F O R E P P rencontre 79

UNE ETUDE EXPERIMENTALE DE LA PERCEPTION A DISTANCE AU COURS D'UNE

CONFERENCE MEDIATISEE

par Jacques VALLEE (1)

Revue de Parapsychologie N° 12-13, 1980

 

Dans un récent article (2) , TARG et PUTHOFF ont mis en évidence chez l'homme la possibilité de percevoir des objets et des scènes à distance par un canal d'information apparemment inconnu. La présente communication est le compte-rendu d'une série d'expériences qui semblent confirmer les travaux de TARG et PUTHOFF, tout en les étendant à des situations dans lesquelles les participants sont à des milliers de kilomètres les uns des autres, où le contrôle de l'environnement sensoriel est garanti automatiquement et discrètement par le moyen de communication particulier qu'on utilise, et où les cibles sont des échantillons minéraux ayant un intérêt économique potentiel.

Les expériences ont été conduites grâce à un système informatique de téléconférence, qui a été décrit dans d'autres pubIications(3). Un tel système permet à chaque participant d'enregistrer ses commentaires en les frappant au clavier d'un terminal local, et ceci à tout moment. Tous les commentaires sont, soit immédiatement imprimés par l'ordinateur sur le terminal de tout participant branché sur le réseau à cet instant, soit mis en mémoire pour être utilisé ultérieurement.

Douze personnes situées à New York, en Floride, au Québec et en Californie ont été pourvues de terminaux d'ordinateurs, chez elles ou à leur bureau. L'expérience était patronnée par une entreprise de télécommunications, et c'est à titre de volontaires bénévoles que les participants lui ont consacré une partie de leur temps libre.

Le but initial des expériences était de tester la "vision à distance" dans ce mode particulier de communication que permet un système de téléconférence - où les participants sont isolés individuellement, et communiquent entre eux uniquement à l'aide d'un clavier, éventuellement en temps réel. De plus, nous voulions confirmer que l'utilisation de ce système de téléconférences fournissait un enregistrement de l'information exact et commode, et interdisait toute collusion ou toute perception d'indices subliminaux à un degré encore jamais atteint dans la plupart des expériences de parapsychologie.

Pendant toute la période du 14 juin au 8 juillet 1975, les participants discutèrent des divers problèmes de la recherche parapsychologique. Les expériences proprement dites durèrent 5 jours, du 29 juin au 3 juillet, et furent conduites de la façon suivante : dix échantillons minéraux, sélectionnés dans des collections géologiques, furent étiquetés et mis sous enveloppes cachetées. Ces dix spécimens étaient : la rare bastnosite minérale, une veine de galène et de quartz, de l'opale, du minerai d'or, de la halite, du cinabre, de la magnétite, du réalgar, de la barite, et de la cobaltite. Les participants savaient seulement que les cibles étaient des échantillons minéraux provenant d'Amérique du Nord. Cinq de ces échantillons furent mis dans de plus grandes enveloppes et étiquetés au hasard de "Dimanche" (29 juin) à "Jeudi" (3 juillet) pour former un lot de cibles en double aveugle, les autres cinq échantilIons constituant le lot "ouvert".

Chaque jour à 7h30 et 19h3O (heure de Californie) un géologue, installé devant son terminal , prenait une des enveloppes de la série "ouverte", en extrayait l'échantillon, et le tenait en main. Tout participant connecté au réseau à ce moment-là pouvait fournir une description de ce qu'il "voyait" à distance. Ces descriptions étaient enregistrées et imprimées, avec mention de la date et de l'heure exacte. Une fois toutes les descriptions enregistrées, le géologue donnait lui-même une brève description du spécimen, destinée à servir de feedback aux participants. Le spécimen était ensuite retiré de la série "ouverte".

Parallèlement, chaque matin, l'enveloppe du jour était retirée du lot "double aveugle" et placée dans un endroit précis du bureau, où elle jouait pendant 8 heures le rôle de cible pour la vision à distance. Tout participant branchant son terminal pendant cette période de 8 heures pouvait envoyer sa description de l'échantillon contenu dans l'enveloppe. En fin de journée, celle-ci était remise au géologue qui l'ajoutait à celles de la série "ouverte". Aucun feedback n'était donc donné pour ces cibles en "double aveugle".

A la fin des expériences nous avions obtenu en tout 33 descriptions de 10 échantillons faites par 6 personnes. Treize de ces descriptions avaient été faites dans la condition "double aveugle", et 20 dans la condition "ouverte". Quatre spécimens avaient servi dans les deux conditions.

