PHENOMENES PARANORMAUX ET FONCTIONNEMENT MENTAL

par Vahan Yeghicheyan

Revue de Parapsychologie n°12/13, 1981

I - Mentalité occidentale et crispations anti-psi

Suivant le milieu socio-culturel dont nous sommes issus et suivant la formation reçue, le « paranormal » est accueilli avec plus ou moins de scepticisme ou plus ou moins de crédulité [1] .

   En Occident et en France particulièrement, dans les milieux universitaires, dans l’ensemble allergiques à la parapsychologie, il existe toujours une explication rationnelle prouvant l’ineptie des positions, des croyances, de la crédulité des parapsychologues.

   Ainsi l’Union Rationaliste et les milieux scientifiques traditionnels fonctionnent chez nous comme une véritable Eglise de la Raison Raisonnante avec des arguments du type : « Les adeptes de la parapsychologie clament que des faits paranormaux ont été scientifiquement observés à de nombreuses occasions. Il importe de dire ici avec force qu’il n’en est rien… La parapsychologie doit être dénoncée car elle n’est pas anodine : elle habitue un certain nombre de gens à croire comme démontrées scientifiquement des idées et des théories qui ne sont qu’élucubrations de l’esprit ». [2]

   L’Union Rationaliste reste en France le dernier recours à l’ultima ratio dont les arguments prétendent avoir valeur d’Absolu et qu’il est malvenu de réfuter. Toutefois comme le signale Désiré PRONET dans la revue Humanisme [3]  : « Charles RICHET, membre de l’Académie des Sciences, président de l’Académie de Médecine, Prix Nobel de physiologie et coupable d’un Traité de métapsychique de plus de 800 pages (paru chez Alcan en 1922) était membre d’honneur de l’Union Rationaliste ! »…

   Le terrorisme intellectuel exercé par l’Union Rationaliste illustre le fonctionnement mental hérité de la Logique d’Aristote et de l’Esprit Cartésien. Seuls demeurent valables le raisonnement déductif et le principe d’identité. Or, ces principes ne s’appliquent que dans une courte échelle de temps et d’espace et de ce fait sont tributaires de l’observateur. Ils ont permis bien entendu des progrès considérables dans le domaine des techniques et de la biologie en particulier. Cependant, depuis plusieurs décennies ces principes sont battus en brèche par la Science elle-même lorsqu’on s’éloigne de l’échelle habituelle de référence. Mais les défenseurs, les grands prêtres de la Raison n’en ont cure [4] . Si les faits ne cadrent pas avec leur système cosmogonique du moment (car il ne s’agit que de cela) ces faits n’existent pas. C’est le fonctionnement paranoïaque par excellence : la réalité n’est appréhendée qu’à partir d’un a priori, le rationnel.

   La position des Anglo-Saxons est plus nuancée, bien que se référant aussi aux mêmes critères expérimentaux. Il existe en effet des unités de recherche ou d’enseignement en parapsychologie aux U.S.A., au Canada, en Allemagne, en Hollande… ; il en a été de même en U.R.S.S. La parapsychologie dans ces pays n’y est pas traitée avec le mépris qui caractérise à cet égard les milieux universitaires en France (sauf timidement à Toulouse depuis quelques années).

   C’est en particulier à l’Ecole de Rhine (dont il est question dans ce numéro) que revient le mérite d’avoir mis au point le protocole expérimental actuellement en vogue et s’appuyant sur l’emploi du hasard et de la statistique. Cependant les milieux scientifiques traditionnels en France prétendent que l’interprétation statistique des résultats de l’expérimentation parapsychologique est erronée. Comme le fait remarquer Désiré PRONET (op. déjà cité) : « Leur répugnance est telle que les mêmes méthodes statistiques d’expérimentation, tout à fait inattaquables en sociologie et en biologie, sont l’objet de violentes critiques lorsqu’elles sont appliquées à la parapsychologie. »

   Il faut ajouter à leur décharge que l’environnement occidental baigne dans le rationnel, le concret, l’efficace. Le fonctionnement mental induit par ce milieu est un fonctionnement en « pensée opératoire » au sens où l’entendent les psychosomaticiens, c’est-à-dire une pensée attachée, engluée dans le réel tangible et incapable d’imaginer, d’élaborer la réalité sur le plan psychique. Chez de tels sujets d’ailleurs il n’existe pas de conflits psychiques importants et les situations conflictuelles se traduisent souvent sur le plan pathologique par un dérèglement somatique et non par un dérèglement psychique. Ce n’est ni le lieu ni le cas de développer les manifestations de la pensée opératoire, mais il faut souligner la primauté de ce fonctionnement mental en occident. Il est l’apanage en particulier de tous les sujets qui ont réussi au plan social et professionnel, des sujets hyperadaptés au mode de vie occidental.

