qu'un dynamisme à l'état d'actualisation antagoniste l'y maintient. Il faut qu'à son tour celui-ci puisse se potentialiser pour permettre l'actualisation de l'autre. "Si bien que toute énergie non seulement possède des dynamismes antagonistes, mais ces dynamismes sont et doivent être tels que l'actualisation de l'un implique la potentialisation de l'autre, ou encore que tous deux se trouvent sur les deux trajectoires du passage du potentiel à l'actuel et de l'actuel au potentiel , vers ou dans un état à la fois d'égale potentialisation et d'égale actualisation l'un par rapport à l'autre. "(12) HEISENBERG, mesurant avec une précision progressive - une actualisation progressive- la position, la configuration géométrique du corpuscule, en indéterminise progressivement - comme un rejet dans un nombre croissant de possibles, une potentialisation progressive- la vitesse, la quantité de mouvement et inversement. Cela signifie que la notion de corpuscule , n'en existant pas moins, ne peut atteindre à une réalisation rigoureuse répondant aux critères de notre notion de réalité. Ce sont là les bases d'une logique de l'antagonisme. Un exemple très simple peut l'illustrer : en tenant en l'air un objet, son énergie gravitationnelle est potentialisée par l'actualisation de l'énergie musculaire ; si on le lâche, celle-ci va se potentialiser , ce qui permettra l'actualisation de celle-là. S'actualiser, c'est passer la réalisation, à l'acte. Etre potentialisé, c'est en être empêché, inhibé, ce qui n'est pas une inexistence, mais une autre forme d'existence, non directement perceptible.

La logique de l'antagonisme, repose elle aussi sur les paires de contradictoires : son premier trait important, par rapport à la logique usuelle, c'est qu'elle accepte la contradiction, la contradiction simultanée, comme rationnelle. Elle double le principe d'identité d'un principe de différenciation contradictoire qui s'exerce toujours complémentairement avec lui. En terme de proposition, élément, ensemble , A. contient simultanément les dualités contradictoires. Si l'on considère par exemple une matière à l'état inanimé, ses propriétés physiques seront actualisées, potentialisant ses propriétés biologiques, qui resteront toujours possibles ; si cette matière vient à appartenir à un système biologique, ses propriétés biologiques seront actualisées, potentialisant les propriétés physiques, qui resteront toujours possibles si cette matière retourne à l'état inanimé.

S'il y a relativité antagoniste, aucune actualisation , ni aucune potentialisation, ne sauraient être totales, absolues. (13). Ce corollaire capital est la nécessité d'états intermédiaires, exclus par la logique classique. Chaque aspect relatif de la paire de contradictoires étant contenu dans la proposition A, il ne pourra être actualisé et potentialisé que dans des proportions variables, l'actualisation ou la potentialisation absolues étant des aspects limites jamais rencontrés. Le couple antagoniste noir-blanc ne pourra représenter que les deux aspects limités, le "réel", ne pouvant se trouver que quelque part entre les deux, ne pouvant être ni totalement noir, ni totalement blanc. En microphysique, à la différence de ce qui a lieu en physique familière et classique, tout événement se présente à la fois comme un corpuscule et une onde, sans pouvoir cependant être rigoureusement ni l'un ni l'autre. La contradiction insoluble en logique usuelle est levée, tout comme celle de la sempiternelle opposition entre création et hasard, où ce dernier apparaît comme une actualisation du complémentaire antagonique.

9. Marc BEIGBEDER - op. cit. p. 51

10. Stéphane LUPASCO Les trois matières - Union Générale d'éditions 1970 - p. M

11. Ibid. p. 19

12. Ibid.

13. Marc BEIGBEDER - op. cit. p. 60 14. Stéphane LUPASCO - Les trois matières - op. cit. p. 79

 


 

 

V. LES TROIS UNIVERS.

Avec la systématisation de la logique de l'antagonisme, Stéphane LUPASCO fut conduit à considérer trois aspects fondamentaux du réel existant simultanément ou " trois univers ".

Le premier univers, à entropie croissante, selon la seconde loi de la thermodynamique, dite encore principe de CARNOT-CLAUSIUS, c'est à dire à évolution vers des états de plus en plus probables. C'est l'univers macrophysique qui tombe sous le sens, celui de la matière brute inanimée, qui se conforme approximativement aux exigences de la logique usuelle. Cet univers de l'inanimé, dont les lois sont celles de la physique classique, est essentiellement potentialisé. Il introduit la notion d'homogénéité, en relation étroite avec celles d'uniformité, de conservation, de permanence, de répétition, de nivellement, de monotonie, d'égalité, de justice, avec les notions logiques d'identité, de déduction aristotélicienne, de rationalité. (10)

Le deuxième univers, biologique, à neguentropie croissante, c'est à dire à évolution vers des états de moins en moins probables. C'est l'univers du vivant, qui commence à mettre en doute le sacro-saint principe de la dégradation universelle. A l'opposé de l'inanimé, l'univers du vivant est davantage actualisé. Il introduit la notion d'hétérogénéité en affinités certaines avec celles de diversité, de différenciation, de changement, de désaccord, d'inégalité, d'injustice, de dissemblance, de variation de précarité, de nouveauté, de non identité, d'exclusion, d'individualisation. (15). Qu'un principe d'exclusion source d'hétérogénéisation et d'individualisation constituant la matière vivante, préside à leur formation et à leur devenir, c'est ce dont témoigne l'observation des êtres vivants, végétaux, et animaux. Ils sont tous soumis a une compétition et à une lutte sans merci pour leur développement, se détruisant mutuellement et se nourrissant les uns des autres. Mais exclusion ne veut pas dire, parce qu'elle implique actualisation et hétérogénéisation, désordre. Elle implique un antagonisme dynamique organisateur, l'hétérogénéité, en opposition constante avec les forces d'homogénéisation de l'inanimé qui tendent à l'entraîner. Les processus de mort sont bien des processus d'homogénéisation, de potentialisation antagoniste vers l'inerte.