Dès l'abord les descriptions de plusieurs échantillons apparurent comme réussies, mais afin d'évaluer objectivement l'exactitude de ces perceptions à distance nous avons demandé à des juges extérieurs de comparer les 33 descriptions aux échantillons-cibles. Cinq personnes -dont les professions respectives étaient sociologue, éditeur, physicien, secrétaire et bibliothécaire-,qui n'avaient pas connaissance des correspondances réelles, se virent donc remettre des copies des descriptions faites par les participants, sans indication ni de date, ni d' heure, ni de nom, ainsi que, d'autre part, les dix échantillons géologiques. La tâche de ces personnes consistait à attribuer un ou plusieurs échantillons à chaque description. Entrons ici un peu dans le détail. Alors que TARG et PUTHOFF ont fait appel à un système de classement par rangs, nous avons utilisé une notation par pourcentages : à chaque spécimen proposé pour une description donnée, le juge devait attribuer un pourcentage reflétant son degré de certitude qu'il s'agissait du bon appariement - une "note d'appariement" en quelque sorte. Pour chaque description un total de 100 % pouvait ainsi, éventuellement, être réparti sur plusieurs échantillons différents. Les évaluations des cinq juges furent alors additionnées, indiquant quels échantillons avaient le meilleur score pour chaque description.

Dans 8 cas sur 33, la note la plus élevée se trouva correspondre à l'échantillon-cible correct - autrement dit, la cible avait été correctement identifiée à distance. Cette fréquence correspond à plus du double de ce qu'on peut atteindre du simple hasard soit 3,3 fois sur 33 (1 chance sur 10), et serait obtenue en moyenne moins d'une fois sur 100 expériences.

Par ailleurs, afin d'obtenir une analyse plus détaillée, qui rende compte de la distribution des pourcentages entre les différentes cibles pour chaque description, les résultats obtenus ont été traités à l'ordinateur avec un programme de statistiques ordinairement utilisé en sciences sociales (t de Student), et permettant de déterminer la probabilité pour que les pourcentages attribués aux cibles correctes et incorrectes l'aient été au hasard. Pour l'ensemble des 33 descriptions, la probabilité trouvée fut de 8 %. Pour les descriptions données par les participants I. S. (New York) et R.B. (Floride), avec respectivement 9 et 11 enregistrements, le test donna une probabilité de 4 %.

Voici quelques descriptions de spécimens-cibles données par "vision à distance".

La cible F était de la halite, c'est-à-dire du sel (NaCI), et consistait en deux cristaux presque transparents "poussés" l'un à l'intérieur de l'autre. La description n°18 mentionnait : "Du cristal, un ballon de cristal, du verre, du cristal, du cristal transparent ... formé par égouttement et évaporation ... obtenu dans une mine mais trouvé tout près de la surface ... Névada du Nord" (en fait l'origine exacte était le Névada du Sud). La description n°17 faisait référence à des solutions sursaturées de sel , et la description n°3 disait "Quelque chose de blanc comme un corail . . . qui s'effriterait en cas de traitement violent. . il y a plus d'une partie ... cela a "poussé".

La cible D contenait des agglomérats d'opales bleu-vert et blanc laiteux dans une pierre de silice brune pyramidale. La description n°25 disait, entre autre, " ... Pourquoi est-ce que je n'arrête pas de voir du VERT ? Je vois un triangle vert de taille moyenne ... tacheté d'une couleur brun pierre ... Je ne vois pas un pur cristal d'émeraude verte ... Je le vois avec des paillettes, en contact avec de la roche brute ... On dirait que ça a été versé, un liquide épais de plastique vert (le vert devenant bleu-vert sur les bords de l'échantillon), et si c'était fracturé, la cassure serait lisse et propre comme du verre".

Les deux tiers des descriptions contenaient des éléments qui correspondaient aux cibles exactes, mais souvent leur étaient mêlés d'autres éléments qui ne concordaient pas, et il n'était pas possible de réduire l'ensemble à une identification unique et cohérente. Les caractéristiques souvent identifiées correctement furent la couleur, la forme, le poids relatif, la présence de cristaux, le type de matière (par exemple : métallique), et la formation géologique (par exemple : volcanique). Les tentatives faites pour déterminer l'origine géographique furent dans l'ensemble erronées, ainsi que les descriptions de la taille des échantillons et leur substance exacte. Nous ne savons pas si ces résultats sont le fait des participants ou de la nature du processus de transfert de l'information. Nous suggérons que des études ultérieures servent à déterminer quelles cibles seraient les plus faciles à distinguer ( c'est-à-dire apparaîtraient très différentes les unes des autres) d'après ces caractéristiques qui ont été les mieux "perçues" dans nos essais.

