GUERISSEUR PSI
ET HYPNO-SOPHROLOGIE

Revue de Parapsychologie n°15, 1983

par Catherine Lemaire (physiologiste et psychothérapeute)

 

Si, lors d'un séjour de quatre mois aux Philippines, je n'ai pas rencontré de véritables "chirurgiens aux mains nues", j'ai eu néanmoins la chance, à plusieurs reprises, d'être le témoin d'un phénomène rarement mentionné : l'extraction "psi" de dents. J'ai étudié trois arracheurs "psi" de dents. Les deux premiers appartenaient à une secte catholique de missionnaires-guérisseurs, qui interdisait les observateurs. J'ai donc dû me contenter d'examiner les dents des patients quand ils arrivaient, et les trous quand ils sortaient. Aux dires de tous les patients, il suffisait à ces guérisseurs de frapper la dent avec la pointe d'un stylo pour qu'elle tombe.
J'ai pu longuement observer le troisième. Le processus est toujours le même : entre deux combats de coq ou deux éclats de rire, cet homme se concentre quelques secondes, appelle intérieurement Saint Roch, son protecteur, et souffle sur la pince avec laquelle il arrachera la dent, après avoir touché la gencive à sa base. Cet instrument facilite la préhension : le guérisseur a des doigts très épais. Je l'ai vu une fois n'utiliser qu'un simple mouchoir. La perte de sang est pratiquement nulle, et cela même chez les hémophiles ; s'il y a abcès, il le laisse couler quelques instants puis, après que le patient ait craché, il fait une prière silencieuse pour arrêter l'écoulement. L'observation montre une cicatrisation très accélérée. L'extraction apparaît comme d'autant plus facile que la racine est petite. Aucune technique d'hétéro-hypnose verbale n'est employée ; mais le patient sait évidement que l'opération est indolore, et il ne sent ni ne manifeste la moindre douleur, le moindre malaise, ni la moindre modification de conscience. J'ai pu voir ainsi arracher, en moins de dix minutes, et sur le même patient, treize dents, toutes solidement implantées. Le patient s'est ensuite contenté de se rincer la bouche à l'eau salée. Il s'agissait d'un Américain un peu débile qui voulait rapporter des Philippines un dentier- souvenir, produit particulièrement bon marché dans ce pays. Le guérisseur n'entre pas en transes. Quelques signes (une certaine fixité du regard, une détente corporelle faisant suite à l'extraction...) laissent cependant penser qu'il glisse vers un état de conscience légè-rement différent de la conscience sensorielle. Espérant res-sentir quelque chose, je lui demandai de me "passer son pouvoir". Il me donna sa pince, puis tint ma main sur laquelle il souffla en se concentrant. Je tentai ensuite, par deux fois, d'avoir prise sur une incisive. II reprit alors ma main comme s'il désirait la guider et mis un doigt sur la gencive à environ un centimètre, latérale-ment, de la dent que je visais. Je voulus alors, à nouveau, pincer l'incisive : au moment où je la touchais, elle tomba, et cela sans que je ressentisse quoique ce fût.
Afin de s'adapter aux besoins des étrangers, ce guérisseur intervient égale-ment sur le chevauchement dentaire : profitant d'un espace ou le créant lui-même en arrachant une dent, il écarte les autres. En trois séances, je l'ai vu ainsi faire pratiquement disparaître un important chevauchement des incisives et canines supé-rieures. Par simple goût du spectacle, il m'a proposé de réimplanter une dent après l'avoir extraite. Mais faute de client, et comme je refusais de me prêter à l'expé-rience, il n'a pu la réaliser ; un dentiste m'a néanmoins assuré qu'il pouvait le faire et que la dent se retrouvait toujours solidement implantée.

J'ai rencontré de nombreux Philippins qui ont eu l'occasion de se faire extraire des dents ; ils s'entendent tous pour dire que cette méthode était très employée par le passé, mais que les arracheurs psi de dents se font de plus en plus rares. Selon nos connaissance, une telle extraction implique une intervention à quatre niveaux :

