RETROPSYCHOCINESE ET ACTE DE MESURE QUANTIQUE

par O. Costa de Beauregard

Revue de Parapsychologie n°11, 1980

Résumé : Dans ce bref article, Olivier Costa de Beauregard précis son point de vue sur l’importance théorique que lui parait avoir l’existence de la rétropsychocinèse pour l’interprétation dite de Copenhague de la mécanique quantique.

   Constatant que des physiciens déballent leurs problèmes dans les pages de Parapsychologie j’en apporte un des miens, qui me brûle les doigts depuis quelque temps.

   L’interprétation de la mécanique quantique dite de Copenhague et de Göttingen a été souvent critiquée, mais jamais efficacement remplacée. Elle est donc vraisemblablement très proche de la vérité, mais séparée d’elle par quelques intervalles à franchir adéquatement.

   Deux problèmes mal résolus sautent aux yeux dans cette interprétation.

   Le premier concerne la question de la superposition d’états dans l’appareil macroscopique de mesure. La superposition d’états est, on le sait, un fait paradoxal, mais fort bien vérifié, des micro-entités décrites par la mécanique quantique. Par exemple, dans un faisceau lumineux chaque photon « est », en général, à la fois dans deux états de polarisation orthogonaux entre eux, ce qui se vérifie en scindant, puis en recomposant le faisceau, au moyen de l’avalyseur suivi du polariseur approprié : par exemple, deux cristaux biréfringents successifs (avec interposition d’une lame compensatrice sur un faisceau, si nécessaire).

   Il est certain que ce trait doit se retrouver dans l’appareil macroscopique de mesure, si celui-ci est en principe descriptible par la mécanique quantique – et pourquoi ne le serait-il pas ? L’objection spontanée : « mais on n’a jamais vu un appareil de mesure dont l’aiguille soit simultanément sur le zéro et sur le un », s’écarte d’un revers de main par la réponse : « mais si c’est l’acte d’observation qui provoque la décision dans le processus stochastique, on ne verra jamais l’aiguille que sur le zéro ou sur le un (si telle est l’alternative). A quoi l’on ajoute que l’intersubjectivité (qui tient lieu d’objectivité) consiste en la « corrélation d’Einstein, Podolsky et Rosen entre observateurs effectuant la même observation » [1] .

   Cette réponse est d’une logique irréfutable, mais on aimerait en savoir un peu plus.

   Reprenons notre exemple du faisceau lumineux, scindé en deux par un cristal bi-réfringent. Rien n’est plus aisé que d’écarter l’un de l’autre, autant qu’on le voudra, les deux demi-faisceaux, qui sont polarisés linéairement dans deux directions orthogonales. L’on a ainsi transformé la mesure d’une grandeur du niveau quantique – polarisation d’un photon suivant les axes d’une certaine base arbitrairement choisie – en une grandeur largement macroscopique – appartenance à l’un de des faisceaux largement séparés. C’est cela qui tient lieu d’aiguille dans cet exemple. Et que l’aiguille soit alors à la fois « sur le zéro et sur le un » est vrai ; la preuve ? On peut recomposer le faisceau initial en superposant les deux faisceaux [2] .

   Soit. Mais n’est-il pas vrai que pour observer un photon dans l’état « 0 » ou dans l’état « 1 », il faut le copier, et, par exemple, intercepter les deux faisceaux au moyen d’une plaque photographique. Alors, un grain sera impressionné par un processus de cascade (une « brisure provoquée » de symétrie métastable). On saura alors où est trouvé le photon, et quel état de polarisation il a choisi. Mais on ne pourra plus recomposer l’état initial du faisceau.

   Tout cela est bien connu, et, si je le redis, c’est pour en venir à ma question, qui est le second problème annoncé.

    Si l’on enregistre le résultat d’une mesure quantique et qu’on diffère (éventuellement indéfiniment) d’en prendre connaissance, comme peut-on maintenir que c’est l’acte d’observation qui provoque la décision du résultat ? Si je développe et garde la précédente plaque photographique sans la regarder, la mets dans un coffre-fort pour la regarder plus tard (éventuellement jamais, parce que je change d’avis ou qu’un incendie fait fondre le contenu du coffre-fort) le résultat n’en a-t-il pas moins été enregistré, et rendu ce fait objectif ?

   Cela semble « évident », mais cela ne peut pas être prouvé. Pour le prouver, il faudrait montrer la plaque et, alors, comment prouver que ce n’est pas le fait d’observer la plaque qui provoque rétroactivement la décision antécédente, dix ans avant ou plus ?

 

   « Allons donc », diront les représentants du « bon sens ». Mais, répondront les partisans de l’interprétation de Copenhague et de Göttingen cela se discute ; et surtout cela peut être expérimenté.

   La remarque préliminaire est que la symétrie passé-futur intrinsèque est une loi très générale de la physique ; en mécanique, en théorie des ondes, en mécanique statistique (Loschmidt-Zermelo), en calcul des probabilités. D’où l’idée naturelle que le collapse du Ψ (la transition aléatoire liée à l’acte de mesure quantique) doit être conçue comme intrinsèquement t-symétrique (Costa de Beauregard, 1977) ; cette symétrie est d’ailleurs liée à celle entre l’information-acquisition de connaissance et l’information-pouvoir d’organisation (celles respectivement manifestées à la réception et à l’émission d’un message). Ceci implique l’existence d’une réaction de l’observateur (et pas seulement de l’appareil d’observation) sur la chose mesurée, et donc, de la psychocinèse [3] .

   Et cela implique aussi (si paradoxal que cela semble à première vue) l’existence de la rétropsychocinèse, étudiée expérimentalement par P. JANIN [4] et par H. SCHMIDT [5] et (à ce qu’il semble) effectivement observée.

   C’est juste de cela qu’on avait besoin pour « boucler » le schème explicatif de l’école de Copenhague et de Göttingen. Si la rétropsychocinèse est effectivement observable, le problème de la mesure enregistrée mais dont l’observation est différée se trouve résolu. En fin de compte, c’est bien l’acte de conscience de l’observateur (ou des observateurs corrélés) qui provoque la décision aléatoire (au sein d’un ensemble de cas possibles).

   BOHR à Copenhague, BORN à Göttingen, en introduisant explicitement la conscience dans le laboratoire de physique, semblent bien avoir laissé la parapsychologie entrer clandestinement avec la psychologie.



[1] Pour une présentation d’ensemble de la question voir par exemple : O. Costa de Beauregard, Bulletin La Société Française de Philosophie 1, 6 (1977).

[2] F.J. Belinfante, Amer. Journ. Phys. 46, 329 (1978) discute cette expérience pensée dans un contexte légèrement différent.

[3] Il est admis que la non-nullité de la constante de Planck implique l’existence d’une réaction de l’appareil de mesure sur la chose mesurée ; on n’ose généralement pas écrire « de l’observateur », bien que ce soit alors inévitable. A mon avis, la même conclusion se tire de la non-nullité de la constante K de Boltzmann impliquant « l’équivalence » entre information I et néguentropie N et l’égalité réversible N kLn2I.

[4] P. Janin, Psychocinèse dans le passé ? Une expérience exploratoire, Parapsychologie n°2, avril 1976, 33-49.

[5] H. Schmidt, 1977, Proceed. Intern. Conf. Cybernetics and Society, IEEE, p.535. Notons que H. Schmidt a fait un « exposé invité » le 30.1.79 devant l’American Physical Society : Bull. Amer. Phys. Soc. 24 n°1, 38 (1979).

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