LE MYTHE QUANTIQUE EN PARAPSYCHOLOGIE

Revue de Parapsychologie n°11, sept.80

par Michel Duneau

Depuis quelques années, et parallèlement au développement de l'intérêt pour la parapsychologie dans le public, certains physiciens ont proposé des "explications " en termes de mécanique quantique, à propos principalement des phénomènes de psychocinèse (1), (2), (3). Ces études ont connu une assez large diffusion, au moins dans les milieux parapsychologiques, pour que s'affirment chez les non spécialistes de cette physique quelque peu ésotérique, les opinions suivantes :

1) les physiciens auteurs de ces études représentent l'ensemble de la communauté scientifique du moins en ce qui concerne l'interprétation de la mécanique quantique.

2) les explications avancées sont de type scientifique et par conséquent ne sont pas critiquables sur le plan de la rigueur.

3) la mécanique quantique est sujette aux paradoxes mais en contrepartie elle recèle les germes d'une théorie psycho-physique de la psychocinèse.

Les deux premiers points constituent des conclusions naturelles pour quelqu' un qui n'a pas touché de près à la physique contemporaine, et cela d'autant plus que peu d'articles (4), sinon aucun en langue française n'ont présenté une analyse critique de ces explications ou même des opinions concurrentes.

L'affirmation du troisième point me semble beaucoup moins naturelle car quelque soit le statut que l'on accorde aux fameux paradoxes de la mécanique quantique, il conduit inévitablement à une contradiction, au moins dans le sens suivant : Le PK étant actuellement reconnu expérimentalement comme un évènement incompatible avec une certaine loi physique de référence (déterministe ou statistique), de deux choses l'une : ou bien la loi de référence est considérée comme non réductible à la mécanique quantique, et dans ce cas une explication quantique n'est pas pertinente, ou au contraire elle découle de la mécanique quantique (directement ou indirectement comme certains l'admettent pour la mécanique classique) et alors il est absurde d'interpréter une exception par une règle.


 

(1) 0. Costa de Beauregard : Rétropsychocinèse et acte de mesure quantique. Parapsychologie n° 11.

(2).E.H. Walker : Foundations of paraphysical and parapsychological phenomena. Quantum physics and parapsychology. Laura Oteri Ed, New York (1975).

(3) R.D. Mattuck : Thermal noise theory of psychokinesis : modified Walker model with pulsed information rate, jour. of Psychoenergetic systems.

(4) C.T.K. Chari : Jour. of parapsycholoqy 38, n° 1 (1974).


 

 

Dans un précédent article j'ai tenté d'examiner dans quelles conditions une théorie physique avait pu sembler, dans le passé, fournir une explication à certains phénomènes psi, le prototype de cette illusion étant fourni par l'histoire du magnétisme animal. J'essaierai ici de faire sentir quelle est la nature plus profonde d'une théorie physique et quelles en sont les limites naturelles de façon à situer les "explications" de type quantique et à formuler les critiques et les jugements qui en découlent.

I - Qu'est-ce qu'un modèle physique ?

Bien que la physique ait connu des bouleversements considérables depuis le début de ce siècle, la structure commune aux différents modèles physiques à été étudiée et dégagée à cette époque, et particulier par P. Duhem (5) et semble dans ses grandes lignes, avoir bien résisté à l'épreuve du temps (6), (7). Un modèle physique peut être considéré comme la réunion de trois éléments de natures différentes :

1) Un domaine expérimental, qui regroupe l'ensemble des situations et des activités expérimentales propres au modèle en question. En astronomie par exemple, le domaine consiste en l'utilisation judicieuse des télescopes, radiotélescopes etc ... et dépouillement des données.

2) Un langage formel dont la définition exacte est donnée en logique mathématique, que l'on peut comprendre comme la partie proprement syntaxique du modèle physique, avec son arsenal de symboles, ses formules et ses règles d'induction. Ce langage apparait en particulier dans les ouvrages scientifiques utilisant ce modèle.

3) Une règle de correspondance entre les évènements ou les situations du domaine expérimental 1), et certaines "phrases" du langage formel 2). Par exemple un modèle d'évolution d'un système donné fonctionne de la façon suivante : à l'état initial A du système considéré, dans le domaine expérimental correspond une représentation a dans le langage formel, et cela par le jeu de la règle de correspondance. Si, ultérieurement un état final B est observé, auquel corresponde une des- cription b, le modèle aura décrit l'évolution si b peut se déduire de a dans le cadre du langage formel; typiquement en résolvant certaines équations.

Formulée à l'origine à propos de la physique théorique, cette structure des modèles est considérée aujourdihui par certains auteurs comme une condition nécessaire à toute tentative de formalisation scientifique, par exemple dans les domaines de la biologie et même des sciences humaines.

