DU BON USAGE DU HASARD ...


Par Michel Duneau

Revue parapsychologie n°16, 1984

Les expériences d'ESP sur des cibles aléatoires présentent une struc-ture commune, qui correspond à l'idée générale que les parapsychologues se font de l'ESP elle-même, et de l'intervention des statistiques.

En négligeant le détail des protocoles, l 'expérience type suppose qu'un GEA (générateur d'événements aléatoires) fournit une série d'événe-nients codés d'une façon simple et qui constitue la cible de la percipience. Le sujet établit une liste parallèle dans l'intention d'obtenir le maximum de coin-cidences. Un test statistique, choisi a priori, est alors appliqué pour estimer si les coïncidences observées sont, ou ne sont pas attribuables au hasard seul, cela en fonction d'un seuil fixé a priori avec le test lui-même.

Plusieurs remarques de bon sens sont à faire.

Premièrement, le test utilisé à l'issue de l'expérience n'est pas de la même nature qu'un test visant à vérifier le fonctionnement du GEA : un tel test, par exemple celui du khi-deux, sert à valider le modèle statistique censé décrire le système physique lui-même. Il ne fait intervenir que les événements obser-vés au cours de la période de vérification. Par contre, le test qui achève l'expérience d'ESP est construit à partir du modèle statistique supposé va-lide. Il fait évidemment intervenir une donnée extérieure, celle de la série proposée par le sujet. Par conséquent on ignore en général si le GEA a "bien fonctionné" au cours de l'expérience, dont le but explicite est de pro-duire de l'ESP, non de la PK.

La question qui est donc réellement tranchée par le test final est la suivante : quelle est la probabilité, estimée à partir du modèle statistique, pour que le GEA fournisse une série ayant les coïncidences observées avec une autre série, dont l'origine n'entre absolument pas en ligne de compte dans cette estimation.

Autrement dit, bien que l'on parle couramment de la probabilité pour le sujet d'obtenir un certain nombre de réussites, le seul énoncé qui ait un sens du point de vue statistique, est diamétralement opposé. Heureusement, dans ce cas, cet abus de langage est sans conséquence sur la validité de l'analyse statistique.

Remarquons également que cette analyse ne prend jamais en compte la configuration spatio-temporelle de l'expérience : si le sujet "recopie" scrupuleusement la série fournie par le GEA, la corrélation sera évidemment particulièrement forte et le verdict du test parfaitement valide, mais nous ne pourrons en tirer de conclusions que sur la vue du sujet. D'autre part, si le parapsychologue décide d'interpréter une expérience réussie en terme d'ESP ou de prémonition, selon que la cible est produite après ou avant la réponse du sujet, il faut bien admettre que cette distinction ne doit rien à l'analyse statistique qui ne prend jamais en compte l'ordre chronologique des séries. Ce genre de distinction révèle en fait une référence implicite à la causalité, référence en vérité injustifiée puisque le modèle statistique y est complète-ment étranger.

Les expérience de PK sur des GEA ont également une structure com-mune relativement simple, mais nous allons voir que les interprétations doi-vent être plus précises que ce n'est généralement le cas.
L'expérimentateur dispose d'un GEA dont le modèle statistique est ré-puté décrire correctement le système physique proprement dit.
Dans un grand nombre d'expériences, une série cible, sur l'origine de laquelle nous reviendrons, est proposée au sujet dont le but explicite est d'obtenir du GEA une série parallèle présentant un maximum de coïncidences avec la première. Un test statistique, basé sur le modèle de référence du GEA, est alors appliqué de façon à déterminer si les coïncidences observées sont ou non compatibles avec le hasard. Ici également un seuil doit être fixé au préalable, avec le test lui-même. Il semble alors légitime d'interpréter tout écart significatif avec le hasard comme la marque d'une PK, ou tout au moins d'une action sur le GEA.
Imaginons maintenant que la série cible soit fournie par l'expérimen-tateur, ou par le sujet lui-même, sans autre précision. Le schéma expérimental auquel on aboutit alors, est en tout point semblable à celui qui correspond à l'ESP ou à la prémonition, à tel point qu'un observateur visuel, extérieur à l'expérience, ne fera aucune différence entre les deux protocoles. La distinction, dans ce cas, entre ESP, prémonition et rétroPK, n'existe plus que dans l'esprit des seuls acteurs de la scène.

Envisageons maintenant différents déroulements possibles de l'expé-rience et supposons que notre observateur toujours privé de son, tente d'en découvrir la nature. Il dispose pour cela de deux tests : le premier consis-tant à vérifier si le modèle statistique du GEA est compatible avec la série produite, notée SG, et le deuxième, basé sur ce modèle, servant à estimer la corrélation entre la série SG et la série SS fournie par le sujet. Suppo-sons enfin pour simplifier, que le GEA soit simplement un dé non pipé, et que les séries soient faites de 6 nombres, pris de 1 à 6.