Le troisième univers est celui de la particule, microphysique, et aussi du psychique, à égalisation mi-entropique, mi-neguentropique, à égalisation antagoniste d'actualisation et de potentialisation, dont les échanges ne sont pas observés parce qu'équilibrés. C'est celui où les dynamismes, les systèmes dynamiques antagonistes, ne sont pas dominés l'un par l'autre, où ils n'actualisent et se potentialisent simultanément à mi-chemin, en un conflit par conséquent plus aigu qu'au sein des deux autres types inverses de systèmes, en une contradiction plus intense. (17) Il définit plus particulièrement la réalité quantique et se manifeste abondamment dans l'expérience microphysique. L'énergie intra-atomique, est une énergie où la tension antagoniste est telle, où les dynamismes contradictoires sont dans un tel équilibre, se bloquant réciproquement, que l'expression de libération de l'énergie signifie bien libération du conflit maximum rupture de la tension antagoniste.

L'analogie du système psychique avec le système quantique n'a pas manqué de frapper certains fondateurs de la microphysique, comme BOHR notamment. L'équilibration de l'action et de l'inhibition, d'une façon générale, de tous les influx, au moyen d'innombrables feed-back, tend vers une compensation antagoniste, vers un équilibre symétrique. Les systèmes antagonistes s'y actualisent et s'y potentialisent respectivement, réciproquement avec une même intensité. Deux causalités et deux finalités contradictoires coexistent, tenues respectivement en échec, se refléchissant l'une dans l'autre, d'où cette impression de liberté, de libre arbitre que donne tout phénomène psychique. Il apparaît comme irréel tout en étant une réalité. "Une image, le projet d'une action -l'image est toujours grosse d'actions- aussi nets fussent-ils dans cette nuit blanche, cette aube crépusculaire de l'âme, gardent toujours un flou, une frange d'indétermination ; leurs coordonnées comme leurs mou- vements vacillent et interfèrent ; ils prolifèrent, dirait-on, et se ramassent sans cesse : corpusculaires et ondulatoires à la fois, du continu s'y dilate, que déchire le discontinu". (18) Le psychique est justement, comme JUNG a eu le grand mérite de le mettre en évidence, le siège par excellence des ambivalences, des tensions, des pulsions, des tendances contradictoires.

15. Ibid.

16. Cette proposition entraîne une intéressante ouverture vers les problèmes de "réincarnation" et

"survie", par une réactualisation antagoniste de la mort.

17. Les trois matières - op. cit. p. 81

18. Ibid. p. 119

 


VI. PREMIERE CONSEQUENCE - LA MATERIALISATION DE L'ENERGIE.

Une conséquence capitale des résultats expérimentaux de la microphysique, est qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre la matière et l'énergie , qui sont deux aspects d'une même réalité. La structure intime de la matière présente à l'expérience les mêmes caractéristiques que celles de l'énergie. Un concept aussi révolutionnaire, dont la mise en évidence remonte à plus d'un demi siècle est loin d'être passé dans nos convictions. La matière qui nous entoure et nous forme, l'univers dans lequel nous nous trouvons, avec ses planètes, ses étoiles, et ses galaxies, se présente en dernière analyse comme une suite d'associations de particules et de forces qui n'ont plus rien de matériel et ne sont plus que des événements énergétiques. Le modèle "planétaire" de Niels BOHR rendait bien compte à sa manière de ce nouveau concept de matière les électrons sont relativement aussi distants du noyau que les planètes du soleil, le principal composant de la matière étant surtout le vide ... L'astrophysique montre que la masse des particules énergétiques de l'univers est beaucoup plus grande que celle de la matière proprement dite, et que tout se ramène à une systématisation énergétique.