   De tels sujets sont véritablement allergiques à tout ce qui échappe à leur maîtrise, qui dérange leurs habitudes de pensée, qui sort de l’ordinaire et cet état d’esprit ou plus exactement ce fonctionnement se retrouve dans la plupart des milieux scientifiques classiques pour qui l’objectivité et la reproductibilité des phénomènes restent les critères absolus pour distinguer les faits qui relèvent de la Science de ceux qui n’en relèvent pas. Effectivement, d’ailleurs, ce mode de fonctionnement donne les meilleurs techniciens.

   Ce que l’on peut reprocher justement aux protocoles destinés à confirmer ou infirmer les phénomènes paranormaux, ou à dépister les sujets « psi », y compris à ceux que Rhine a contribué à mettre à l’honneur, c’est précisément leur manque d’imagination, du fait qu’ils sont obligés de tenir compte du sacro-saint critère de reproductibilité. Parmi les sujets « psi » qui ont récemment défrayé la chronique figurent des amateurs d’illusionnisme, possédant aussi des dons paranormaux, mais n’hésitant pas à donner un petit coup de pouce au hasard si cela peut les aider à faire passer leur pouvoir pour reproductible, à la grande joie des critiques [5] . Or, la possibilité de reproduire un phénomène par un effet d’illusion utilisé en prestidigitation n’implique pas que ce phénomène ne puisse se produire dans la réalité, à fortiori si l’on sait qu’il existe des milliers de cas spontanés (dont certains observés scientifiquement, par exemple par H. BENDER et ses collaborateurs), qu’il y a une forte participation affective chez les sujets sensibles et que suivant l’ambiance où ils se trouvent ils sont capables ou non de manifester leurs dons. (voir à ce sujet le compte rendu du Congrès de REIMS – 1975) [6] .

II - L'attitude orientale : accueil et dépassement du psi

   Des protocoles permettant la vérification expérimentale suffisamment régulière du psi restent donc encore à trouver. Mais n’est-ce pas un faux problème ? N’est-ce pas notre esprit occidental qui a besoin de ce genre de certitude ? Une ambiance hostile ou seulement artificielle peut couper court aux manifestations paranormales. Inversement une crédulité infantile dans les surhommes que représentent ces sujets aux yeux de beaucoup permet à de nombreux charlatans un triomphe facile… Car là réside la tare propre au monde occidental : la recherche de pouvoirs supranormaux…

   Dans les civilisations traditionnelles (en Asie notamment), les manifestations paranormales (télépathie, prémonition, clairvoyance…) ne constituent pas une fin en soi. Elles ne sont que la retombée de l’évolution du groupe sur le chemin de la connaissance et de l’éveil de l’être intérieur, n’émerveillant en fait que le voyageur occidental, égaré dans ces contrées (Cf. les nombreux témoignages de voyageurs revenant du Tibet). C’est tout un environnement différent. Les valeurs occidentales du profit et de rentabilité n’y ont pas cours. Il donne lieu à un autre mode de fonctionnement où l’individu sont mobilisés en vue d’une synthèse finale qui amène à un autre niveau d’existence où la contradiction n’existe plus… Un gouffre sépare pour le moment ces deux modes de fonctionnement.

   Partisans ou adversaires de la parapsychologie, nous restons prisonniers de nos catégories mentales et celles-ci ne pourront changer qu’avec l’évolution de notre milieu culturel. C’est là affaire de génération.