Cas 1 : SS = 2 4 5 6 3 1, SG = 4 1 2 5 36
cas 2 : SS = 2 4 5 6 3 1, SG = 2 4 56 3 1
cas 3 : SS = 2 4 5 6 3 1, SG = 3 3 3 333
cas 4 : SS = 3 3 3 3 3 3 , SG = 2 4 56 3 1
cas 5 : SS = 3 3 3 3 3 3 , SG = 3 3 3 333

Les cas 1 et 4 ne posent pas de problème d'interprétation : SG est compatible avec la loi du GEA et la corrélation avec SS est non significative.
Dans le cas 5, il y a manifestement PK, ou action au sens habituel, mais remarquons cependant que si SG n'est pas compatible avec le modèle statistique du GEA, utiliser un test basé sur cette loi pour juger de la corré-lation avec SS devient problématique.
Dans le cas 3, SG qui est très improbable, n'est pas corrélé à SS. Evénement physique extraordinaire ou PK inconscient ?
Le cas 2 correspond à une série SG parfaitement compatible avec la loi du GEA, et à une forte corrélation avec SS. Si le sujet affirme avoir tenté une ESP ou une prémonition, très bien c'est réussi. Malheureusement, il semble que de nombreuses expériences corres-pondant à ce scénario, soient interprétées comme des tentatives réussies de PK ou de rétroPK. Cette interprétation du cas 2 est en fait erronée pour la simple raison que l'on ne dispose d'aucun modèle statistique de référence, correspondant à la série SS.

Le point central est qu'on ne peut parler d'action, d'agence, ou de (rétro) PK sur un système physique, que si les observations faites sont jugées incompatibles avec le modèle, statistique ou déterministe, censé décrire le
système en question. Ce n'est pas le cas ici, et quelles que soient les in-tentions du sujet ou de l'expérimentateur, on ne peut conclure qu'à une ESP, ou à une prémonition réussie.

Signalons cependant une possibilité d'interpréter le cas 2 en terme de PK - c'est lorsque la série SS, précédemment fournie par le sujet, est elle aussi produite par un GEA, statistiquement indépendant du premier. En effet toute corrélation significative entre SS et SG est mise en évidence par un test, par exemple celui du khi-deux, portant sur les deux GEA à la fois, qui prend en compte leur indépendance.

Un protocole particulièrement inattaquable consisterait par exemple à jeter des dès par paire, en souhaitant simplement obtenir un maximum de doublets.

En réalité, la plupart des expériences font appel à des protocolee relativement complexes, de sorte qu'une analyse détaillée devient nécessaire.

Je prendrai pour exemple I 'expérience de rétro-PK de P. Janin dont le compte rendu a été publié dans "Parapsychologie" n° 2 (1976). Le proto-cole est choisi de façon à minimiser l'intervention possible d'autres proces-sus que la rétro-PK proprement dite, par exemple une psychocinèse sur le GEA associée à une prémonition de la future cible, ou une clairvoyance sur le GEA avec psychocinèse sur la cible, etc ... P. Janin convient d'ailleurs de l'impossibilité d'éliminer totalement ces interprétations parallèles.
Dans un premier temps, le GEA fournit une suite binaire SG, de sons aigus ou graves, enregistrée automatiquement et objectivement inobservable (jusqu'au dépouillement). Des données extérieures, en l'occurence des tempé-ratures météorologiques relevées dans un journal, conduisent à répartir la série initiale en 3 sous-séries SGR, SGA et SGG . le sujet doit obtenir un maximum d'événements aléatoires de type A (son aigu) pour la sous-sérieSGA, de type G (son grave) pour la sous-série SGG, et ne doit rien souhaiter pour la sous-série SGR, utilisée comme référence lors du dépouillement.
Nous sommes donc dans le cas où les tests utilisés impliquent des données extérieures pour lesquelles nous n'avons pas a priori de modèle statistique. On conçoit d'ailleurs qu'en trichant, ce qui n'est évidemment pas le cas ici, on peut choisir la partition de SG en sorte que SGA (resp. SGG) ne contienne que des sons aigus (resp graves).

Si par contre nous considérons que les températures en question sont contraintes par un modèle statistique ou déterministe, alors toute corrélation significative avec la série SG permet de conclure à une PK.

Remarquons également que dans ce cas il n'y a aucune raison objective d'identifier la cible de la PK au premier évènement plutôt qu'au second, la distinction entre PK et rétro-PK devient alors purement arbitraire.

Accueil GERP