ETATS DE CONSCIENCE, PHENOMENES PSI ET SANTE MENTALE

Par François Leduc (Psychologue, consultant aux affaires professionnelles à la Corporation professionnelle des psychologues du Québec.)

Revue Parapsychologie N°15, août 1983

Comme praticien en santé mentale, je suis en relations avec des personnes qui témoignent vivre ou avoir vécu des états de conscience non ordinaires ou des phénomènes psi (parapsychologiques). Je suis intéressé par le sujet depuis une dizaine d'années et, bien que l'ayant abordé sous des facettes variées, je continue à être préoccupé par le traitement social qui est fait à ce type d'expérience vécue. Je ressens aussi un inconfort intellectuel face à ces phénomènes qui m'interpellent, car je n'ai pas trouvé de modèles explicatifs convenables à l'intérieur de nos façons institutionnelles et traditionnelles de considérer le vécu humain.

Nos tabous culturels sur la santé mentale et sur la réalité ont été et demeurent encore très chargés d'enjeux idéologiques, tant religieux et scientifiques que politiques et économiques. Comme il demeure toujours difficile de nommer l'intangible et de soupeser l'invisible, il l'est tout autant de tolérer la présence de questions dont on n'a pas les réponses, tout en repoussant la sécurité éphémère du dogmatisme de bon aloi.

La perspective du praticien en santé mentale est particulière en ce qu'elle s'appuie sur le vécu direct d'êtres humains avec qui il est en relation professionnelle. Il a le privilège d'avoir accès à leur parole privée. Il reçoit leurs témoignages et leurs récits d'expériences vécues qui traduisent à des degrés variables des comportements précis, des faits datés ou des éléments de leur réalité.

C'est sur ce terrain qu'il doit surtout décoder le mystère de l'Autre en cherchant à situer la trame des enjeux qui sont vécus et à établir des chaines signifiantes de causalités et d'effets, de "comment" et de "pourquoi". En situation d'intervention, le praticien est dans une position qui transcende celle du scientifique, lequel se distancie pour saisir les frontières de son objet d'investigation et pour maintenir un rapport neutre s'apparentant à de l'objectivité. Le praticien peut aussi adopter la position du technicien, lequel maintient un rapport opérationnel et programmé par les ressources et les limites de sa technologie. Encore faut-il que la compréhension du praticien laisse une place suffisante au vécu réel de la personne et qu'il ne succombe pas trop aisément à des avenues déjà toutes tracées par les écoles d'interprétation du vécu humain.

En effet, les écoles d'interprétation ont ceci de pratique qu'elles permettent d'extraire, par le tamis de leurs grilles de lecture et de leurs cartes topologiques du psychisme humain, les éléments du vécu de l'autre qui ont du sens pour elles et sur lesquels elles pensent pouvoir intervenir d'une façon ou d'une autre. En conséquence, ces mêmes grilles laissent filer d'autres éléments du vécu qui sont vus comme non signifiants, insignifiants ou dissonants, mais qui peuvent avoir une incidence et un sens important dans la vie subjective de la personne. Constatons un fait brut : des personnes témoignent vivre ou avoir vécu des phénomènes psi1. Les expériences qu'elles rapportent peuvent être de trois ordres :

1) ces personnes disent avoir eu accès à des informations particulières qu'elles ne seraient pas censées connaître, selon ce que l'idéologie rationaliste admet comme possibilité du fonctionnement du corps humain. Ce sont là des expériences de psi-esthésie, nommément la télépathie, la prémonition, la clairvoyance ou la clairaudience ;

2) elles rapportent un ou des événements d'influence sur la matière, de déplacements d'objets ou d'accélération d'un processus de guérison, alors qu'il n'y a pas eu usage d'aucune force ou outil connu, ni aucun contact direct qui auraient pu nous en donner une explication raisonnable. Ce sont là des expériences de psi-kinésie, de poltergeist ou de guérison paranormale, de matérialisation ou de dématérialisation ;

3) elles racontent des expériences de déplacement de leur conscience qui laissent croire que la conscience de la personne n'est pas limitée au seul territoire du corps qu'elle habite (expériences de hors-corps, de dédoublement, de "voyage astral"). Ces expériences d'ouverture ou de voyage de la conscience sont souvent associées à des descriptions de situations ou d'événements qui laissent présumer l'existence d'autres mondes, d'autres plans de réalité, d'une durée de la vie et de la conscience qui serait plus longue que celle liée à notre simple passage sur la Terre, ou de la présence d'autres entités de conscience qui existeraient sans substrat corporel défini. (Voir Bélanger, 1978; Dierkens, 1978).

Notons aussi que la plupart du temps, la personne rapporte que l'événement est arrivé de façon fortuite. Elle sait alors plus ou moins comment cela est venu, dans quel état d'esprit elle était, quelles étaient les conditions extérieures déterminantes. La plupart du temps, l'événement échappe partiellement ou totalement au contrôle; celui-ci se passerait hors de la volonté du sujet, spontané, insaisissable, mystérieux. Notons aussi, à l'inverse, qu'il y a quelques personnes qui ont des habiletés ou des dons spécifiques, nommables, identifiables. Ces dernières semblent pouvoir les utiliser "à volonté", en accord avec un état d'esprit donné ou dans des conditions spécifiques. On dit de ces individus qu'ils sont des sensitifs, des médiums, des voyants, des guérisseurs.

Deux remarques méthodologiques s'imposent. D'abord, sur le terrain particulier de ces types d'expériences psychologiques, il est essentiel de recueillir le témoignage le plus tôt possible après l'événement. Il est important de noter les faits et les détails, de s'enquérir de la façon dont ta personne a vécu le fait et la façon dont elle se l'explique, de vérifier si d'autres personnes étaient présentes, de s'enquérir s'il en reste des manifestations tangibles et contrôlées, de vérifier la teneur des événements et des versions. Bref, il s'agit de voir si c'est bien un fait réel et objectif qui s'est passé réellement (même s'il nous apparaît "impossible") ou si le témoignage a toutes les apparences d'une histoire imaginée ou fabulée. Dès lors qu'il y a témoignage consistant et cohérent, débute la recherche de compréhension et d'explication.

Une deuxième remarque méthodologique : il importe de demeurer très conscient du rôle et des pouvoirs que le praticien a lorsqu'il a un entretien avec une personne témoignant vivre de tels phénomènes. Si une telle personne vient consulter, c'est qu'elle a besoin de clarifier, de comprendre ou d'harmoniser ces expériences. Au moment de sa demande, il est fort plausible qu'elle soit questionnée ou perturbée par son expérience. Par ses attitudes ou ses pré-acquis intellectuels, un professionnel de la santé peut n'être sensible qu'aux seuls aspects de la perturbation psychique. Il peut aussi écarter la plausibilité de l'expérience vécue en prétextant l'irréalité du témoignage, la déformation ou l'impossibilité du récit, ou en interprétant une motivation inconsciente de recherche de gain quelconque ou de fuite d'un déplaisir donné. Bref, il peut être parfaitement bien équipé pour psychologiser les réalités de façon réductionniste. .

