TEMOIGNAGE SUR J.B. RHINE

par Réginald de Prelle

Revue de Parapsychologie n°12/13, 1981

   Quand je suis arrivé à l’Institut Rhine – belle bâtisse de ce style colonial propre au sud des Etats-Unis – j’ai été tout d’abord saisi par le climat très détendu, confiant, dépourvu d’a priori, qui y régnait. Le professeur Rhine se présentait comme un homme modeste, affable. Assisté dans ses recherches par son épouse Louisa – elle-même auteur de plusieurs ouvrages sur la parapsychologie qui font autorité – c’était un homme qui ne cherchait aucunement à imposer son point de vue. On accepte ou non le sens de ses recherches, on en admet ou pas le sérieux. Le professeur Rhine ne s’instituait aucunement avocat de son œuvre. « It’s up to you find out by yourself » (cela vous regarde, tirez vos propres conclusions), avait-il l’air de dire.

   Cependant, derrière l’apparence détachée on percevait de l’anxiété. On n’affronte pas impunément pendant des années sarcasmes et propos désobligeants. La sensibilité du professeur Rhine gardait la trace des critiques malveillantes surtout assénées lors de cette époque d’avant-guerre où s’occuper de parapsychologie apparaissait aux yeux des « gens sérieux » comme une activité farfelue.

   Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Les recherches menées dans de nombreuses universités du monde entier – notamment en URSS – sont tellement significatives que nier encore la réalité de la parapsychologie apparaît aussi absurde que réfuter l’existence de l’électricité sous prétexte qu’on ne connaît pas la nature exacte de celle-ci.

   Et pourtant, le professeur Rhine a été trop marqué par l’opposition de ses contemporains pour se dégager vraiment de sa tendance au scrupule : « Même si je dois répéter des milliers, des dizaines de milliers de fois les expériences de télépathie, je veux parvenir à un point où celle-ci sera jugée inattaquable du point de vue scientifique. L’ère de la parapsychologie pourrait s’avérer un désastre pour celle-ci si on ne prend pas toutes les précautions nécessaires pour en assurer la diffusion dans des conditions très rigoureuses. »

   Actuellement, il est de bon ton dans certains milieux de la parapsychologie de considérer les recherches de Rhine comme présentant un intérêt très relatif. On ne voit pas l’utilité de répéter pour la cent millième fois des expériences de télépathie, avec le but – avoué ou non – de convaincre cette fraction du monde scientifique qui demeure inconditionnellement réfractaire à tout ce qui, de près ou de loin, touche au domaine paranormal.

   « Oui, je sais, concluait Rhine, on me reproche de persister à vouloir répéter mes expériences. Mais, tant qu’il subsiste l’ombre d’un doute, je me dois de poursuivre dans la voie que je me suis tracée depuis un demi-siècle. »

   Un tel état d’esprit explique pourquoi, aux yeux de Rhine, les expériences menées hors laboratoires étaient, a priori, suspectes. C’est ainsi qu’il a pu professer, il y a quelques années, un manque d’intérêt total pour les phénomènes physiques du type poltergeist, cette opinion pouvant concerner au moins trois chercheurs, et non des moindres : George Owen à Toronto, William Roll à Durham (la propre ville de Rhine ; leurs laboratoires respectifs ne sont pas loin l’un de l’autre), et Hans Bender, à Fribourg en Brisgau, en Allemagne.

   Rhine était le type même du savant consciencieux et qui ne se payait pas de mots. Ses recherches, il les a menées en s’entourant de toutes les garanties possibles. Il n’entendait pas les voir discréditées par les expérimentations qu’il déplorait en constatant la vogue de la parapsychologie dans des milieux où l’esprit de rigueur n’est certes pas le leitmotiv. Il pensait notamment à tout ce qui gravite autour de certains gourous dits inspirés qui traînent dans leur sillage une cohorte d’êtres désemparés tout prêts à basculer dans le faux mystère.

   Cependant, à force de vouloir encore et toujours donner la preuve de certaines réalités qui, par essence, échappent sans doute à la définition, à la preuve répétable, ne risque-t-on pas de s’enfermer dans le cercle vicieux d’un certain perfectionnisme ?

   Les nouvelles générations de parapsychologue n’ont plus de tels scrupules. Peut-être parce qu’ils n’ont pas connu les affres de la mise au ban vécues par le professeur Rhine. A mesure qu’il avançait en âge, celui-ci aspirait sans doute essentiellement à la paix. Dans ces conditions, peut-on lui reprocher une prudence qui peut bien maintenant nous paraître relativement inutile, dépassée, eu égard aux résultats obtenus dans tant de pays au cours de nombreuses décennies de recherche expérimentale ?

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