Le corollaire évident de ces résultats est qu'on doit observer dans l'univers des phénomènes de transformation d'énergie en matière et vice-versa. La radioactivité est une transmutation naturelle de certains éléments en énergie. L'explosion de certaines étoiles ou novas, voit en quelques mois transformer la plus grande partie de la masse de l'étoile en énergie. Un processus analogue a été réalisé en exploitant les découvertes de la physique quantique, par les explosions nucléaires : une masse de matière fissile est brutalement transformée en énergie. Le processus inverse s'observe aussi dans la nature, comme dans la photosynthèse chlorophyllienne : par un mécanisme certes encore mystérieux, les plantes convertissent directement l'énergie lumineuse en chlorophylle. Ce processus est très net, et l'on a pu compter le nombre de photons par réaction. " On constate en effet que la matière se transforme astrophysiquement et peut se transformer microphysiquement, dans nos laboratoires, en rayonnement, comme celui-ci peut se transformer en matière. Des électrons, par paires positifs et négatifs, peuvent s'annihiler en donnant naissance à des photons, phénomène de dématérialisation de l'énergie. ( ... ) Mais l'opération inverse existe également, c'est à dire la transformation des photons en paires d'électrons positifs et négatifs. C'est ce qu'on appelle la matérialisation de l'énergie. Elle n'a été constatée que dans nos laboratoires. Mais, bien qu'à moindre échelle, elle doit s'effectuer tout de même quelque part dans le cosmos. Et c'est ce que semblent avoir découvert certains astrophysiciens, au moyen notamment des rayons cosmiques ". (19) Des effets macroscopiques quantiques ont été constatés récemment en physique des basses températures, voisines du zéro absolu, ou les superfluides et les supraconducteurs montrent d'extraordinaires propriétés. Des théoriciens comme FROHLICH qui travaillent dans ce domaine, admettent la possibilité d'application macroscopique même à température normale, de la théorie quantique (20), c'est à dire de matérialisation et dématérialisation d'un objet solide.

Matière et énergie sont les deux pôles de la première systématisation énergétique de la logique de l'antagonisme, au " premier univers ". La structuration énergétique de la matière en systèmes de systèmes antagonistes implique la nécessité d'inversions de dominances, qui rendent théoriquement possible la dématérialisation provisoire et la rematérialisation d'un objet solide.

 

19. Stéphane LUPASCO - Energie et la matière psychique - JULLIARD 1974 - p. 39-40

20. John HASTED - Psychocinèse et physique quantique - in La Parapsychologie devant la science BERG-BELIBASTE 1976 p. 136


VII. SECONDE CONSEQUENCE - LE PLASMA PSI.

Un des corollaires importants de la logique de l'antagonisme est la nécessité de " tiers inclus ", c'est à dire d'états intermédiaires entre les deux pôles du couple antagoniste, particulièrement lors des renversements de dominance. Le couple antagoniste microphysique-psychique, laisse prévoir la possibilité théorique d'états intermédiaires, c'est à dire de formes de réalité à la fois physiques et psychiques. Ces formes de réalité intermédiaires présenteront un caractère semi-physique, semi-psychique. L'aspect matériel plus ou moins potentialisé, matière si l'on peut dire en état d'hypnose, laissera apparaître un comportement psychique élémentaire, très sensible à tout stimulus extérieur. Comme une personne en état d'hypnose, cette forme provisoire de réalité intermédiaire aura comme caractéristique principale de comportement l'imitation. " Une jeune dame somnambule, mise en rapport avec une personne quelconque, devient immédiatement son sosie. Elle reflète les gestes, l'attitude, la voix et jusqu'aux paroles de ses interlocuteurs. Chante-t-on, rit-on, marche-t-on, elle fait. immédiatement la même chose, et l'imitation est si parfaite et si prompte que l'on peut se tromper sur l'origine de l'action ". (21) Ces phénomènes sont produits par une conscience rudimentaire dont les symptômes sont toujours les mêmes : imitation ou continuation indéfinie d'un même mouvement. Le comportement de l'état intermédiaire microphysique - psychique ou plasma psi sera l'imitation, la représentation, d'un shéma psychique ; ce comportement analogique est proche du mimétisme. (22) Le plasma psi prendra des formes semi-matérielles, plasmiques, moulées sur un contenu psychique, sorte de manifestation d'une intelligence élémentaire de la matière-energie.

Cet état intermédiaire se manifestant lors d'un renversement de dominance du couple microphysique-psychique, n'aura qu'une faible durée dans le temps, avant que l'un des pôles ne se réactualise. L'une des caractéristiques du psychique est le flou, le manque de précision : le plasma psi représentera le plus souvent cet aspect flou, nuageux. " Elles (les systémogénèses autres que les trois matières ou systématisations) constituent des embryons, des tentatives de matérialisations. Elles n'arrivent pas à constituer une matière, justement parce qu'aucune directive d'édification ne peut s'élaborer et se poursuivre au moyen de leur processus déductif, de leur logique - car elles en ont une - mais qui précisément n'est pas matérialisante . " (23) Le "moulage " du plasma psi sur une image mentale lui conférera le plus souvent une instabilité , un caractère mouvant, protéiforme.