L'événement, s'il est véridique, dérange la logique interne et la consistance de nos modèles explicatifs. Le consensus social définit ce qu'est la réalité et la science nous dit ce que sont les limites psychophysiologiques du potentiel sensori-moteur de l'humain. Le sens commun et la perception ordinaire de la réalité sont aussi mis en cause : comment une personne peut-elle défier la séquence linéaire du temps? Comment peut-elle franchir, sans bouger, les distances de l'espace ou du temps et "rapporter" de l'information? Comment peut-elle avoir conscience d'informations qui lui sont physiquement inaccessibles? Comment enfin, peut-elle, par les informations auxquelles elle a accès, ainsi défier notre entendement de la liberté et de la chaîne causale des événements?

Nous sommes dans une situation clinique qui est familière à beaucoup de praticiens en santé mentale : celle de la nécessité d'établir le niveau de réalité de ce qui est exprimé par l'individu. Est-ce que ça s'est passé vraiment dans la réalité physique et concrète? Est-ce vrai et réel ou imaginé et phantasmatique? Posée dans une autre perspective (qui serait celle-là religieuse ou ésotérique), la situation épistémologique serait la suivante : s'il est question de voyage de la conscience ou de présence d'esprits ou d'esprits frappeurs, ou de destin et de karma, de survie ou de réincarnation, comment savoir, au-delà du témoignage individuel, si chacune ou l'une de ces hypothèses est vraie? Et si oui, qu'en est-il et comment cela fonctionne-t-il?

Pour établir le niveau de réalité et le degré de validité d'un fait vécu ou d'un événement, il nous faut d'abord puiser à même les conceptions usuelles de la réalité mises de l'avant par notre culture. Or, nous sommes aux prises, en santé mentale, avec un problème éminemment piégé et qui perdure depuis longtemps : celui de la récupération et de la polarisation de la Vérité dans nos deux grandes institutions culturelles que sont la Science et la Religion (Wilber, 1979).

L'éternel débat entre l'univers religieux et l'univers scientifique s'acharne à vouloir établir la primauté incontestée de l'un de ces deux systèmes de connaissance sur l'autre. Le débat y est à ce point dogmatique qu'il tolère peu de divergences. Il faut bien comprendre que l'enjeu, sur ce terrain idéologique, est le support social à des conceptions de ce qu'est l'humain, de ce que sont nos possibilités, nos capacités, nos limites et nos moyens, de ce qui est sain et de ce qui est malsain. Qui dit support social dit aussi pouvoir de dire, de légiférer, de réglementer, de judiciariser, de commercialiser, de porter aux nues ou de bannir.

Ce conflit culturel et épistémologique est vécu en santé mentale non seulement au niveau des idéologies et des concepts, mais aussi à celui de l'intégration des expériences vécues. Abordons de façon succincte certains enjeux de la polarisation de la Vérité.

D'une part, une grande prétention du rationalisme scientifique est de vouloir se substituer aux systèmes explicatifs du transcendant. C'est le rêve rationaliste de vouloir démasquer dans le domaine humain les prétentions transcendantes, comme la science a pu le faire (souvent!) en devenant capable de prédire et de contrôler (et non plus seulement d'expliquer) les phénomènes qui règnent aux niveaux physique, chimique et biologique. Pour ce faire, le rationalisme tend à discréditer la valeur intrinsèque de toute expérience intérieure et personnelle, en la réduisant à ses parties tangibles, visibles, audibles, enregistrables par une machine ou visibles par un comportement quantifiable. La science découvre comment fonctionnent les choses, mais elle n'est pourtant pas qualifiée pour porter des jugements de valeur. Cinq n'est pas mieux que trois, douze n'est pas pire que deux. Ce sont des chiffres, des mesures auxquels on superpose des modèles ou des théories explicatives changeables.

D'autre part et à l'inverse, plusieurs personnes dans notre société voient l'institution religieuse comme la source, la gardienne et l'enseignante de la vie spirituelle. Ses méthodes, ses rites et ses vérités révélées sont acceptés comme le seul chemin de la vérité, de la droiture, de la vertu, de la justice et de la bonté.

Chaque église possède en son cœur même un message de révélation, qui fut reçu, découvert/ inventé par des prophètes. Ces prophètes, sensitifs et médiums, souvent lors d'expériences mystiques, ont pu nommer sous le mode de la révélation et de l'intuition très profonde, des vérités sur le monde, le cosmos, Dieu, et sur le sens du passage de l'humain sur Terre. Ces expériences spirituelles transcendantes sont propres à tous les mystiques et à tous ceux qui vivent ou ont vécu une expérience de révélation.

Abraham H. Maslow (1964) a démontré que cette expérience est naturelle, qu'elle est propre à l'humain (même si elle a un contenu de type surnaturel), et qu'elle ne doit pas être désappropriée. Des expériences spirituelles du sacré, du divin, de la création, du mystère, de la gratitude et du don de soi, jusqu'ici confinées et canalisées dans des organisations religieuses, doivent retrouver leur place dans notre compréhension de l'humain. Sinon, il devient très difficile, comme praticien, de resituer l'expérience du client dans une perspective qui rend compte de sa propre réalité.

Abraham H. Maslow (1964) souligne avec justesse que la dichotomisation de choses qui s'inscrivent dans un continuum est signe et source de pathologie. La Science et la Religion ont été conçues de façons trop étroites qui s'excluent mutuellement. Les questions spirituelles fondamentales devraient faire l'objet d'une réflexion sécularisée, selon un modèle beaucoup plus élargi que maintenant. Cela nous permettrait de réhabiliter cette dimension de l'expérience humaine, au lieu de la dénigrer ou de l'idolâtrer. Cette réflexion s'applique aussi au système psychanalytique tel qu'il a été perverti par une certaine pratique psychiatrique, laquelle repose essentiellement sur un système psychopathologique incapable de nommer et de laisser place à des expériences de croissance, de développement et de vie spirituelle. Ce système réinterprète en effet cela comme étant des défenses contre des instincts, particulièrement du déni, de la formation réactionnelle et de la sublimation. Cette idéologie de source freudienne est athée, mécaniste, et elle réduit le vécu humain aux seuls impératifs idéologiques de l'instance somme toute fragile qu'est l'Êgo. Elle traite donc comme pathologique toute tendance de l'être de se situer dans ce "plus grand que soi".

Pour illustrer notre propos, prenons un outil psychiatrique de diagnostic fort utilisé : le DSM IIl. Il est rationnellement bien fait et sous un aspect, il est génial; il réussit, par des milliers de détails cliniques, à pathologiser à peu près tout ce qui peut s'apparenter à de la vie. C'est un outil diagnostic dans lequel on a poussé la logique du dépistage de la pathologie à des degrés inégalés, si bien qu'il faut maintenant se demander s'il reste encore quelques comportements sains et, si oui, lesquels.