   Sous les coups de boutoirs de la réalité qui se retourne contre elles, les valeurs occidentales s’effritent. Le profit, la rentabilité, l’efficacité ne sont déjà plus les valeurs vénérées par la jeune génération. Celle-ci se retourne par contre vers des valeurs exotiques et en particulier celles venues justement d’Asie et d’Extrême-Orient, sentant confusément que la remise ne question de l’homme moderne est une nécessité pour la survie de l’espèce, mais tombant dans l’excès inverse : la crédulité et le besoin d’un guide capable de les mener vers ces hautes valeurs. D’où le foisonnement des sectes et le risque d’un autre totalitarisme.

   La solution est, bien entendu, dans l’évolution du milieu où nous vivons et non dans sa fuite. Evolution qui s’amorce par la confrontation avec les autres modes de fonctionnement et la certitude maintenant bien établie que les valeurs actuellement en cours en Occident ne sont plus des valeurs absolues. Qu’elles ont mené en fait le monde au bord du gouffre et qu’elles n’ont plus à être prises comme modèle. Question de temps donc. La patience n’est pas une vertu occidentale ; au siècle des vitesses supersoniques elle apparaît comme une tare. Mais la vérité qui se dégagera peu à peu de cette évolution lente, les nouvelles valeurs qui apparaîtront seront les gages de la survie de l’humanité. Que sont quelques décennies et même quelques siècles par rapport aux périodes géologiques et même à l’évolution de la biosphère ? A cette échelle nous sommes très proches du Pithécanthrope dont nous sommes issus et dont nous avons, malgré les apparences, les réactions et les réflexes, mais sans doute plus l’intuition.

   En attendant (puisqu’il nous est impossible de fonctionner autrement) la mise au point d’un protocole adéquat pour l’étude des phénomènes paranormaux devra tenir compte des paramètres physiques, affectifs, et mentaux qui interviennent dans la production de ces phénomènes [7] .

   Jusqu’à maintenant la Science n’a pu s’appliquer qu’aux paramètres physiques. Les critères scientifiques classiques se révèlent inadaptés pour une approche des catégories affectives et mêmes mentales. La psychologie es profondeurs et principalement la psychanalyse en ont fait leur objet d’étude. Mais leur approche et leur théorisation elles-mêmes sont mal reçues dans les milieux scientifiques traditionnels.

   Dans les sociétés de type initiatiques, nous l’avons vu, les manifestations paranormales ne sont pas recherchées comme une fin en soi ; cependant, dans la relation qui s’établit entre le maître et son disciple, elles peuvent jouer un rôle non négligeable ; et il faut bien le souligner, la relation maître-disciple comporte une part affective très importante. Comme le précise un aphorisme Zen, cela se passe « de mon âme à ton âme » (I shin den shin) et non d’intellect à intellect.

   En Occident, nous continuerons à discuter encore longtemps de l’existence ou non des phénomènes paranormaux, en des discussions byzantines, pendant qu’autour de nous le vieux monde s’écroule. Il est bien dommage de nous couper de toute une dimension importante de l’être auquel l’homme occidental, du fait de sa suffisance et de sa paranoïa, (particulièrement en France comme nous l’avons vu) ne peut avoir accès. Tant pis pour lui… Le monde continuera à tourner. Une autre famille d’esprits, dont RHINE à sa façon fit partie, plus ouverts, sans préjugés et libres de toute crispation névrotique prendre la relève et contribuera à l’évolution de l’espèce hors de l’impasse technocratique actuelle ; ce qui est en particulier l’ambition du G.E.R.P.

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[1] Le terme même de « paranormal » est impropre, comme le souligne Pierre Janin, « s’agissant de phénomènes qui font partie intégrante de l’ordre naturel ». Pierre Janin, « Le projet « GNOMON » » in : La parapsychologie devant la Science – Paris, Berg-Bélibaste, 1976.

[2] Article de M. Yves Farge dans Le Monde, du 14/03/80.

[3] Humanisme, n°134-135, avril-mai 1980.

[4] Cf. Ilya Priogine et Isabelle Stengers, La nouvelle alliance, Paris, Gallimard, 1979.

[5] Cf. Y. Farge op. cit. ; et « Parapsychologie et illusionnisme » in : La Recherche n °86 – fév 1978.

[6] La parapsychologie devant la Science, Paris, Berg-Belibaste, 1976 (voir en particulier les contributions de J. Dierkens, F. Favre, N. Gibrat, P. Janin).

[7] Idem.