Le plasma psi présentera les caractéristiques du plasma physique étudié en laboratoire. Le plasma physique est une matière ionisée par arrachement des électrons à haute température, état très répandu dans l'univers. Le rapport entre la densité des charges positives et négatives montre que globalement le plasma est quasi-neutre, c'est à dire que l'excédent des charges d'un signe n'est jamais très supérieur aux charges de signe opposé. (24) L'importance de cette propriété est capitale et définit en fin de compte l'état même du plasma. Les charges excédentaires engendrées par un déséquilibre important créent des champs électriques suffisants à l'égalisation des flux et au rétablissement de la quasi neutralité. (25) Cette caractéristique que l'on peut considérer comme une potentialisation des propriétés physiques du plasma est bien sûr propice a une plus grande actualisation des propriétés psychiques du plasma psi. L'intensité du champ électrique propre au plasma subit de fortes variations désordonnées dans le temps et l'espace avec des changements rapides, (26) laissant supposer une forte influençabilité aux stimuli extérieurs rejoignant par là l'instabilité propre au psychique. Du fait de l'interaction avec le champ électrique d'un ion, un électron libre modifie sa direction et la grandeur de sa vitesse. Le changement brusque de la vitesse produit un rayonnement électromagnétique dont l'énergie est empruntée à l'énergie cinétique de la particule. Cela signifie qu'après une collision, l'électron perd une fraction de son énergie qui est émise sous forme de rayonnement lumineux en éjectant un photon qui est un quantum de lumière. (27) Une autre propriété fondamentale du plasma psi sera donc son caractère lumineux. L'émission engendrée par ce rayonnement des électrons comprendra une série continue de fréquences qui s'échelonnera en formant un spectre continu, à la différence du rayonnement d'excitation des atomes qui donne un spectre à raies de longueurs d'ondes déterminées. (28)

21. Le journal du magnétisme - 1849 - 66 - cité par Pierre JANET - L'automatisme psychologique.

22. On sait qu'une catégorie importante des apparitions de fantômes, vierges, ovnis, etc. est précisément celle des formes mimétiques.

23. Stéphane LUPASCO - L'énergie et la matière psychique - op. cit. 311

24. Lev ARTSIMOVITCH - Physique des plasmas - Editions de la Paix - Moscou - p. 16

25. Ibid. p. 17

26. Ibid. p. 22


 

VIII . CONCLUS ION.

Alors que dans l'ancienne logique, encore régnante dans les milieux scientifiques traditionnels, les données des phénomènes parapsychologiques conduisaient à deux groupes de modèles explicatifs contradictoires, physiques (énergie inconnue, survie des morts, engins extraterrestres) et psychologiques (hallucination, fausse interprétation), expliquant chacun la moitié du problème et s'excluant mutuellement la logique de l'antagonisme permet l'introduction de modèles nouveaux : matérialisation objective de contenus psychologiques, manifestations objectives exprimant un sens pour l'observateur, formes de réalités à la fois physiques et psychiques.

Bien des concepts doivent désormais être modifiés, des habitudes de pensée périmées abandonnées, telles les distinctions entre corps et âme, inanimé et vivant, physique et psychique. Du moins la rigoureuse solution de continuité, avec ses infranchissables obstacles, que des conceptions surannées et un esprit scientifique hérité du 19e siècle imposent à ces concepts.

Il ne semble pas que l'on doive s'attendre à une découverte miraculeuse de la parapsychologie, telle que des " ondes " ou une " énergie " inconnues jusqu' alors. La transformation devra s'opérer dans l'individu. Evénement psi nous convie à un changement de logique, une mutation de raison ; son apparente absurdité n'est que la nôtre.

 

27. Ibid. p. 117

28. Ibid. p. 118


 

DEBAT AYANT SUIVI L'EXPOSE DE PIERRE VIEROUDY

PV= Pierre VIEROUDY

DK= Dr KRANTZ

HL= Hubert LARCHER

FF= François FAVRE

HG= Hervé GRESSE

 

YL = Yves LIGNON

MB = Marc BEIGBEDER

PJ = Pierre JANIN

PM= Pascal MICHEL

AF= Alain de FOMBELLE

X = ? Y = ?

X = J'ai très mal compris cette notion de plasma dans le domaine parapsychologique. Et le mot "apparition" ne m'a pas paru très clair non plus. Est-ce qu'il s'agit d'apparitions comme les apparitions mariales, par exemple, ou bien d'apports ?

PV : D'apparitions de type marial. En effet, un corollaire important de la logique du contradictoire est la nécessité d'états intermédiaires. Dans la logique du tiers exclu, si un phénomène est physique, il n'est pas psychique et vice-versa ; il ne peut pas être les deux à la fois ni quelque chose entre les deux. Or, selon la troisième systématisation énergétique de la logique de Lupasco, il peut exister un état intermédiaire, à la fois physique et psychique. Dans le cas d'une apparition, par exemple, on a une substance à caractère physique, touchable et enregistrable, mais cette substance aura aussi une dimension psychique, une signification, qui se traduira par exemple par un aspect symbolique de sa forme : ainsi, les chrétiens voient apparaître de préférence le Christ ou Marie, les bouddhistes , de préférence les divinités bouddhiques.

DK : En tant que neuropsychiatre je dois dire que je ne suis pas d'accord sur cette manière de voir les apparitions. En psychiatrie, on connaît très bien les phénomènes d'hallucinations , qui souvent consistent en des apparitions de personnages divers Ces personnages n'existent que dans l'imagination des sujets, et n'ont aucune réalité physique.

PV : Eh bien justement, ce que je veux dire, c'est que l'apparition serait , sous la forme de plasma psi, l' objectivation d' une hallucination , c'est à dire une hallucination matérialisée, enregistrable et photographiable - comme l'étaient les apparitions - de fantômes de l'ancienne métapsychique, comme le sont les ovnis de nos jours.

DK : Ah non ! ou bien le phénomène est subjectif et non photographiable, ou bien il est photographiable et il n'est pas subjectif.