Dans un tel contexte idéologique, la nécessité de survie invite à garder cette parole privée et à protéger cette expérience subjective. Si l'expérience vécue de la personne s'avère crédible et vraie, alors pourquoi demeurons-nous complices de I'hégémonie culturelle de cette pensée sociale établie ? Celle-ci s'acharne à maintenir dans le domaine de la santé mentale un "scientific schizoid split" qui évacue la véracité de la vie intérieure et maintient des images fictives de la réalité qui ne concordent pas avec ce qui est vécu. Faut-il se résigner, à cause de l'étroitesse de ces perspectives, à ce que l'objectif thérapeutique ne soit plus que l'acceptation de la "position dépressive", avec support médicamenteux?

L'idée de la santé mentale demeure donc un concept intellectuel très relatif qui est soumis à des contingences concrètes bien identifiables. La santé mentale prend au Québec des colorations très différentes selon les interlocuteurs et les milieux. Puisque le terrain de la santé mentale est occupé par une présence gouvernementale et technocratique importante, laquelle définit ses interventions en accord avec la prédominance d'une idéologie professionnelle particulière2, des couleurs particulières émergent avec certaines constances et impriment des tendances assez nettes dans l'offre de services qui est accordée à la population.

A ce titre, le rapport sur la situation de la psychiatrie au Québec (1979) demeure un portrait typique et encore actuel d'un tel état de fait. L'une des manœuvres importantes de ce rapport consiste à euphémiser la dénomination "psychiatrique" par celle de "santé mentale", sans que soit proposé d'être changée, de quelque façon que ce soit, la grille de lecture sous-jacente. Rappelons-le, cette grille de lecture ne comporte essentiellement en psychiatrie que des gradients de pathologie. Selon ces échelles, tous les comportements, gestes, attitudes, manières d'être peuvent être des tendances ou des expressions plus ou moins pathogènes d'un état mental potentiellement maladif qu'il faudrait éventuellement soigner.

Que faire donc si nous ne pouvons trouver ni dans les cadres étroits du rationalisme scientifique, ni dans l'interprétation religieuse institutionnelle, ni dans le répertoire psychopathologique, une perspective intellectuelle qui demeure ouverte à l'interpellation de phénomènes qui dépassent notre sens commun?

Nous savons pourtant à l'occasion, comme praticiens en santé mentale, nous accommoder de l'inconfort intellectuel qui surgit face à une trop grande richesse ou à une trop grande complexité dans le vécu humain. Il n'en demeure pas moins prioritaire de chercher à réduire ce fossé en mettant de l'avant des façons de voir et de comprendre qui respectent le potentiel humain.

L'une de ces façons consiste selon nous à remettre nos conceptions à jour. Compte tenu des limites matérielles, nous avons choisi délibérément de nous restreindre en nous questionnant à la lumière des seules découvertes récentes en psychophysiologie et en psychologie de la conscience.

 

LA PSYCHOLOGIE DE LA CONSCIENCE

Une façon de chercher à comprendre les phénomèmes psi passe par la quête de faits scientifiques qui, tout en ébranlant nos vieilles certitudes rendues inadéquates, ont le mérite de supporter des perspectives plus adaptées. La psychologie le la conscience est l'un de ces champs d'investigation scientifique qui mérite d'être mieux vulgarisé.

Ce n'est que depuis une dizaine d'années que se sont développés de façon significative des laboratoires de recherche en neuropsychologie et en psychophysiologie de la conscience. Il est assez curieux, faut-il le constater maintenant, que le sujet même de la conscience soit relativement nouveau dans la recherche scientifique contemporaine en psychologie.

La conscience est pourtant un sujet extrêmement chargé et qui continue de faire l'objet de spéculations spirituelles, philosophiques, anthropologiques et cliniques. L'approche scientifique demeure à priori inconfortable avec un tel type d'objet. La conscience, en effet n'est pas un fait mesurable et quantifiable. Elle ne peut être définie objectivement. Il est encore jusqu'à maintenant impossible d'enregistrer directement ses manifestations comme un élément distinct à l'intérieur d'un comportement. Elle ne peut être abordée dans une perspective exclusivement empirique. Elle doit l'être avec les aléas des multiples logiques possibles issues du raisonnement intellectuel.

Nous voulons nommer ici le problème philosophique séculaire de la relation entre l'esprit et le corps, entre la conscience et le cerveau, entre le "mind" et le "brain". S'agit-il de monisme : tout est physiologique? tout est psychique? Ou s'agit-il de dualisme : le physiologique et le psychique sont autonomes? parallèles? interactionnistes? Ce sont là apparemment des préoccupations d'intellectuels. Elles s'avèrent cependant cruciales car toute tentative d'explication et d'analyse aura la logique interne de son modèle. Même si Mario Bunge (1980) affirme de façon orthodoxe que seule l'approche moniste convient à une véritable approche scientifique, force nous est de constater que l'état de nos connaissances nous renvoie (tout au moins jusqu'à maintenant) à un dualisme de base à cause même de l'incapacité scientifique, intellectuelle ou même intuitive, soit de réduire de façon acceptable et satisfaisante l'un des deux termes à l'autre, soit de nommer un principe unificateur fondamental et préalable.

En psychophysiologie et en psychobiologie, la problème épistémologique fondamental est de coupler deux termes qui n'appartiennent pas au même niveau de réalité : d'une part un concept du niveau philosophique - celui de la conscience (et une série de concepts qui l'expliquent) et, d'autre part, des données physiologiques de niveau empirique, auxquelles il nous manque de pouvoir donner tout le sens que nous aimerions bien leur attribuer. Powers (1980) traduit bien ce problème en disant que le système nerveux que nous avons devant nous comme objet d'étude et d'investigation, et que nous connaissons à travers des expériences concrètes du niveau sensoriel, n'a à peu près pas de relations avec le système nerveux que nous concevons dans nos théories. Sa complexité est telle et ce que nous voyons comme expérimentateur est à ce point limité (et même modifié sinon altéré par nos moyens d'observation) que nous sommes forcés d'imaginer des systèmes partiels de compréhension. Il ne nous reste plus qu'à souhaiter, avec Davidson (1980) que ces modèles s'appuient et respectent le plus possible l'architecture biologique sous-jacente.

LA CONSCIENCE ORDINAIRE

"La conscience est le théâtre constant de possibilités simultanées.."

 

William James (1902)

Normalement, notre conscience personnelle constitue notre univers entier. C'est dire que nous sommes portés à croire que la réalité extérieure "objective" est représentée parfaitement par notre expérience. Nous ne réalisons pas que notre conscience ordinaire s'appuie sur une portion extrêmement réduite du réel.