Ces résultats nous paraissent encourageants : des perceptions à distance exactes et significatives se sont produites dans des conditions expérimentales où les participants qui réussirent le mieux étaient à 4 000 kilomètres des cibles. Un autre résultat intéressant est que des descriptions tout aussi correctes ont été obtenues en double aveugle, ce qui suggère que la faculté que nous avons étudiée fonctionne également pour des informations inconnues de toute personne. Le système informatique de téléconférence permettait le contrôle des conditions de test, avec l'enregistrement complet des messages des participants.

Le fait que plusieurs des spécimens étaient composites rendait la tâche expérimentale particulièrement difficile (bien que proche des conditions réelles), peut-être plus difficile que celle des expériences du Stanford Research Institute, du moins pour des non-géologues. Nos résultats tendent donc à valider indirectement les résultats de TARG et PUTHOFF, et indiquent que les techniques de perception à distance méritent des recherches plus poussées.

C'est grâce à M.A. Katz de Deer Communications Inc. , San Francisco, que ces expériences ont été possibles. Nous remercions MM. Hudson et Wilson pour leur assistance dans l'exécution et l'analyse des expériences, et tout spécialement nos cinq juges : Mme. Amena, Mme. Chula, Dr. Jonansen, Dr. Lipinski, et Mme. Spangler.

 

BIBLIOGRAPHIE

1. Ce texte, qui a servi de base à la présentation de Jacques Vallée, est l'adaptation d'un article paru en 1976 dans Proc. IEEE, oct. 1976, sous la signature conjointe de J. Vallée A.C. Hastings et G. Askevold.

2. H.E. PUTHOFF et R. TARG. " A perceptual channel for information transfer over kilometer distances : historical perspectives and recent research", dans Proc. IEEE, vol 64, n°39 mars 1976.

3. Voir en particulier les articles "Network conferencing" dans Datamation, mai 1974, et "The computer conference, an altered state of commitinication ?", dans The Futurist, juin 1975.

 

 

DISCUSSION

 

Abréviations :

J.V. Jacques VALLEE

C.M. Christian MOREAU

P.J. Pierre JANIN

F.F. François FAVRE

Y.L. Yves LIGNON

C.L. Catherine LEMAIRE

X. et XX. : ....

 

C. M- Dans votre introduction, vous avez dit que le choix du protocole expérimental, (notamment le fait de travailler sur des matériaux géologiques), avait été motivé par la forte charge affective investie par Ingo Swann dans la géologie, au cours de son histoire personnelle. J'aimerais donc savoir si cette hypothèse de départ, en quelque sorte, qui vous avait conduit à choisir des matériaux géologiques, s'est trouvée vérifiée ; en d'autres termes, Ingo Swann a-t-il mieux réussi que les autres sujets (Puthoff, Targ, ... ), y-a-t-il eu à ce propos une analyse statistique et des résultats significatifs ?

J.V.--Oui, absolument : les résultats de Swann et Richard Bach étaient de très loin les meilleurs, devant ceux de Puthoff et Targ, qui étaient à peu près à égalité. Un autre résultat intéressant a pu être mis en évidence : il n'y pas eu de différence significative entre les 2 séries d'expériences, à savoir la série en double-aveugle, où personne ne pouvait connaitre les échantillons, et la série "ouverte" dans laquelle le géologue tenait à la main les échantillons qui autorise l'hypothèse de la "lecture dans la pensée". Si vous voulez, on peut dire que les résultats ont été aussi bons pour les expériences de "vision à distance" pure, et celles où la télépathie pouvait jouer.

X- Je pense que dans ce genre d'expériences, vous rencontrerez toujours un gros obstacle : celui du langage. Il est en effet très difficile aux sujets de traduire exactement ce qu'ils ressentent, surtout en utilisant un système informatisé.