La technique employée par cet arracheur psi en particulier, et par de nombreux guérisseurs psi en général, s'apparentant à l'hypnose et à la sophronisa-tion , nous pouvons tenter quelques comparaisons. L'hypno-sophrologie sait intervenir aux niveaux de la sensibilité, de l'innervation et des défenses immu-nitaires. Elle est donc utilisée en dentisterie où elle permet une relaxation générale accompagnée d'une analgésie locale, une réduction du saigne-ment et de la salivation durant l'intervention, une absence de conséquences post-opératoires (douleur, infection, oedème, etc.) et une accélération de la cicatrisation. De plus, grâce à la suggestion post-hypnotique ou post-sophronique, le patient peut demeurer parfaitement conscient et coopératif. En contre-partie, l'hypno-sophrologie actuelle ne joue aucun rôle dans l'aspect mécanique de l'intervention, l'extraction, l'implantation et le chevauchement dentaires devant être résolus de manière classique.
L'hypnose ne peut avoir lieu sans le "transfert", défini par la psychanalyse comme une régression à un stade infantile de dépendance, d'abandon et d'identification parentale. Partisan d'une méthode moins brutale, Caycedo, le père de la Sophrologie, a remplacé ce transfert par l'alliance sophronique, relation non plus de parent à enfant, mais d'adulte à adulte, le patient gardant son esprit d'initiative. Comme le sophrologue ou l'analyste, le guérisseur psi ne peut soigner les hommes sans l'installation préalable de ce transfert ou de cette alliance. Mais, mieux encore, l'empathie qui s'établit entre le malade et son guérisseur peut transcender largement notre conception de ce processus .
En effet, pour un grand guérisseur psi, l'empathie ne se réduit pas à une relation parent-enfant, ni même adulte-adulte. Elle exprime, en fait, l'existence d'une conscience-énergie liant fondamentalement toutes les parties de l'univers. Et comme cette conscience-énergie est la racine commune à toutes ces choses, son existence ne saurait dépendre du système nerveux ni même des caractéristiques du vivant, telles qu'elles sont définies par la biologie. C'est l'animisme du "primitif" et de l'enfant, mais aussi de ces grands explorateurs de la conscience que sont certains mystiques. Dans une telle cosmogonie, l'identification apparaît non seulement comme un archétype, une image primordiale, mais aussi comme une propriété physique de l'univers. Le retour à l'état d'identification ne peut donc impliquer la connotation négative incluse dans le terme "régression". Il transcende le simple retour à la dépendance parentale et demande l'abandon des cuirasses, le retour à l'état virginal du nouveau-né, de l'animal, de la plante ou du caillou, état où la conscience-énergie fondamentale peut être, librement, sans contrainte :

" II appela un enfant, le plaça au milieu d'eux et dit : Oui, je vous le dit, si vous ne retournez pas et ne devenez pas comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ."

Plus profonde est cette disponibilité, plus le guérisseur sera efficace, car la conscience-énergie ainsi libérée est aussi Vie. Or, qui peut avoir plus envie de vivre que la vie elle-même ! On peut même affirmer que si la renaissance est totale, le guérisseur devient inutile, le sujet n'ayant plus besoin, pour se guérir, de l'intervention d'une personne, d'un objet ou d'un lieu privilégié. C'est, du reste, ce qui explique qu'un guérisseur psi, qui ne sait se guérir lui-même, soit considéré comme un médiocre praticien : ne peut vraiment guérir autrui que celui qui est mort à lui-même, c'est-à-dire qui se connaît, et peut donc s'auto-guérir. Cette idée n'est d'ailleurs pas inconnue de notre médecine ; mais pour la réaliser pleinement, il faudrait d'une part qu'elle reconnaisse la mort de l'ego comme une évolution et non comme une régression, et d'autre part qu'elle accepte comme hypothèse de travail le fait que toute maladie, sans exception, est en tout premier lieu un égarement de l'esprit, individuel ou collectif.
Si donc, dans une relation sophronique, l'abandon ne concerne habituellement que le patient, il n'en est pas de même dans les thérapeutiques psi. Pour entrer dans sa fonction, le guérisseur psi doit, plus encore que son patient, s'abandonner. II doit abolir la relation sujet-objet, afin de s'unir avec lui, et cela sans projeter de fantasmes personnels, ce qui est rendu possible par le fait qu'il se connaît. Selon son degré de développement, il établira cette intimité directement ou par intermédiaire d'un "esprit", d'un complexe autonome" et en élargissant sa conscience ou en entrant en transes. Ainsi notre arracheur de dents, par exemple, est hyperconscient mais demande l'intervention d'un saint. Signalons en passant que si ces "esprits" demeurent le plus souvent imperceptibles aux sens, ils ne sont pas pour autant des perceptions sans objet. En effet, dans cette cosmogonie, il n'existe aucune place pour nos hallucinations : la divinité créatrice étant elle-même énergie, rien dans l'univers ne saurait être d'une autre nature. L'imaginaire, qu'il soit personnel ou non, et la réalité ordinaire ont donc le même substrat, la différence résidant simplement dans son degré de concrétisation. Mais quittons là cette question et revenons à l'empathie en laissant Satprem nous décrire cet état devenu pleinement conscient :