La conscience est d'abord principalement orientée vers l'extérieur d'elle-même et elle est centrée sur l'action. Elle contribue à assurer notre survie biologique personnelle en nous donnant un certain sentiment de notre identité personnelle et en nous aidant à manipuler les objets et les événements extérieurs pour protéger sinon développer notre intégrité subjective.

Le neurochirurgien Karl Pribram (1980) distingue la conscience et la conscience de soi. La conscience de soi est un état d'attention subjective qui implique des intentions et des intentionalités. Pour lui, l'intentionalité est à la perception ce que l'intention est à l'action. Cette propriété propre de la conscience de soi serait assumée par un mécanisme psychophysiologique de "feed-forward", c'est-à-dire, de pro-action et d'élaboration de projets qui donneraient un sens aux multiples mécanismes de "feed-back/rétro-action dont notre organisme dispose.

Cette conscience de soi, douée d'intentions et d'intentionnalités subjectives, jouerait un rôle prépondérant dans l'organisation des multiples consciences et états de conscience. Pribram (1980) suggère d'aborder le problème des limites de la conscience en termes de compétence plutôt qu'en termes de limites dans la capacité même du cerveau. La compétence concerne, tant les façons dont sont traitées les informations que la quantité même des informations traitées. Nous aurions, selon lui, suffisamment de matière nerveuse pour résoudre la majorité des problèmes et pour expérimenter le monde de multiples façons, y compris au moyen d'états de conscience altérés.

Un type prometteur de recherches est représenté par les travaux d'Arnold J. Mandell. Sous le titre évocateur de "Toward a Psychobiology of Transcendance : God in the Brain" (1980), Mandell nous présente un texte très dense sur la pharmacologie et la physiologie des structures limbiques.

Mandell s'appuie sur une revue serrée d'au-delà de 500 titres et il soutient que c'est dans le continuum d'ondes lentes hypersynchrones dans le circuit hypocampe-septum-formation réticulaire-raphé que repose la constellation neurobiologique essentielle sous-jacente à des sentiments positifs allant jusqu'à l'extase.

Ainsi, l'extase et le sentiment de conversion religieuse peuvent dire induits par l'utilisation de techniques qui désinhibent ce circuit. Mandell émet aussi l'hypothèse que ces ondes hypersynchrones puissent être associées à de l'extase, à un climat intérieur indicible et à une expérience spirituelle primordiale. Il remarque aussi que ces expériences produisent des changements significatifs et durables dans la personnalité et la façon de vivre.

Un tel type de recherches permet de réapproprier nos besoins spirituels et nos expériences de transcendance, non plus seulement comme faits mentaux ou culturels, mais comme des expériences subjectives intérieures fondées sur la physiologie même de notre organisme.

Une des tendances les plus nettes dans le domaine de la psychologie et de la physiologie de la perception réside dans la compréhension scientifique accrue de la nature constructive et interactionnelle de la conscience ordinaire ( Tart, 1969; Ornstein, 1972). Le cerveau sélectionne ses "inputs" en déterminant les contenus de son attention. Il réduit ainsi la masse des stimuli selon la sensibilité variable et relative de ses catégories de classification du réel. Chaque personne crée son propre monde au moyen de ses catégories mentales, lesquelles dépendent des besoins transitoires, du langage, de l'histoire, des attentes et des biais culturels. Cette liberté a toujours en toile de fond les conditions socio-culturelles de la personne, lesquelles modèlent par des mots, des symboles et des niveaux de langage les parties du réel qu'elles rendent accessibles.

C'est à partir de ces mécanismes psychophysiologiques encore méconnus que la conscience ordinaire prend pour acquis, par automatisme et par habituation, les constantes de l'univers personnel. Elle conserve alors dans le champ préconscient tout ce qui est "normal" et "ordinaire," autant qu'il y a concordance entre les "inputs" et les catégories mentales. Sinon, elle ramène la situation comme objet de son attention jusqu'à ce qu'elle soit "normalisée".

Notre conscience ordinaire est centrée sur les objets. Elle nécessite l'analyse, la séparation de soi-même avec le non-moi, les objets et les autres personnes. Elle contribue activement à la construction et au maintien d'un univers personnel relativement stable et aux types de rapports de celui-ci avec l'extérieur. Dans un tel mode de pensée, la causalité, la séquence, le temps linéaire et le langage sont essentiels. Cette conception linéaire nous permet de planifier le futur, d'organiser des actions, de prévoir des événements et de coordonner nos vies personnelles et sociales avec les autres. Ce mode est profondément tissé dans la trame invisible de nos vies normales, à ce point que l'on peut difficilement imaginer que le temps puisse être autrement. C'est oublier bien facilement que beaucoup de civilisations fonctionnent sans horloge et que l'horloge est beaucoup plus présente le jour au travail que le soir et la nuit au repos! Le temps-horloge est un concept arbitraire appuyé par des consensus culturels très puissants.

Il faut se rappeler que l'expérience du temps devient une notion extrêmement relative dans le domaine de l'expérience vécue et de la santé mentale et cela, dès que la conscience n'opère plus sur un mode "ordinaire". Sans vouloir être exhaustif, nommons des états "non ordinaires" : le rêve, la rêverie, le sommeil, les états émotifs intenses, la méditation, l'hypnose, l'intoxication avec une drogue douce ou psychotrope, l'intoxication médicamenteuse par prescription médicale, les états de transe, les états de sensitivité, les expériences de hors-corps, les états associés à des expériences mystiques, les "high" de l'activité physique, les "peak-experiences" /expériences de révélation, etc. (voit Tart, 1969).

Si la conscience ordinaire est un construit personnel supporté par des construits culturels et idéologiques, alors d'autres constructions mentales et d'autres types de consciences peuvent nous être potentiellement accessibles. Comme nous privilégions dans cet article-ci une approche fondée sur le vécu et sur l'approche psychophysiologique, il peut être intéressant de prendre contact avec des résultats de recherches scientifiques sur la conscience et l'asymétrie hémisphérique du cerveau.

L'HYPOTHÈSE HÉMISPHÉRIQUE

Les premières découvertes scientifiques soutenant la spécificité des deux hémisphères cérébraux datent de 1836. Le Dr Marc Dax présents à la société médicale de Montpellier la constatation clinique suivante : les cas d'aphasie (perte de la parole) conséquents à un traumatisme crânien surgissaient chez les patients dont l'hémisphère cérébral gauche était atteint. Paul Broca nuança en 1861 la découverte du Dr Dax en énonçant ce qui devint la règle de Broca, à savoir que l'hémisphère contrôlant la production de la parole est du côté opposé à la main dominante du sujet. Le neurologue J.H. Jackson énonça le concept de la dominance cérébrale en l'attribuant à l'hémisphère de la parole et le neurologue Carl Wernickle désigna la région cervicale spécifique à la parole.