J.V- C'est exact : il y a malheureusement ici une limitation. Aussi bien Ingo Swann que Richard Bach sont non seulement de bons sujets psi, mais aussi d'excellents écrivains, qui ont l'habitude de décrire des sensations, des émotions, même vagues, sous forme de mots.Je crois que c'est un talent assez rare, malheureusement, même parmi les sujets psi en général, donc c'est effectivement une limitation. Par contre, la technique a un avantage : il n'y a pas de pression psychologique sur les personnes quand on utilise ce genre de méthode. On force la personne à préciser sa pensée, on capture sa pensée, sans lui donner l'impression d'une pression psychologique intense. C'est la différence qu'a perçue Ingo Swann par rapport aux tests normaux : dans les tests normaux, vous êtes constamment sous pression, il faut donner une réponse immédiatement, surtout si c'est une réponse verbale ; il y a un sentiment de temps qui passe. Alors que là, avec notre protocole, le temps peut être "suspendu". Le sujet peut se brancher sur le système aussitôt qu'il a une impulsion. Certaines impulsions peuvent se produire au milieu de l'après-midi, comme au milieu de la nuit. Quelqu'un s'est relevé à 4 h du matin parce qu'il avait rêvé d'un cristal, par exemple. Alors, il allait se brancher par son terminal, et donnait la description au moment exact où il en avait envie. C'est un environnement qui est très difficile à créer dans des expériences parapsychologiques de laboratoire, en général.

X- Peut-être serait-il intéressant de définir une liste standard des termes descriptifs utilisés par les géologues, et de distribuer cette liste aux participants, comme suggestion de vocabulaire, pour les aider à préciser leurs descriptions ?

J.V.-- Je pense que c'est une excellente suggestion, qui ne s'applique d'ailleurs pas qu'à la géologie. En effet, rien n'oblige, si cette expérience devait être reproduite, à utiliser de nouveau des roches. Nous avons choisi cela pour plusieurs raisons, notamment parce que c' était une expérience plus difficile, plus précise, et parce que les sujets avaient une affinité pour les choses qui venaient de la terre. Nous avons utilisé des roches non raffinées, des matériaux en inclusion dans des roches, tels qu'ils avaient été sortis de terre, et cela a plu aux sujets, qui aimaient l'idée que le matériel venait directement de la terre.

P.J.--Je voudrais faire un commentaire sur ce que vous avez dit à propos de l'effet de distance. Vous avez suggéré l'utilisation éventuelle de votre dispositif dans le but d'étudier cet effet de distance. Je suppose que vous vous souvenez des expériences que Osis avait consacrées à la question, il y a une dizaine d'années, expériences à grande échelle, qui impliquaient un nombre de personnes très élevé (50 à 70, si mes souvenirs sont exacts), des protocoles de mise en oeuvre et de dépouillement statistique extrêmement élaborés, etc ... Vous savez donc que l'existence d'un effet de distance dans les expériences d'Osis est pour le moins problématique. En effet, dans certains cas, il y a eu une décroissance (pas très marquée, mais suffisamment claire) avec la distance, dans d'autres cas il n'y a pas eu de décroissance des résultats avec la distance. Or, sur le fond, je me demande si la question de la distance en ce qui concerne les effets paranormaux n'est pas un faux problème. Pourquoi ? Eh bien, c'est simple à comprendre : étant donné qu'il a été démontré expérimentalement qu'il peut y avoir des clairvoyances inconscientes, il est tout à fait impossible d'éliminer, dans une expérience à distance, la clairvoyance inconsciente que le sujet a peut-être de cette distance. Par exemple, si on vous propose de décrire une opale à 10 000 km, on ne peut pas exclure l'hypothèse que vous savez inconsciemment qu'elle est à 10 000 km. D'autre part, -et c'est là l'important- on ne peut pas exclure non plus que vous avez une conviction a priori a propos de l'effet que cette distance peut ou doit avoir, et que par conséquent vos résultats reflètent cette conviction. Il s'agirait alors, en somme, d'un "effet de sujet", cas particulier de l'effet d'expérimentateur bien connu en parapsychologie. Ainsi si vous êtes persuadé que 10 000 km est une distance trop importante, il se peut que cela vous empêche inconsciemment de donner une description correcte de cette opale. En conclusion, puisqu'on ne peut pas exclure de tels processus (qui se sont produits à de nombreuses reprises en parapsychologie), la question de savoir si la distance joue ou non en tant que facteur physique un rôle dans les événements psi, est un faux problème.