"Cet état poreux, sans non ni oui, sans mur, ce n'est pas du tout l'état flou que l'on imagine. C'est peut-être un courant d'air, mais un curieux courant d'air : c'est comme si cette nullité sans réflexion propre venait se prendre soudain dans tel être, dans ses réactions, dans sa maladie, comme si c'était à soi. On devient "soi" tout à coup parce qu'on accroche là, ou plutôt qu'on est accroché là. "Soi", c'est n'importe où le courant s'accroche, se réfléchit. On devient la pierre, devient la fleur, le flacon d'eau dentifrice. Au lieu d'être accroché dans un corps, son corps, on est accroché par (ou dans) tout ce qui passe [...]. Non, ce n'est pas un état flou : c'est un état extraordinairement précis. On est exactement tout ce qu'on touche, tout ce qu'on voit, tout ce qui se passe, à la vibration près. Ce n'est d'ailleurs pas qu'on "voit" ou qu'on "touche" : on est dedans. On est comme c'est. Et cette nullité, plus elle est nulle et sans "défense", plus elle s'emplit comme spontanément de la Vibration, une vibration qui est comme de l'Amour, comme si, au bout de tout, quand il ne reste plus rien, il reste ça : l'Amour... pur."

Après ces mots, on a l'impression qu'on ne peut plus écrire que des banalités. Mais puisqu'il faut continuer, concluons en disant que plus la conscience sera unitaire, plus le guérisseur psi pourra intervenir sur les cuirasses que son patient n'a su abandonner de lui-même. II travaille pour lui, en devenant lui ; en le pénétrant, il le connaît et donc peut le guérir comme, un jour, il s'est guéri lui-même. Si donc certains guérisseurs psi peuvent se contenter d'un simple transfert de la part de leurs patients, il est évident que jamais ils ne pourraient atteindre cette union consciente s'ils se limitaient eux-mêmes à nos conceptions restreintes de transfert ou même d'alliance. De plus, nous ne devons pas oublier qu'un guérisseur psi soigne non seulement les humains, mais aussi les animaux et les plantes, et que cela implique la même empathie.
Si l'alliance s'établit, l'hypno-sophrologue utilise la parole curative, la suggestion et la persuasion. Cette magie remonte à la nuit des temps, mais son langage s'adapte aux croyances, non seulement du patient, mais aussi du praticien. En Occident, la science a démythifié, désuniversalisé, déglobalisé l'être humain. Et cette approche analytique aurait un tel impact qu'elle aurait même modifié le schéma corporel de l'homme de la rue, contraignant alors le sophrologue à utiliser une suggestion, de type lui-même analytique. C'est ainsi que, pour extraire une dent, par exemple, jamais le sophrologue n'utilisera une suggestion du genre de celle de notre arracheur psi de dents : "Je dois arracher telle dent, Saint Roch, faites que tout se passe bien !" Non ! Pour chaque patient, il délimitera le champ opératoire dans ses moindres détails, non seulement anatomiques, mais aussi physiologiques. Tout sera précisé : le maxillaire, la dent, la racine, le nerf, le ligament, l'alvéole... et une suggestion distincte sera faite pour la sensibilité, le saignement, la salivation, les défenses immunitaires, la cicatrisation etc. Si l'on conçoit aisément que, par mesure de prudence, l'hypno-sophrologie chirurgicale utilise une telle technique, on peut cependant s'étonner devant sa généralisation à tous les autres domaines. Cette méthode analytique répond-t-elle réellement à une nécessité ? Ce nouveau schéma corporel est-il profondément ancré dans l'inconscient ?

La pratique des guérisseurs psi occidentaux nous paraît pouvoir répondre à ces questions. En effet, nombre d'entre eux ignorent tous ces détails anatomo-physiologiques et se contentent de suggestions globales, sans pour autant perdre de leur efficacité. Il est vrai que leur clientèle est souvent plus "simple", plus "ignorante" que celle du sophrologue. Mais cela ne paraît pas être la raison majeure. Il semblerait plutôt que le guérisseur psi intervienne à un niveau plus global, plus fondamental que le sophrologue, agissant même souvent au-delà de la suggestion verbale. Ainsi, pour éviter les conséquence post-opératoires d'une ablation des végétations (douleur, saignement, déglutition etc.), le français Sabarthès, par exemple, se contentera de la simple concentration :

"Je fais ça mentalement. C'est purement mental. Il n'y a pas de paroles, pas de formules. Je me concentre sur la photo. Je nomme la personne, je demande qu'elle ne souffre pas, que l'opération se passe bien, sans inconvénient, qu'elle retrouve la santé et que mes vœux soient exaucés."