PV : Je dis, précisément, qu'il est les deux à la fois. Cela parait contradictoire : eh bien justement, pour ce type de phénomène je n'applique pas le principe de non-contradiction : j'essaie de formuler, d'après Stéphane Lupasco et Marc Beigbeder les principes d'une nouvelle logique qui ne satisfait pas ce principe.

DK : Mais c'est très grave !

PV : Bien sûr, c'est très grave. Mais je vois que je ne m'étais sans doute pas exposé suffisamment clairement ...

HL : Il faut faire très attention aux mots que l' on emploie, et ne pas confondre une vision subjective, hallucinatoire et une apparition, au sens de P. Viéroudy, qui est une objectivation ou un objet.

X : Est-ce que Pierre Viéroudy emploie le mot "plasma" dans le sens où on l'entend en physique, ou est-ce simplement une étiquette commode, comme Bourbaki emploie le mot "tonneau" pour désigner un objet mathématique ?

PV : le plasma psi est quelque chose comme le plasma physique, mais avec une composante psychique en plus.

X : La même chose ? Mais alors quelle expérience, avec références, pourrait militer en faveur de cette identité de composition physique ?

FF : Mais, toutes les expériences de la métapsychique.

X : Eh bien, je vous renvoie à tout ouvrage de physique sur le plasma, d'où il me semble ressortir que le plasma physique n'a vraiment rien à voir avec ce que vous appelez le plasma psi. Le plasma physique est quelque chose d'extrêmement énergétique, à de très hautes températures ; cela n'a rien à voir avec ce qu'on connaît des ectoplasmies : on a des dizaines de milliers de degrés celsius, même dans les plasmas froids - et dans les étoiles il s'agit de millions de degrés.

FF : Je ne suis pas de votre avis. Le problème est de savoir ce que, physiquement, on peut déduire des apparitions parapsychologiques. Dès avant 1920 il y avait des chercheurs : SUDRE, SCHRENK-NOTZING, MULLET, etc ... qui faisaient deux remarques intéressantes (ces personnes avaient des compétences en physique) : la première était ce fait que les apparitions avaient des caractéristiques semblables à celles des gaz ionisés ; la deuxième concernait les analogies des ectoplasmies avec la foudre globulaire : SUDRE les a soulignées dans une série d'articles, à partir des observations - relativement rares il est vrai -qu'on avait pu recueillir sur la foudre globulaire pendant le XIXe et au début du XXe siècle. Même chose encore pour des observations beaucoup plus récentes : les observations ovni, que Viéroudy connaît bien, où l'on constate des similitudes très frappantes entre les caractéristiques physiques de l'ovni (la boule, la soucoupe, etc ... ) et les manifestations de foudre globulaire. A mon avis par conséquent, ces analogies sur le plan physique sont tout à fait établies. Le problème supplémentaire que soulève Viéroudy - et qui est le même que celui soulevé par P. Janin avec le tychoscope - c' est que le psychisme peut intervenir dans un système physique en évolution. En somme, il semble qu'il y ait dans les apparitions un phénomène physique plus ou moins naturel - ou qui peut être naturel - sur lequel ensuite agit une psychokinèse ; ou au contraire, c'est la psychocinèse qui produira un phénomène ayant une apparence naturelle. D'une façon ou d'une autre, ce qui fait des apparitions des phénomènes parapsychologiques, c'est l'interférence entre une donnée physique (ionisation de l'atmosphère, plasma ... ) et une donnée psychique (intentionnalité, images, expression d'archétype, etc ... ).

X : A force de le répéter vous finirez peut-être par vous en convaincre vous-même... En ce qui me concerne je suis physicien et ufologue. Je connais très mal la parapsychologie, l'ancienne métapsychique aussi, mais il me semble qu'il n'y a vraiment rien de commun entre, d'une part, les gaz ionisés (qu'on connaissait très mal en 1920), d'autre part, les soucoupes volantes ou ovnis, et troisièmement les apparitions, mariales ou autres ce sont à mon avis trois phénomènes complètement distincts. Ou du moins, s'il y a un rapport entre les ovnis et les gaz ionisés, l'un ne se réduit pas à l'autre. Et pour ce qui est des apports que l'on observe en présence d'un médium, il me semble que la nature même des gaz ionisés interdit complètement de les ranger dans la même catégorie que ces derniers, simplement à cause de la température que cela impliquerait et qui est incompatible avec l'absence de toute brûlure. Je pense que ce que l'on veut traduire, c'est simplement le fait que les fantômes et les apparitions ont quelque chose de flou et de vaguement lumineux, comme les plasmas ; mais en fait le rapport s'arrête là. Pour des littéraires c'est peut-être suffisant, mais quant à moi, je pense différemment.

FF : Je voudrais faire remarquer que ce sont des physiciens, pas des littéraires, qui ont émis les hypothèses que je défends. Depuis 1950, en particulier, de nombreux physiciens américains se sont penchés sur le problème ovni et ont développé des hypothèses de ce type : elles ne viennent donc ni de Viéroudy ni de moi.

HG : je propose qu'on revienne au centre du débat au problème d'une éventuelle logique nouvelle.