J.V- Je me demande si on ne peut pas penser à éliminer cet effet. Je pense que l'effet que vous signalez est tout à fait réel ; je crois que nous avons eu la chance de travailler avec des sujets qui étaient entrainés à ce genre d'expériences, qui étaient familiarisés avec l'idée de "promener" leur conscient dans l'univers, et il aurait été beaucoup plus difficile de mener une telle expérience avec des sujets ayant une conception très rigide de la distance, de l'espace. On pourrait essayer de remédier à cela en créant par exemple un groupe de 10 sujets-expérimentateurs, où on passe d'un échantillon à l'autre, ces échantillons se trouvant à différents points du réseau, sans que les sujets sachent où se trouve pratiquement l'échantillon.

P.J- Mais il suffit qu'ils le sachent inconsciemment pour que toute la procédure soit caduque !

F.F.--Je pense que le problème de la distance est un problème extrêmement général, qui est lié, comme l'a très bien dit Pierre Janin, aux conceptions de l'expérimentateur, à sa représentation de l'espace, et qui rejoint de façon très générale la notion d'effet d'expérimentateur, effet qu'on ne peut absolument pas exclure en parapsychologie. Etant donné qu'il y a de nombreuses expériences -et pas seulement sur l'effet de distance- qui montrent qu'un super-expérimentateur pourrait conditionner des expérimentateurs à obtenir des résultats conformes aux suggestions qu'il avait faites au départ, il est indémontrable loqiquement que la distance puisse intervenir ou non en tant que facteur physique.

J.V- Est-ce que ça ne signifierait pas tout de même quelque chose, si vous faisiez une expérience, et qu'il n'y ait pas d'effet de distance du tout ?

F.F.-- Mais il y a des cas qui sont comme cela, notamment des cas spontanés extrêmement frappants ...

P.J.-- On connait des cas de télépathie, par exemple, qui ont eu lieu à 13000 km de distance, et d'autres à 10 m, et rien ne les distingue.

J.V- Oui ... Il me semble qu'il y a quand même quelque chose à en tirer, ici. Par exemple, ça élimine la suggestion évidente que la transmission soit faite par une particule, ou par une onde ... C'est-à-dire que s'il y a un effet de distance, en particulier s'il y a une décroissance des résultats avec la distance, ça ne veut pas nécessairement dire quelque chose sur l'effet psi, puisque comme l'a dit Pierre Janin, ceci peut être dû à un effet de sujet percevant inconsciemment la distance ; par contre, s'il n'y a pas d'effet psi, ou si il y a un renforcément de l'effet psi avec la distance, au contraire, alors là ça devient très intéressant, du point de vue théorique.

X- Pourquoi dites-vous que ça élimine l'hypothèse des ondes ou des particules ?

J.V.--Cela élimine l'idée des radiations électromagnétiques, de transmission radio de cerveau à cerveau, ce genre de théories qu'on entend encore, en particulier quand des ingénieurs se réunissent pour parler de parapsychologie.

XX- S'il y a un effet de distance, alors il va y avoir un seuil à partir duquel , quelle que soit la procédure employée, on n'obtiendra plus aucune expérience positive. Donc à ce moment-là, l'approche théorique que vous faites me semble ne plus tenir ; c'est-à-dire que cette objection théorique n'est valable que tant que l'on reste en-deçà du seuil à partir duquel la distance joue tellement que plus rien ne passe.

P.J- Mais, justement, y-a-t-il un seuil ? Personne ne le sait. A ma connaissance, les expériences les plus lointaines qu'on ait pu faire sont celles d'Edgar Mitchell dans la cabine Apollo ...

XX- Ce que je veux faire ressortir précisément, c'est que la seule façon de régler ce doute serait de mettre en oeuvre des expériences très, très, très loin, pour savoir s'il existe ou non un seuil.

Y.L- A propos de ce que vient de dire Pierre Janin sur l'impossibilité de distinguer des observations de télépathie à 10 m et à 13 000 km, je pense que pour se poser la question de façon un peu plus fine, il faut faire des expériences. Et il me semble, d'après tout ce que j'en ai vu, que pas mal d'expériences concernant la distance contiennent un artefact. A savoir que, (c'est un genre de travail que j'ai effectué) quand on demande de faire une tentative de perception extra-sensorielle sur un paquet de cartes situées dans le tiroir d'un bureau à l' université de Toulouse-Le Mirail , on s'aperçoit qu'il y a un artefact, dans la mesure où la situation est différente, pour la personne qui est assise devant le bureau, et qui donc visualise un certain environnement, et pour la personne qui est située à 200 km, et qui imagine cet environnement, meme si on le lui décrit de façon très précise.