Retenons de cette première période qu'un hémisphère cérébral, en général le gauche chez les droitiers, était vu comme responsable de la parole et des autres fonctions supérieures. L'hémisphère droit ne se voyait, quant à lui, attribué aucun rôle, aucune fonction spécifique car il était considéré comme muet, non pensant, un peu à la façon d'un automate sous-humain manquant de facultés cognitives indépendantes. C'est en assumant cette dichotomie verbale/non verbale que furent menées une quantité phénoménale de recherches sur l'asymétrie hémisphérique du cerveau.

Des mesures de l'asymétrie anatomique, du flux sanguin, de l'activité électrique furent effectuées. Des études sur les réactions à des tâches cherchèrent à spécifier des capacités latéralisées selon le champ visuel ou la prédominance d'une oreille. D'autres études cherchèrent à décoder les mécanismes cérébraux du langage et de la parole. Retenons de façon très synthétique que l'hémis phère gauche conserve sa prédominance dans les tâches verbales et que l'activité de l'hémisphère droit semble prédominante dans les tâches spatiales, dans les tâches d'orientation et dans beaucoup de tâches musicales (voir Bradshaw & Nettleton, 1981).

C'est en 1941 que Van Wanegan fit la première opération de section partielle du corps calleux et les premières commissurectomies totales turent réalisées en 1956 par les neurochirurgiens Bogen et Vogel sur des patients épileptiques incurables. Ce fut l'amorce d'une quantité incroyable de recherches neurochirurgicales et neurophysiologiques qui viennent d'être consacrées publiquement par l'octroi récent du prix Nobel de physiologie au psychologue Roger Sperry. Dès 1956, ce dernier commença à publier des données démontrant chez ces patients commissurectomisés que de l'information présentée à un seul hémisphère cérébral n'était pas accessible à leur autre hémisphère cérébral.

En guise d'application succincte, on peut dire que la capacité de s'exprimer verbalement étant associée de façon prédominante à l'hémisphère gauche, la section du corps calleux empêche l'information traitée par I'hémisphère droit d'avoir accès à la parole verbale. Cette incapacité du cerveau droit de s'exprimer verbalement lui a d'ailleurs valu des épithètes et des jugements dévalorisants. Sperry (1964) démontra que le cerveau droit pouvait lui aussi être intelligent, qu'il pouvait s'exprimer par voies corporelles non verbales et qu'il était doué d'une conscience propre, différente de celle de l'hémisphère gauche. Ledoux, Wilson et Gazzaniga (1977) publièrent le cas du patient P.S. qui a eu le corps calleux sectionné en 1976 et qui manifeste de façon indiscutable des signes de double conscience. Chacun de ses hémisphères cérébraux fait des choix significativement différents et I'hémisphère droit démontre que le patient a un sens de lui-même, des sentiments, des goûts, un sens du futur et des aspirations. Le fait que l'hémisphère droit, donné pour muet, puisse générer de lui-même des réponses précises à des questions subjectives démontre que cet hémisphère a son propre mécanisme indépendant de réponse tant pour déterminer des priorités et des choix que pour évaluer la valeur subjective d'événements extérieurs. Fait clinique intéressant, le patient P.S. est beaucoup plus difficile à encadrer les journées où il y a une grande différence dans les réponses des deux hémisphères à la même tâche.

Comme nous l'avons noté auparavant, la première dichotomie à être utilisée pour décrire l'asymétrie du cerveau fut exprimée dans les termes verbal/non verbal. Quoique la polarité verbale de cette dichotomie continue de s'avérer vraie par le rôle joué par l'hémisphère gauche dans la médiation de la parole, et par l'avantage de l'oreille droite sur l'oreille gauche pour la perception de matériel verbal et des qualités linguistiques d'un son, elle s'avère faible et insuffisante pour décrire l'autre polarité, qui est ici définie par un manque de capacité verbale plutôt que par des attributs distinctifs.

Dans les recherches sur la mémoire, la découverte du système de double encodage simultané, l'un verbal, l'autre imaginal, les découvertes des très grandes capacités de compréhension de l'hémisphère droit et toutes celles, à priori décevantes, de la non-exclusivité d'un type de stimulus à un seul hémisphère cérébral, ont amené la communauté scientifique à pousser plus loin la compréhension de l'asymétrie du cerveau. Pendant plusieurs années, on utilisa la dichotomie verbale-musicale, mais elle aussi s'avéra incomplète lorsqu'on trouva que du matériel musical pouvait aussi être traité par l'hémisphère gauche.

C'est dans les façons typiques d'un hémisphère d'appréhender et de traiter des informations sur la réalité, qu'est apparue la dichotomie la plus descriptive. Plusieurs termes sont utilisés pour la décrire comme nous allons maintenant le voir, et ils se rattachent tous pour la plupart aux styles analytiques ou aux styles holistiques.

Ornstein (1972) décrit cette dichotomie de la façon suivante : l'hémisphère gauche est impliqué de façon prédominante dans un type de pensée logique et analytique et particulièrement dans des fonctions verbales ou mathématiques. Son mode d'opération est principalement linéaire et cet hémisphère traite l'information de façon séquentielle. Ce mode d'opération de nécessité doit sous-tendre une pensée logique, car la logique dépend de la séquence et de l'ordre. Ces attributs sous-tendent une perception linéaire du temps, qui à son tour fonde deux activités de ce cerveau : le langage verbal et les mathématiques.

Quant à l'hémisphère droit, il semble spécialisé dans une pensée holistique. Ses habilités d'expression par le langage verbal seraient plus limitées. Cet hémisphère serait responsable de notre orientation dans l'espace, de nos tendances artistiques, de nos habiletés musicales et créatrices, de l'image corporelle et de la reconnaissance des figures. Il traite l'information de façon plus diffuse que ne le fait l'hémisphère gauche et cette qualité semble lui faciliter l'intégration simultanée de plusieurs sortes d'informations.

Springer & Deutsch (1981) caractérisent les styles cognitifs de I'hémisphère gauche par les mots : verbal, séquentiel-temporel-digital, logique-analytique, rationnel, pensée occidentale, et ceux de l'hémisphère droit par : non verbal-visuo-spatial, simultané-spatial-analogique, gestalt-synthétique, intuitif, pensée orientale.

Bogen (1969) et Ornstein (1971.) ont fait un relevé des principales polarités utilisées pour décrire les deux modes de conscience. Voici donc des paires de termes dichotomisés pour décrire des processus de la pensée de l'hémisphère gauche/et de l'hémisphère droit : verbal/ perceptuel (Milner), discret/diffus (Semmes), symbolique/ visuo-spatial (Zangwill), verbal/ visuo-spatial (Bogen & Gazzaniga), logique-analytique/ perceptif-synthétique (Levy-Agresti & Sperry), propositionnel/appositionnel (Bogen)3, séquentiel/simultané (Luria), linéaire/non linéaire/ (Lee), explicite/tacite (Polanyi), temps-histoire/ étenité-absence de temps (Oppenheimer).