MB : Personnellement, je regrette un peu que Pierre Viéroudy ait associé la logique de Lupasco à la notion de plasma : d' abord parce que Lupasco lui même ne l'a pas fait, et puis parce que je ne suis pas sûr que les phénomènes d'apparitions soient du même ordre que les plasmas. Pour en revenir à la logique, il s'agit de définir trois structures matérielles (énergétiques, si l'on préfère), le troisième type de structure ayant les caractéristiques que Viéroudy a, je crois, très clairement exposées. Mais c'est en raison de ces caractéristiques que je suis, justement , réticent devant la notion de plasma, et que j'hésite aussi à dire que les apparitions pourraient être photographiées : un appareil photo est construit selon un certain type de logique, de techniques et de théories qui n'est pas celui de cette troisième structure énergétique - il n' est donc pas sûr qu'il puisse fonctionner pour des apparitions qui, si elles existent, appartiennent à la troisième structure. Ou alors, l'esprit n'est pas séparé, c'est la matière psychique...

YL : Si j'ai bien compris l'exposé de Viéroudy, il en arrive à conclure (mais je me suis peut être trompé) qu'un phénomène comme les apparitions implique la nécessité d'une logique nouvelle. Je crois être apparenté à une école pour laquelle il n'y a pas de théories ni vraies ni fausses , mais simplement des théories pratiques à un moment donné, et par conséquent je demande si la logique aristotélicienne ne peut pas rendre compte par elle-même des apparitions. Le Dr. Krantz, par exemple, a proposé une explication des apparitions qui rentre parfaitement dans le cadre de la logique aristotélicienne...

PV : Oui, mais elle exclut la matérialité des apparitions.

YL : ... j'en connais au moins une autre, c'est celle du Dr. Lefébure -l'idée du phosphénisme, qui à ma connaissance rend très bien compte de trois cas d'apparitions : celles de Jeanne d'Arc, de Lourdes et de Fatima. Alors, est-on bien certain qu'il soit nécessaire d'élaborer une nouvelle théorie pour rendre compte du phénomène apparition ?

PV : Il s'agit de rendre compte non seulement du phénomène apparition, mais de l'ensemble des phénomènes parapsychologiques, qui comportent tous une composante physique et une composante psychique ; or, dans la logique du tiers exclu, un aspect exclut l'autre. Ce qu'on cherche à rendre compréhensible, acceptable, c'est que certains phénomènes ont à la fois les deux aspects, qu' ils peuvent être l'objectivation de schémas psychiques, subjectifs. Pour cela, il me semble qu'il faut introduire une nouvelle logique, où la contradiction n'exclue pas la coexistence.

DK : Si on critique la logique, on critique toute la Science !

PV : Vous considérez qu'il n'y a qu'une logique or y en a plusieurs.

FF : Il me paraît absolument impossible d'analyser les phénomènes parapsychologiques si on n' utilise pas une logique du tiers inclus. Je suis catégorique sur ce point. Je ne comprends pas on puisse prétendre faire des études de parapsychologie si l'on ne tient pas compte de cette bivalence caractéristique de n'importe quel phénomène psi. La logique aristotélicienne ne peut par définition, rendre compte de quelque chose qui est ambivalent, qui est contradictoire dans son essence. Autre point, qui concerne le modèle de Lupasco : Lupasco parle d'univers macrophysique qui serait entropique, d'univers biologique qui serait néguentropique, et d'univers psychique qui serait les deux à la fois ou tantôt l'un, tantôt l'autre. A mon avis, cette trinité n'est pas très satisfaisante dans notre optique de parapsychologue . Beigbeder a soulevé tout à l'heure la possibilité dans l'esprit de Lupasco, que l'univers psychique soit psycho-physiologique, puisqu'il s'agit de matière énergétique. Je crois que le problème de fond est là. S'il y a une distinction trinitaire à faire, c'est la suivante : d'un côté le domaine matériel, qui relève de la logique aristotélicienne ; de l'autre le domaine psychique, qui relève d'une logique différente et qui lui est propre enfin le troisième domaine, où se rencontrent deux types de logique.

MB : Mais c'est exactement ce que dit Lupasco.

FF : Je n'en suis pas sûr : quand on parle de biologie, il y a une confusion possible parce que l'approche habituelle de la biologie est matérialiste à base de logique aristotélicienne. Mais pour revenir aux apparitions, dans la conception de Lupasco il n'y a pas d'impossibilité à photographier une apparition : l'apparition est un objet matériel, on peut toujours photographier quelque chose de matériel.

MB : Ah non ! parce qu'il s'agit d'un autre type de matière, une autre structure matérielle.

FF : Quand vous photographiez une cuillère, ça ne pose pas de problème même si elle a été tordue des moyens paranormaux.

MB : Mais vous ne photographiez pas la torsion, le moment même où elle se tord.

DrK : Mais si ! Je vous le montrerai dans le film de Jean Pierre Girard que j'ai apporté.

MB : Alors il s'agit peut-être de phénomènes qui appartiennent, dans l'optique de Lupasco, à la logique aristotélicienne, qui est l'une des logiques possibles parmi les trois existantes.

DK : Vous ne pouvez pas supprimer la logique quand ça vous convient et la rétablir quand ça vous arrange.

MB : On ne la supprime pas ! On propose une logique qui en contient trois, on pluralise la logique.

DK : Vous choisissez chaque fois le type de logique qui vous convient !