P.J- Et dans quel sens crois-tu que cela puisse jouer, au niveau de l'effet de distance ?

Y.L.-- Je ne sais pas dans quel sens ça joue, je veux simplement faire remarquer qu'il peut y avoir un artefact, c'est un problème auquel nous nous sommes heurtés, et qu'il faudrait peu-être se méfier de certaines expériences qui concluent dans un sens ou dans l'autre pour l'effet de distance, puisque finalement, ce n'est pas deux fois la même expérience.

P.J- Que penses-tu de l'objection que j'ai soulevée, à savoir qu'il y a toujours éventualité d'une perception inconsciente de la distance, ce qui annule le problème de la distance en temps que facteur physique ?

Y.L- C'est une des idées avec lesquelles je serais assez d'accord concernant les caractères de la perception extra-sensorielle.

P.J- Autrement dit, tu serais d'accord pour dire que ce n'est pas tellement la peine de s' inquiéter de l'effet de distance ?

Y.L.-- Peut-être, mais enfin il n'y a pas pour le moment d'expériences permettant de prendre une décision, et je considère quant à moi que l'observation n'est pas suffisante.

P.J.-- Si malgré la multitude d'expériences déjà faites, il n'y en a aucune permettant de prendre une décision, alors quand en prendra-t-on une ?

Y.L.--Quand on aura imaginé une expérience suffisante. On admet bien à l'heure actuelle qu' il reste à imaginer une expérience permettant de différencier la télépathie de la voyance. C' est un peu le même problème.

P.J- Non, parce qu'au niveau de l'effet de distance, tu ne pourras jamais exclure l'éventualité d'une perception inconsciente de cette distance.

Y.L.-- Non, non, mais je citais cette comparaison comme exemple.

P.J- Si l'on s'en tient à l'effet de distance, comment peut-on exclure l'éventualité, dont je parle ?

Y.L.--C'est un problème ouvert, pour moi.

P.J- Moi, il me semble réglé de façon définitive, parce qu'insoluble.

C.M- Je voudrais dire que j'étais tout à fait d'accord avec Jacques Vallée, qui disait avant de spéculer sur la façon dont on pourra expliquer l'effet de distance, si on en observe un, il est important de savoir si on peut réaliser des expériences, répétées et fiables, qui montrent qu'il n'y a pas d'effet de distance, c'est-à-dire que, quelle que soit la distance, ça marche toujours aussi bien. Il est d'ailleurs probable qu'on pourra établir ce résultat, à savoir que la distance ne joue absolument pas (d'après les quelques indices que l'on a pu recueillir jusqu'à présent, tout laisse à penser qu'on obtiendra confirmation expérimentale de ce résultat), et à ce moment là on ferait une économie de spéculations. Il me semble donc que ce expériences concernant la distance ne sont pas vaines, leur interprétation théorique sera extrêmement complexe, mais elles ne sont pas vaines, surtout si ce résultat expérimental est confirmé un très grand nombre de fois, et comme le protocole de Jacques Vallée est très propice à ce genre d'expériences, il me semble intéressant.

P.J- Oui, mais supposons qu'on trouve un effet de distance ?

C.M- Ah mais, si on dit - supposons ceci, supposons cela ... Pour moi, l'intérêt de ce type d'expériences, c'est que, si la réponse est : il n'y a pas d'effet de distance, alors là au moins ça sera clair.

P.J.-- La réponse est dores et déjà la suivante : on ne peut pas distinguer un effet de distance dû à la distance matérielle, d'un effet de distance dû à l'auto-suggestion du sujet. Et comme on ne peut pas les distinguer, ça ne vaut pas la peine d'expérimenter, surtout étant donné ce qui a déjà été fait.

C.M.-- Et si il n'y a pas d'effet de distance du tout, on n'aura pas à se poser cette question ça sera déjà ça !

J.V- Je crois que ce genre d'expériences peut tout de même apporter un résultat important, non pas tellement pour la discussion que nous avons entre parapsychologues, mais plutôt pour la communauté scientifique à l'extérieur, en ce sens que, s'il n'y a pas de décroissance selon le carré de la distance, ou à la rigueur linéaire, ou bien selon une autre fonction de la distance, alors à ce moment là, certaines théories sur la façon dont l'information est transmise, ou acquise, sur l'énergie, etc. . , doivent être remises en question. Cela nous donne déjà l'occasion de présenter ce genre de résultats à la communauté.scientifique, et la parapsycholie n'a pas si souvent l'occasion de le faire, et de forcer un physicien à regarder les résultats. Je crois qu'un dialogue intéressant pourrait s'instaurer à ce moment-là.