L'ILLUSION DE L'UNITÉ MENTALE

Les recherches en psychophysiologie et en neuropsychologie ont démontré, comme nous l'avons vu précédemment, que chaque hémisphère cérébral possède un style cognitif autonome par lequel la réalité est appréhendée de façon propre, distincte et équipotentielle.

Cette dualité dans les styles cognitifs du cerveau n'est pas en soi un fait nouveau car nos cultures regorgent de mots polarisés qui décrivent tous, lorsqu'on les prend avec leur complément, des façons distinctes d'appréhender la réalité. Ce qui est nouveau cependant, c'est la reconnaissance scientifique que ces modes de connaissance opèrent au niveau physiologique et non plus seulement au niveau mental ou culturel.

À un autre niveau, la chirurgie du corps calleux a provoqué l'émergence d'un fait nouveau, à savoir la possibilité de pouvoir étudier séparément chacun des hémisphères cérébraux compte tenu de leur relative et nouvelle indépendance. Les travaux de Sperry (1964), de Gazzaniga et coll. (1977) ont démontré de façon non ambiguë l'existence chez ces patients de deux systèmes autonomes de conscience. Bogen (1969) souligne que la question cruciale est de savoir si ces deux esprits existeraient si la commissure du corps calleux était intacte. Pour lui, l'une des évidences fondamentales est que notre cerveau est double. Plusieurs sources d'évidence, dont celles provenant de l'hémisphérectomie ont démontré qu'un seul hémisphère est nécessaire et suffisant pour soutenir chez le sujet le sentiment d'une identité personnelle et mentale. Nous pourrions donc conclure selon Bogen que l'individu possédant deux hémisphères cérébraux intacts a la capacité d'avoir deux esprits distincts, comme l'ont démontré des expériences avec des commissurectomisés.

Gazzaniga, Steen et Volpe (1979) soutiennent eux aussi cette perspective et affirment que l'ensemble de notre structure sociale est basée sur la prémisse qu'il existe un Self unifié, et que ce Self est considéré comme l'agent de la pensée et de l'action et comme le centre décisionnel qui amène une personne à poser un acte. Pourtant, leurs recherches ont démontré que l'humain pouvait avoir plusieurs domaines de conscience qui n'étaient pas nécessairement unifiés. Comment expliquer cette différence?

IDENTIFICATION AVEC LA CONSCIENCE

Une première avenue de compréhension réside dans une analyse de l'identification du Moi avec notre conscience verbale. Davidson (1980) considère en effet que l'humain associe son identité consciente aux actions volontaires et non automatiques qu'il produit ainsi qu'à la dimension verbale de sa conscience. Ainsi, tout au moins dans notre culture occidentale, il y aurait un lien entre I'hémisphère gauche et la représentation subjective de la conscience. Nous nous identifions avec notre Moi verbal et conscient et le simple fait de cette identification entraîne subjectivement une prépondérance des attributs de I'hémisphère gauche. Il importe de souligner que Naranjo & Ornstein (1971) et Ornstein (1972) ont établi la non moins grande validité d'une identification du Moi avec des attributs propres au fonctionnement de I'hémisphère droit, tel que promu par les cultures de type oriental.

Une autre avenue de compréhension concerne le rôle même du Moi verbal. Gazzaniga, Steen et Volpe (1979) précisent que le Moi verbal conscient n'a pas toujours accès à l'origine de ses actions et, lorsqu'il observe son corps en train d'agir pour des raisons qui lui sont inconnues, il attribue et nomme des causes à ses gestes comme s'il les connaissait, alors qu'il ne les connaît pas toujours. Ainsi, selon eux, le sens de sa propre réalité, son propre système de croyances sur lui-même ou sur le monde, émergent comme une conséquence de la façon dont il considère ses actions et ses comportements. Pour eux, la dualité de notre conscience interne semble s'estomper quand un concept d'identité personnelle (et d'auto-contrôle) se développe autour du système verbal et quand cette conscience du soi commence à connaître les autres sources d'impulsions qui surgissent dans les systèmes non-verbaux. L'illusion de notre Moi unifié tiendrait donc à la mission même de notre Moi verbal qui consisterait à essayer de donner un sens et à coordonner nos divers systèmes émotifs et mentaux.

Le rôle du système verbal dans la création d'une réalité consciente est crucial et énorme. C'est le système qui observe continuellement nos comportements immédiats aussi bien que nos connaissances et nos humeurs internes. C'est en attribuant des causes à nos états psychologiques et comportementaux que nous nous construisons une vision et une attitude face au monde, que nous les fondons progressivement sur des valeurs et des croyances. Elles deviennent alors un élément-clé de l'image et de la conscience que nous avons de nous-mêmes. Enfin, le rôle du Moi verbal serait appuyé par des mécanismes physiologiques encore méconnus mais sous-jacents dans la théorie de la dissonance cognitive de Léon Festinger (1957). Selon cette théorie, lorsque l'opinion, la croyance ou l'attitude d'une personne vient en contradiction ou en désagrément avec la conscience d'elle-même qui prévalait juste avant leur émergence, un état de dissonance surgit. Or, Festinger a bien démontré que la dissonance n'est pas longtemps tolérée par l'organisme, car ce dernier recherche une consonance dans sa perception consciente. Quoique Festinger n'identifie pas pourquoi l'organisme recherche tant cette consonance, il parvient à décrire comment le Moi verbal conscient cherchera, soit à modifier le comportement, I'attitude ou la croyance, soit tentera de justifier par une autre explication (pouvant celle-là rétablir la cohérence interne), le comportement dissocié auquel il réagit.

Un autre type d'explication s'appuie sur la sociologie de la connaissance (Berger et Luckmann, 1966). Elle explique que l'illusion de l'unité du Moi provient du fait que l'humain aurait évolué de cette façon parce que le traitement de l'information séquentielle (qui est sous-jacente au langage, aux mathématiques et à la pensée dite rationnelle) n'est pas toujours compatible avec le mode plus simultané, synthétique et holistique de la pensée intuitive.

LA PERCEPTION CLAIRVOYANTE DE LA RÉALITÊ

La psychologie de la conscience intuitive nous propose une façon d'aborder les phénomènes psi. En effet, il est souvent fait mention que les phénomènes psi renvoient à un état non ordinaire de conscience et à une perception de la réalité différente de notre saisie sensorielle coutumière. C'est là la théorie du psychologue américain Lawrence LeShan ( 1966).