MB : C'est celui qui convient aux divers types de phénomènes. Même dans la science officielle il y a des parties qui ne se rencontrent pas exactement dans leur logique avec d'autres parties. Kastler l' a montré dans son livre "Cette étrange matière".

X : A ce propos on peut rappeler que même sans aller chercher l'ufologie ou la métapsychique : dans la simple mécanique quantique - classique si l'on petit dire - pour rendre compte de l'expérience des deux fentes d'Young on est obligé de renoncer à la logique aristotélicienne ; et là je renvoie à une autorité en physique théorique que tout le monde reconnaît, Feynman. Pour interpréter cette expérience, il faut avoir recours au moins à une logique quadrivalente, comme l'a montré Purdell, physicien et théoricien américain.

DK : Cette logique n'est valable que pour la microphysique. Qu'est-ce qui permet de passer de la micro à la macrophysique ? MB : Mais, la microphysique intervient partout, dans tous les objets, même en astronomie...

YL : J'ai toujours été frappé par le fait que lorsqu'on veut démontrer le non fonctionnement de la logique aristotélicienne dans certains domaines, on utilise justement des raisonnements aristotéliciens... ceci dit, je crois quand même, que dire que les phénomènes paranormaux sont à la fois psychiques et physiques, c'est une théorisation commode, mais qui ne me parait pas appuyée sur des connaissances suffisantes. J'irai jusqu'à dire que c'est une théorisation aussi commode que certaines théories spiritualistes, qui rendent parfaitement compte du paranormal, mais pour lesquelles il faut accepter de faire un petit saut - celui qui consiste, à un moment donné, à passer de la démonstration à la croyance. Ce petit saut, j'ai l'impression qu'on le fait un peu pour cette question du physique et du psychique. Je m'explique :'j'ai envie que le dé tombe sur le 6, c'est le psychique ; le dé tombe effectivement sur le 6, c'est le physique. Le phénomène qui vient de se produire, et qui a mis en cause d'une part un individu et d'autre part un objet "sans âme", ne peut pas être considéré comme étant dans son essence psychique. Je fais de la logique aristotélicienne : il y a eu d' abord un acte psychique, suivi ensuite d'un acte physique. Et je ne pense pas qu'on puisse affirmer qu'il y a fusion des deux actes.

PJ : Mais il n'y a pas de fusion : c'est un événement qui possède les deux composantes.

YL : Justement, tout le refus de la logique aristotélicienne repose sur une supposée fusion.

FF : Mais non, il n'y a aucun problème de fusion. La relation entre le phénomène physique et le phénomène psychique est une relation de signification. Une signification est faite d'un signifiant (du côté physique) et d'un signifié (du côté psychique), qui sont dans un rapport de contradiction et de complémentarité. C'est pourquoi on ne peut pas rendre compte d'une signification en dehors d'une logique du contradictoire.

YL : Mais alors, dans ce cas aucun phénomène paranormal n'est objectivable.

FF : Exactement, si l'on considère chaque phénomène psi dans la totalité. Le problème est d'avoir une logique qui associe les aspects objectifs et les aspects subjectifs. On ne nie pas l'objectivité des faits ; mais c'est la corrélation entre cet aspect objectif et l'aspect subjectif qui en fait des phénomènes psi ; Ce n'est tout de même pas compliqué !

HG :.La question est celle-ci : pour rendre compte des ces phénomènes, faut-il abandonner la logique aristotélicienne ?

FF : Mais oui ! C'est une position épistémologique de principe. On ne fait pas de parapsychologie si on ne s'intéresse qu'à la matière seule, ou qu'à l'esprit seul. Le problème est celui de leur complémentarité.

HG : Je voudrais citer un exemple qui a été proposé par un physicien français à propos de la complémentarité onde-particule. Selon la manière dont on le regarde un cylindre peut être vu comme un cercle ou comme un rectangle. De même, en physique la particule reste ce qu'elle est, simplement on la voit tantôt comme une particule et tantôt comme une onde. Est-ce que le fait qu'elle ait deux aspects possibles -selon la manière dont on la regarde- conduit à abandonner la logique aristotélicienne ? Pour moi, non.

FF : Le problème de la complémentarité en parapsychologie ne se pose pas entre deux objectifs, mais entre un aspect objectif et un aspect subjectif c'est tout à fait différent.

YL : Il y a, outre la psychocinèse, énormément d'autres phénomènes qui présentent cette complémentarité, et à propos desquels on n'abandonne pourtant pas Aristote. Quand un enfant prend deux petits bâtons et dépose à côté deux autres bâtons, il mèle parfaitement le physique et le psychique pour constater que deux et deux font quatre.

FF : Justement : on s'imagine la plupart du temps que la parapsychologie se limite à la télépathie, la psychocinèse, etc. Pas du tout : la psycho-somatique tout entière est une branche de la parapsychologie. Quand, par exemple , je pense quelque chose et que je l'exprime, cette manifestation d'un rapport entre une donnée psychique (ma pensée) et une donnée physique (mon corps qui l'exprime) est par définition un phénomène psi. Comme d'autres l'ont déjà dit, la parapsychologie c'est finalement de la métaphysique expérimentale. C'est sur de la signification qu'on expérimente : pas sur des signifiés seuls (les données psychiques) ou sur des signifiants seuls (les données physiques ou physiologiques). Dans ce sens, toute la psychophysiologie, c'est de la parapsychologie. Je suis donc tout à fait d'accord avec Lignon que la complémentarité psychique-physique est quelque chose d'omniprésent.