P.J.--Cette remise en question dont vous parlez, cela fait très longtemps qu'elle a déjà été faite.

,].V.--Oui, mais cela permet simplement d'affiner l'expérience, de la rendre moins chère, et de renforcer les contrôles, c'est plus démonstratif.

F.F.-- Moi, je suis tout à fait de l'avis de Pierre Janin : ce problème est logiquement insoluble. Il y a des problèmes qui sont logiquement solubles, comme par exemple la différence entre télépathie et clairvoyance, que soulevait Yves Lignon. Il y a eu des expériences qui ont permis de trancher : les expériences de Pratt et Woodruff pour démonter la clairvoyance et celles d'Elisabette MacMahan pour démontrer la télépathie, me paraissent tout à fait convaincantes. Mais ça, c'est une distinction qui est possible dans le cadre de la parapsycholie. Alors que le problème de l'interprétation d'une intervention de la distance est insoluble. C' est pourquoi, à mon avis, plutôt que de recommencer des expériences qui seront toujours sujettes à caution sur le plan logique, on est renvoyé au problème déjà soulevé qui est celui de la logique du tiers inclus, la logique du contradictoire. On est donc finalement conduit à se rapprocher de la position de Jung, position très générale, et à mon sens très saine, à savoir qu'en parapsychologie, on ne peut plus se poser ce problème de transmission d'information, et qu'on est obligé, encore une fois, d'exprimer les effets psi en termes de coincidences significatives. Le psi, ce n'est pas une transmission, c'est une communication, et c'est à mon avis un niveau minimal pour avoir une réflexion théorique ouverte en parapsychologie, sinon on restera toujours enfermé dans un cercle vicieux.

J.V- Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit, à cette exception près que je ne suis pas certain que la distinction soit possible entre la télépathie et la voyance ...

F.F.-- Les expériences correspondantes ont été faites. A mon avis, celles de Pratt et Woodruff par exemple sont inattaquables sous ce rapport.

J.V- A condition de ne pas faire rentrer en ligne de compte la précognition, parce que dans la mesure où les résultats sont publiés, il est possible que les sujets aient fait une précognition sur la publication des résultats ...

F.F.-- Bien sûr. Mais je me réfère simplement ici à l'argumentation rhinienne, dans le cadre de sa conception de l'ESP. Dans ce cadre, Rhine a établi un protocole expérimental tel, à son sens, qu'il ne peut y avoir de précognition que de type clairvoyante. Et il estime que son protocole, (c'est le protocole habituel de la clairvoyance), exclut précisément cette précognition, car l'expérience se déroule de la façon suivante : un paquet de cartes est battu de façon aléatoire, cinq cartes sont étalées devant le sujet, et c'est le sujet lui-même qui extrait une carte du paquet retourné, dont personne ne connait l'agencement ; puis ce sujet doit assortir la carte tirée avec l'une des cinq cartes-cibles. Il pose donc la carte devant celle qu'il estime être la bonne. Rhine dit alors que la précognition est impossible, puisque le sujet est obligé d'abord de s'engager concrètement, et ce faisant détruit carte après carte l'ordre du paquet, que personne ne connaitra donc jamais. Par conséquent, même si je suis tout à fait d'accord avec la remarque très générale que vous avez faite, à savoir que, sous un certain angle, on peut estimer que la précognition interdit toute distinction absolue entre télépathie et voyance, dans le cadre classique dans lequel on se place actuellement, celui de la conception de Rhine des phénomènes de percipience, la distinction en question est logiquement inattaquable.

X- M. Vallée a dit que l'ordinateur permettait d'enregistrer, minute par minute, voire seconde par seconde, ce qui se passait. Or on sait très bien, en physiologie, que l'homme a des rythmes biologiques. Est-ce qu'une étude a été faite sur les rapports entre les résultats obtenus et les rythmes des sujets ?