LeShan est docteur en psychologie expérimentale et il fut pendant 10 ans chef du service de psychologie à I'hôpital Trafalgar de New York et à l'institut de biologie appliquée. Il commença, par la suite, des recherches sur la perception extra-sensorielle (PES) avec une attitude très sceptique. Son projet initial était d'étudier comment il se faisait que des personnes envers qui il avait beaucoup de respect - des personnes comme William James, Gardner Murphy et d'autres - pouvaient croire en ce non-sens qu'est la PES. Il était évident pour lui que puisque la PES était impossible, aucun de ces événements ne pouvaient arriver et ces personnes-là devaient bien le savoir pourtant. Il croyait qu'étant un spécialiste entrainé aux méthodes scientifiques, il pourrait aisément mettre à nu ce qui faisait défaut dans cette situation. A son étonnement et à sa surprise, il constata que la perception extra-sensorielle existait de façon évidente. Mais alors, comment cela? Les expériences ne le disaient pas, mais les résultats démontraient son existence. Beaucoup d'efforts avaient été faits par des personnes sérieuses et de haut calibre pour tenter d'expliquer comment ces événements impossibles pouvaient être possibles dans notre représentation ordinaire de la réalité, mais ils avaient tous à peu près échoué.

Cependant, il y a une croyance en science, à l'effet que si des personnes sérieuses posent pendant longtemps une question et n'obtiennent aucune réponse, c'est qu'elles posent la mauvaise question. Ces hommes et ces femmes s'étaient demandés "comment?" Il décida quant à lui de poser la question "quoi?". Qu'est-ce qui se produit, à quoi la réalité ressemble-t-elle lorsque ces événements impossibles surviennent? À sa surprise, autant les sujets spontanés de PES que ceux étudiés en situation de laboratoire, autant les sensitifs instruits et verbaux que les moins instruits et les moins expressifs, affirmaient que la réalité leur apparaissait fort différente de la réalité ordinaire. Ils affirmaient qu'au moment où ils étaient conscients de posséder de l'information extra-sensorielle (PES), ils inventaient /découvraient le monde d'une manière différente de l'accoutumée. De plus, ils décrivaient tous, d'une manière similaire, cette autre façon d'organiser la réalité. Ce fut la base de ses travaux sur la réalité clairvoyante.

Ses recherches subséquentes, ses questionnements, ses démarches et son élaboration d'une théorie générale des phénomènes psi constituent la trame de son livre "The Medium, the Mystic and the Physicist". LeShan y décrit les caractéristiques de la réalité clairvoyante et il appuie cette vision organisée et cohérente de la réalité, tant sur les témoignages de clairvoyants et sur ceux des mystiques que sur les découvertes scientifiques de la physique de la relativité et de la mécanique quantique (Einstein, Oppenheimer, Planck, Margenau, Heisenberg, etc.). Ayant établi la validité de la théorie de la réalité clairvoyante, il vérifie sa théorie en expérimentant avec succès un certain type de guérison psychique. LeShan, en reconnaissant que cette théorie de la réalité clairvoyante n'explique pas tous les types de guérison psychique, esquisse alors les caractéristiques d'une troisième classe de réalité (la réalité transpsychique) pouvant expliquer les guérisons par la prière.

Dans un deuxième livre, LeShan (1976) explore ce que cela signifie de reconnaître le fait que l'être humain invente et découvre simultanément la réalité autour de lui. Définissant quatre classes générales de réalités (les façons sensorielles d'être, les façons clairvoyantes d'être, les façons transpsychiques d'être et les façons mythiques d'être), il décrit les principes limitatifs et les lois de base de chacune de ces réalités.

LeShan identifie clairement qu'à cause des limitations organiques, des différences culturelles et des traditions, des différents dogmatismes et des systèmes de pouvoir, une seule de ces classes de réalité est toujours vue comme la seule façon valide de regarder la réalité et que les autres classes de réalité sont alors comme des illusions. À ce sujet, il mentionne les travaux de Max Scheler sur la sociologie de la connaissance et ceux de Peter Berger sur la construction sociale de la réalité. Dans les faits, aucun système prétendant expliquer la réalité ne parvient à tout expliquer, et c'est en reconnaissant qu'il y a plusieurs niveaux de réalité que nous pourrons percevoir l'être humain de façon complète.

 

UNE APPROCHE TRANSPERSONNELLE DU VECU 4

"La conception que nous avons de nous-mêmes, celle d'un moi séparé, enfermé dans un sac de peau, est une hallucination qui ne concorde ni avec la science occidentale, ni avec les philosophies, religions expérimentales de l'Orient. Mais pour reconnaître que pensée et corps, forme et matière sont une seule et même chose, il faudrait que nous soyons capables de passer outre le blocage que nous ont imposé des siècles de confusion sémantique et de préjugé philosophique.."

Alan Watts (1966)

La philosophie transpersonnelle constitue, aux yeux même de ses fondateurs et adhérents, la "quatrième force" en psychologie. Issue du milieu de la psychologie humaniste (dénommée "troisième force" parce qu'elle s'était distinguée de la psychanalyse et du behaviorisme), la psychologie transpersonnelle a regroupé des psychothérapeutes et des chercheurs qui, provenant d'horizons différents, avaient tous le souci de voir s'intégrer dans la psychologie occidentale les besoins et valeurs dites supérieures de l'être humain, la spiritualité, le sentiment d'unité fondamentale avec la Vie, les expériences paroxystiques ("peak experiences") et la transcendance du Soi sur le moi. En un mot, c'est une psychologie qui accueille les expériences reconnues par la parapsychologie et la spiritualité comme étant un vécu normal, souvent essentiel à la personne qui les vit.

Elle est apparue officiellement en 1969 en Californie grâce au regroupement de pIusieurs psychothérapeutes dans l'Association de psychologie transpersonnelle et aussi grâce à la publication du Journal of transpersonal psychology. Parmi ses membres actifs, mentionnons quelques noms connus : Abraham Maslow, Michael Murphy, Arthur Koestler, Alan Watts, Charlotte Buhler, Jean Houston, Jean Halifax, Stanislas Grof, Gabrielle Roth, Lawrence LeShan, Roberto Assagioli, Warren G. Bennis, Victor Frank, Ken Wilber, Clark Moustakas et Sidney M. Jourard. Ces personnes ont voulu redonner à la psychologie la dimension "verticale" du sens de la vie et de son enracinement dans les trois aspects déjà connus de l'activité humaine, soit I'activité mentale, la dynamique affective et le vécu corporel.