Pour des problèmes plus importants, le guérisseur psi utilise généralement des formules "magiques", d'un style souvent poétique. "Reçues" directement des "esprits" ou transmises de guérisseur à guérisseur, elles sont fréquemment secrètes et demeurent presque toujours incompréhensibles et même inaudibles pour le patient. De plus, elles s'adressent au mal dans sa globalité, et non à une série de symptômes : l'une servira pour la morsure de serpent, l'autre pour l'accouchement sans douleur, une troisième pour l'extraction dentaire, etc. Enfin, dans les cas graves, comme la méningite par exemple, c'est l'être en son entier qui sera considéré :

"Mal, qui que tu sois [on fait le signe de croix], au Nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, sors de cet enfant [on dit le prénom]. Je te l'ordonne [signe de croix] au nom du Père [signe de croix] et du Fils [signe de croix] et du Saint-Esprit, et par toute la puissance [signe de croix] de ce signe de croix."

Mais il faut ajouter le commentaire du rapporteur de ce rituel pour entrevoir l'énergie que sous-tend une telle prière :

"Mr Sabarthès s'est signé quand il fallait le faire ; et c'était impressionnant de voir avec quelle volonté, quel feu, il ordonnait au Mal . Il conclut : "Ainsi soit-il" et c'est. De suite, instantanément ! "

En effet, ce qui importe dans la guérison de l'esprit , ce ne sont pas tant les mots (qu'ils soient audibles ou non), mais ce qu'ils cachent. Pour une même maladie, il existe une infinité de formules. Simplement, chaque guérisseur psi prend ou "reçoit" celle qui lui convient le mieux, et il peut même n'en utiliser aucune. Ce qui est essentiel, c'est la foi : sans la certitude de réussir, sans un désir presque existentiel de guérir, et sans la puissante concentration qui en découle, aucune prière ne peut être efficace. Le rituel ne sert qu'à renforcer cette foi. Mais là encore, il ne faut pas réduire celui-ci à une simple suggestion, telle que la science la définit généralement. Un rituel, c'est beaucoup plus qu'une technique personnelle : c'est un appel au collectif conscient mais surtout inconscient, un appel à un "égrégore" [ange veilleur. NDLR], à un "complexe autonome". Or ces "égrégores", nous l'avons dit, ne sont pas des abstractions : ils sont faits d'une énergie, et recèlent donc une puissance. Aucun guérisseur ne puise sa foi dans ses forces personnelles. Tous, même ceux qui n'utilisent pas de formule, font appel à la transcendance, transcendance qui peut même aller au-delà des "esprits", pour atteindre Celui qui, sans corps et sans forme, manifeste le monde.
C'est peut-être cet appel à la transcendance pour qui tout est possible, qui donne au guérisseur psi des pouvoirs restant souvent inconnus du sophrologue. En effet, celui-ci comme la plupart des praticiens s'impose généralement à lui-même, et impose donc à ses patients, un ensemble de croyances que nous pouvons schématiquement résumer :

Les principaux postulats ainsi posés, le sophrologue va agir selon sa foi, guérissant efficacement les troubles névrotiques et psycho-somatiques. Il laissera le psychotique car il le sait fermé à la communication. Il ne tentera pas d'intervenir sur les maladies organiques ou de faciliter une extraction dentaire car il sait que c'est impossible :

"Je ne peux suggestionner que telle dent va tomber, puisque sur la radio j'ai vu que c'était impossible."

Or tous les guérisseurs philippins sont formels : faire tomber une dent est l'un des pouvoirs les plus simples, c'est aussi facile que de soulever un livre par imposition des mains ! De plus, tous les guérisseurs psi dignes de ce nom agissent sur les maladies organiques, qu'elles soient humaines, animales ou végétales.
On pourrait expliquer ces différences entre guérisseurs psi et hypno-sophrologues en disant que les premiers sont des sujets psi, tandis que les seconds ne le sont pas. Mais ce serait encore établir un cloisonnement sans fondement. La parapsychologie a clairement démontré que tout homme était psi.

"Nos expériences de laboratoire nous donnent à penser que quiconque accepte facilement l'idée d'être doté de facultés paranormales peut en avoir."

II semble donc plus vraisemblable d'envisager que ce qui limite le scientifique en particulier, et l'homme en général, soit son habitude à définir, à réduire, à classer en possible et impossible. De là, et de !à seulement, résulteraient ses incapacités car, comme nous le disait déjà le Christ, il ne peut être fait que selon notre foi :

" Jésus leur répondit : Oui, je vous le dit, si vous avez foi et n'hésitez pas, non seulement vous ferez cela du figuier, mais si vous dites à cette montagne : Enlève-toi et jette-toi à la mer, cela se fera. Et tout ce que vous demanderez avec foi en priant, vous le recevrez. "

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