J.V- Non, je crois qu'on avait trop peu de données pour faire cela, il faudrait monter une expérience spéciale pour ce genre de choses. Nous avons pu remarquer néanmoins que la plupart des coincidences avaient lieu la nuit. Par exemple, il pouvait arriver que plusieurs personnes soient branchées dans le système en même temps. Entre autres, nous avons eu un phénomène assez curieux : à 2h du matin, le géologue s'est réveillé, avec l'impression qu'il devait brancher son terminal, et après avoir composé le numéro, il s'est aperçu qu'Ingo Swann était déjà dans le système ; une troisième personne pouvait être également en train d'émettre quelque chose, etc ... Nous avons commencé à étudier ces coïncidences, mais ce n'était pas le but principal de l'expérience, et nous n'avons pas vraiment poursuivi, mais je pense que c'était une direction très intéressante.

X- Ces personnes étaient-elles dans le même fuseau horaire, avaient-elles le même rythme ?

J.V.--Non, elles étaient à des endroits quelconques.

X.-- Donc il y aurait une synchronicité indépendante du rythme circadien ?

J. V. -- Oui, si on pouvai le démontrer ...

Y.L.--Je pense que l'on pourrait essayer de poser le problème de la distance sans employer trop de termes du vocabulaire psychanalytique. Peut-être pourrait-on considérer 3 cas :

1 - Communication spontanée, mais voulue par un des participants à cette communication. Exemple : un spéléologue qui a un accident, qui pense qu'il va mourir, et qui pense très fort à son père.

2 - Communication spontanée, mais non voulue. Ex : une personne tombe dans le coma, et une autre personne prend connaissance de ce coma.

3 - Communication véritablement provoquée par une expérience. Ex : on demande à un sujet de fixer son attention sur un paquet de cartes, etc ...

Il me semble que dans les deux premiers cas, on peut admettre effectivement qu'il n'y a pas effet de distance (il suffit de lire les rapports, de faire une étude comparée, etc ... ). Par contre, je ne suis pas sûr que dans le troisième cas, on puisse dire la même chose. Parce que, au moins sur les 1 500 tests que nous avons faits, avec des cartes de couleur, et dans toutes les conditions possibles, il n'y a pas d'effet de distance d'un point de vue quantitatif. Mais il y a certains sujets avec qui nous avons répété le test (tout simplement parce que, dans un premier temps, leur performance standard était bonne) et qui ont, semble-t-il , été sensibles à un effet de distance. Je ne sais pas si c'est une aberration du hasard, comme aiment dire les statisticiens, ou si c'est quelque chose qui est propre à certains sujets. C'est là si une question ouverte. Et finalement, je crois qu'on ne peut pas, à mon avis, avoir une idée générale sur le problème de la distance. Cela dépend des situations.

C.L.--Dans la clairvoyance par sensation de "dédoublement", s'il a le sentiment que la distance est trop grande, le sujet peut effectivement s'arrêter, et ça sera également fonction de vitesse : si le "voyage" est instantané, ou avec sensation d'instantanéité, il ira jusqu'au bout, même si la distance est très grande. Mais s'il y a une notion de distance dans le décloublement et si la distance est très grande, le sujet peut abandonner.

P.J.--Vous faites donc allusion ici à l'effet subjectif de la distance.

C.L- Oui, au niveau conscient. Il est possible que cela se passe de la même manière au niveau inconscient, et qu'il y ait blocage également.

P.J.--Ce qui est certain, en tout cas, c'est que des facteurs tout à fait inconscients jouent un rôle dans la perception extra-sensorielle, disons dans les effets psi en général , et que par conséquent il est impossible d'exclure que la distance, elle aussi, joue un rôle en fonction du sentiment qu'elle inspire. C'est le fond de mon argumentation.

Y.L- Je pense simplement que le problème est ouvert sur certains aspects, et résolu sur certains autres.

P.J.-- A mon avis, il est résolu partout.

XX- Je considère que, malgré une impossibilité théorique en ce qui concerne ce problème la distance, ça n'empêche pas que l'on puisse trancher le problème, si dans la pratique on trouve un effet de seuil. Il n'y a effectivement impossibilité théorique que dans le cas où il n'existerait pas de seuil. Et cela, personne n'en sait rien.

P.J- Et l'effet de seuil ne pourrait-il pas lui-même être un effet psi ?

XX.-- Bien sûr, on peut tout imaginer, mais moi je ne suis pas d'accord pour dire : il y a impossibilité théorique, donc on ne fait plus rien.

P.J.-- Mais je ne veux pas vous interdire de faire des expériences. Je pense que si vous faites des expériences sur la distance, nous n'allons rien apprendre que nous ne sachions déjà, d'après les résultats expérimentaux et les travaux théoriques auxquels on peut se référer dès aujourd'hui .

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