L'originalité de la psychologie transpersonnelle n'est pas tant d'inventer une méthodologie ou une théorie spécifique mais bien de réintégrer comme étant des contenus scientifiques valides, plusieurs objets rejetés par la psychologie contemporaine. Elle reconnaît la multiplicité des états de conscience, elle s'ouvre aux témoignages de réincarnation, de survie après la mort, de communication au-delà du temps et de l'espace, elle considère comme relatifs les modèles d'identité qui sont prônés par notre culture et elle affirme une vision du corps humain qui contredit la conception que nous avons généralement de nous-mêmes, celle d'un moi apparemment séparé, indépendant, enfermé dans un sac de peau, isolé de l'environnement et de la communauté. Pour ce faire, elle puise à la fois aux sources du mysticisme chrétien, à celles de la pensée orientale (yoga, zen, bouddhisme, etc.), à celles des recherches psychiques et spirituelles telles celles de Carl G. Jung, Roberto Assagioli, Allan Watts et William James, aussi bien que celles des travaux des sociétés scientifiques intéressées aux phénomènes psychiques (ex. : American Society for Psychical Research, fondée en 1885). Émergeant de ces divers courants, la psychologie transpersonnelle, comme courant de pensée et manière d'intervenir, est une étiquette qui désigne les professionnels qui intègrent dans leur pratique cette vision élargie et spiritualisée de l'humain.

La démarche transpersonnelle donne une large place à la personne totale. Toutes les approches ou techniques qui se centrent sur les émotions, l'intellect, le corps, les processus de l'énergie vitale subtile, la conception du soi, la conscience, la responsabilité et la créativité peuvent servir de véhicule de base à l'action thérapeutique et à la démarche de croissance. Ce sont toutes des portes d'entrée différentes à l'univers intérieur des personnes et elles sont appropriées en autant qu'elles permettent de rejoindre la personne et d'accéder à ses processus et dimensions supérieures. Il n'y a donc pas une, mais plusieurs techniques précises utilisées et toutes valorisent une certaine perspective de l'humain. La psychosynthèse est souvent citée comme typiquement transpersonnelle mais toute thérapie devient transpersonnelle si elle admet la dimension psychique et/ou spirituelle.

La psychologie transpersonnelle a certaines caractéristiques propres. Elle reconnaît la véracité subjective des phénomènes psychiques et s'engage quelquefois à en démontrer la validité objective. Elle élargit considérablement la gamme de comportements considérés comme sains ou normaux et l'ampleur des faits considérés comme possibles. Elle demeure très sensible à la dimension psychique et/ou spirituelle de l'activité mentale, de la dynamique affective et de la vie corporelle. Elle promeut le développement et l'intégration de tout l'être, notre existence incarnée n'ayant de sens que par une vie quotidienne riche.

Enfin, par son accent sur la conscience et ses différents états, elle restitue la conscience "normale" et "ordinaire" comme étant un mode d'être défensif, contracté et limité. La vision de soi, des autres et de la vie sociale revêt alors un sens nouveau qui met en valeur la qualité du tissu des relations humaines et du contact avec la nature.

La psychologie transpersonnelle s'avère davantage efficace avec les personnes intuitives, sensibles, créatrices et ouvertes à intégrer des dimensions nouvelles d'elles-mêmes. À l'inverse, I'approche transpersonnelle est une démarche plus ardue chez les personnes se voulant uniquement logiques, objectives, répétitives, centrées sur l'extérieur, prenant partie pour les institutions à leur propre détriment, ou amateurs de concepts théoriques extérieurs à leur vécu personnel.

La principale limite de la psychologie transpersonnelle tient au fait qu'elle reconnaît, accepte et valide une compréhension globale de I'humain qui inclut des dimensions qui sont malheureusement mises de côté dans la pensée sociale établie. Il est ainsi difficile encore de collaborer avec des institutions d'esprit traditionnel ou exclusivement matérialiste qui compartimentent la personne en perdant de vue la globalité de l'humain. Nous ne sommes pas qu'un esprit ou qu'un corps et tout courant de pensée qui ne promeut que l'un ou l'autre fait preuve d'une pauvreté culturelle et d'une conception amputée de l'être humain.

CONCLUSION

La position du praticien en santé mentale demeure foncièrement inconfortable face à un témoignage de faits vécus qui contredisent ou qui dépassent notre entendement du sens commun. Ni le rationalisme scientifique, ni l'institution religieuse, ni la psychiatrie freudienne orthodoxe, ni le behaviorisme orthodoxe ne permettent d'accueillir de façon ouverte ce type de vécu sans qu'il soit trop déformé par leurs grilles de lecture et d'analyse.

Les travaux récents en psychologie de la conscience, fondés sur des approches psychophysiologiques, neuropsychologiques et psychobiologiques resituent les limites de la conscience ordinaire et de la perception consensuelle de la réalité sensorielle. Ils identifient aussi des substrats physiologiques et des mécanismes cognitifs qui s'apparentent à une autre saisie toute aussi valable du réel. Selon celle-ci, les phénomènes psi deviennent des expériences exceptionnelles mais normales. Il s'agit dès lors, non plus de les discréditer, mais de reconnaître leur place dans le vécu personnel et de favoriser, s'il y a lieu, leur harmonisation. Cela dit, il reste beaucoup à faire pour départager sainement ces expériences et pour tenter de comprendre quels sont leurs substrats physiques véritables. Cela n'empêche pas que nous devrions avoir le courage comme professionnels de la santé mentale de ne pas abuser des grilles psychopathologiques ou des traitements pharmacologiques et de nous donner des perspectives véritablement fondées sur le développement humain et sur la santé mentale.

NOTES

1. La Corporation professionnelle des psychologues du Québec a reconnu ce fait humain et social en mars 1979 et a institué alors un comité d'études et de recherches interdisciplinaires sur les phénomènes psi.

2. Voir à ce sujet le dernier numéro de Santé mentale au Québec. Où va la psychiatrie? VoI. 6, n°2.

3. Propositionnel : organisation séquentielle et hiérarchisée de l'information en vue de buts donnés.

Appositionnel : apposition, comparaison, juxtaposition de deux termes dont l'un sert à qualifier l'autre.

4. Cette partie est rédigée à partir d'un texte à paraître de Denise Roussel et François Leduc intitulé "La psychologie transpersonnelle".

 

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SUMMARY

 

The position of the mental health practitioner remains fundamentally uncomfortable confronted with a testimony of experienced facts which contredict or surpass our understanding of common sense. Neither scientific rationalism, institutional religion, orthodox freudian psychiatry, or orthodox behaviourism permits one to openly receive this type of experience without its being subject to excessive deformation by their analytical or reading-based framewords.

Recent work in the psychology of consciousness, based on psychophysiological, neuro-psychological and psychobiological approaches reconstitute the limits of ordinary consciousness and the consensual perception of sensory reality. They also identify the physiological substrata and the cognitive mechanisms which ally themselves to another, equally as valuable, apprehension of reality. According to this latter, psi phenomena become exceptional, but normal, experiences. It is a question from then on not to discredit but to recognize their place in personal experience, and to assist, if need be, their harmonization. Having said this, much remains to be done to soundly evaluate these experiences and to attempt to understand their real physical substrata. This does not negate the need for mental health professionals to have the courage not to abu psychopathological frameworks or pharmacological treatment, and to give ourselves perspectives founded truly on human development and mental health.

 

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