X : Pourrait-on étudier un exemple précis qui nous montrerait qu' on ne peut pas appliquer la logique aristotélicienne dans le cadre de la parapsychologie ?

Y : Je vais prendre un exemple assez fréquent en ufologie : celui d'une apparition que certains témoins voient et que d'autres ne voient pas, ou qui peut être photographiée mais n'est pourtant pas présente sur un écran radar. Manifestement, dans le cadre de la logique aristotélicienne ceci présente un défaut, une faille.

HG : Pourquoi ?

Y : Qu'une chose soit à la fois vue par quelqu'un et ignorée par quelqu'un d'autre interdit d'en parler en termes d'objectivité ordinaire.

AF : Il ne faut pas choisir l'outil logique d'interprétation en fonction du phénomène.

Y : On doit tout de même se rendre compte que dans certains cas l'outil habituel est inutilisable. Bien souvent des observations ovni sont absolument rejetées... au nom de la logique aristotélicienne, parce que justement on ne peut pas les y intégrer. Or ces observations n'en continuent pas moins d'exister. On doit donc se poser des questions sur l'outil logique qui nous interdit de les enregistrer.

AF : Quelqu'un qui connait bien la logique pourrait-il en donner une définition ?

PM : Je fais de la logique mathématique. Ce n'est tout à fait ni la logique philosophique, qui date d'Aristote, ni la logique qu'emploient les physiciens quand ils parlent de complémentarité au niveau des particules. La logique mathématique développe principalement deux sortes de pratiques : d' abord la logique classique, qui est à peu près celle d'Aristote, mise en forme par Leibnitz et d'autres et restée pratiquement inchangée jusqu'à nos jours et ensuite une autre logique, apparue au XXe siècle et à peu près la seule à faire concurrence à la logique classique : la logique intuitionniste qui n'admet pas le tiers exclu. Or à mon avis le noeud de la question est ceci. D'une part la logique intuitionniste contient la logique classique, en ce sens qu'en rajoutant aux principes de base de la logique intuitionniste certaines dispositions limitatives, on retrouve la logique classique. Autrement dit, à l'intérieur de la logique intuitionniste on peut faire de la logique classique. Mais d'autre part, d'une façon moins facile à saisir (il ne suffit pas seulement d'introduire des limitations) on peut aussi, inversement, faire de la logique intuitionniste à l'intérieur de la logique classique. Le raisonnement est beaucoup plus délicat et fait appel à des notions très particulières, mais enfin il est licite d'en conclure que la logique classique inclut la logique intuitionniste. En somme, chacune des logiques contient l'autre. Mais alors, pourquoi les mathématiciens, puisqu'ils pouvaient faire de logique intuitionniste dans le cadre de la logique classique, ont-ils néanmoins eu besoin de la poser à part ? Eh bien c'est uniquement une question de commodité pratique : l'outil à construire pour retrouver la première à partir de la seconde étant assez compliqué, on a préféré, pour parler de certaines choses en mathématiques, se servir de la logique intuitionniste comme d'un outil indépendant.

PJ : Il me semble que le point de vue que vient d'exposer Pascal Michel pourrait parfaitement être transposé dans le cadre de notre débat, en ce sens que les phénomènes paranormaux sont plus faciles à appréhender en utilisant une logique du tiers inclus qu'en utilisant la logique aristotélicienne. Mais bien sûr il ne s'agit que d'un avantage relatif de la logique du contradictoire par rapport à la logique aristotélicienne. Contrairement à ce que certains d'entre nous semblent craindre, je ne pense pas, je ne souhaite pas que la relation entre les deux points de vue soit obligatoirement un dialogue de sourds. Je dirais volontiers qu'insister; comme le font Pierre Viéroudy et François Favre, sur une façon particulière d'aborder les phénomènes est plus créative, plus provocante, plus positive qu'une autre attitude. Mais je n'ai pas l'impression que, si on n'est pas au courant de la logique de Lupasco, on soit nécessairement condamné à ne rien comprendre aux phénomènes paranormaux. cas, il n'est pas dans ma nature d'être extrémiste à ce point !


Rappel : programme de la rencontre FOREPP 1979 :

FOREPP- Rencontre 1979 : "Pour une théorie générale des phénomènes psi"

R.Amadou, philosophie de la nature et parapsychologie. P. Janin, A quoi sert aujourd'hui I'expérimentation en parapsychologie ? (n°8).Pierre Viéroudy, Logique et parapsychologie. (n°10). Dr Krantz, Projections de séquences filmées : déformations d'objets métalliques par J.P. Girard; marche sur le feu . Chris et Y. Lignon, perspectives générales à partir d'essais réussis sous hypnose. P.Michel, Théories en parapsychologie et effet d'expérimentateurateur(n°8). J.Vallée, Une étude expérimentale de la perception à distance au cours d'une conférence médiatisée. P. Vieroudy, Signification archétypique des apparitions OVNI. H.Larcher, Anthropodynamique des phénomènes paranormaux.(N°9). F. Favre, La prémonition "potentielle".

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