Si un tel formalisme peut faire frémir certains, on doit remarquer que la notion de langage formel n'implique pas nécessairement l'utilisation des nombres et que finalement, cette structure est la plus simple qui satisfasse notre idée de cohérence logique.

II - Commentaires et limites naturelles des modèles.

Que les modèles physiques passés aient des limites, c'est une évidence que nous enseigne l'histoire des sciences. Que ce soit une conséquence de leur nature, qui frappera donc tôt ou tard les modèles physiques actuels, cela semble bien moins évident et pourtant ...

1) Ambiguité du domaine expérimental.

Comme il a été dit précédemment, ce domaine correspond plus ou moins à l'ensemble des situations où le modèle marche bien. Pour en connaître les limites, il faut expérimenter dans des situations toujours plus variées, jusqu'à ce que l'on rencontre des évènements irréductibles au modèle. Un point essentiel est que ces limites expérimentales ne sauraient se déduire du modèle lui-même.


 

(5) P. Duhem La théorie physique, son objet et sa structure. Paris (1906).

(6) R. Thom Stabilité structurelle et morphogénèse. Paris (1978).

(7) R. Abraham, J. Marsden : Foundation of mechanics, p. XIX (1978).


Ainsi la mécanique classique ne contient aucun élément susceptible d'annoncer son échec dans le domaine des phénomènes où les vitesses en jeu sont proches de celle de la lumière, et son remplacement par la mécanique relativiste.

De même, ni l'une ni l'autre de ces deux mécaniques ne permettent de prévoir l'existence des phénomènes atomiques, et encore moins leur échec à les décrire correctement.

Les limites du domaine expérimental se dessinent donc progressivement à partir de I'expérimentation. On peut alors apprécier le caractère utopique et mythique d'une théorie physique ultime et universelle, ainsi que les aléas du réductionisme physique, en particulier lorsqu'il est purement conjectural comme à propos des sciences humaines et évidemment de la parapsychologie.

2) Caractère indifférencié du langage formel .

Un modèle sera d'autant plus apprécié que d'une part son domaine expérimental est vaste, et d'autre part son langage formel est élémentaire. Le caractère indifférencié de ce dernier ne constitue donc pas une limite réelle du modèle mais caractérise plutôt sa qualité.

3) Arbitraire de la règle de correspondance.

La différence de nature entre le domaine expérimental et le langage formel a pour conséquence qu'il n'y a pas de règle de correspondance obligée entre une situation expérimentale et une quelconque représentation formelle dans le cadre d'un modèle : autrement dit il n'y a pas identité entre l'objet et sa représentation. L'histoire des sciences montre à l'évidence, par exemple dans le domaine de la cosmologie, que des données physiques identiques peuvent être représentées de façon très différentes selon les modèles.

D'une certaine façon, on peut également dire que le lien est aussi arbitraire qu'en linguistique, entre référent (la situation expérimentale) et signifiant (la description formelle). Ce point est central dans la discussion de l'interprétation d'une théorie physique et en particulier de celle de la mécanique quantique. De nombreux auteurs se sont pris au piège de confondre l'objet et la connaissance qu'un observateur peut en avoir, mais pas tous, ainsi qu'en témoigne le bon sens d'Eddington "Nous avons une connaissance exacte des observations et non pas des qualités propre (de l'objet observé) ; les premières ont avec les secondes autant de ressemblance qu'un numéro de téléphone avec l'abonné".

III - Conséquences.

En dehors du caractère auto-contradictoire des "explications" quantiques et qui tiennent en dernière analyse à une conception du PK qu'on peut ou non accepter, d'autres critiques peuvent être formulées à la suite des indications précédentes sur la nature des modèles physiques. Ces explications se fondent, selon leurs auteurs, sur des interprétations de la mécanique quantique, elles-mêmes issues de la discussion de certains paradoxes.

Une première remarque porte sur le statut de ces fameux paradoxes : en effet tous les auteurs semblent d'accord en ce qui concerne l'adéquation proprement physique du modèle quantique à une certaine réalité (8). Il semblerait d'ailleurs assez téméraire de ne pas l'être aujourd'hui. Donc le modèle quantique n'est pas critiqué en tant que tel et par conséquent son interprétation naturelle, à savoir la règle de correspondance entre la réalité expérimentale et le formalisme, n'est pas à mettre en cause.

(8) B. d'Espagnat : A la recherche du réel. Paris (1979).

 

La lecture des textes traitant des paradoxes montre en définitive que les difficultés apparaissent dès que l'on identifie consciemment ou non l'objet et sa description, et plus précisément en mécanique quantique, la particule et la fonction d'onde. Cette confusion peut n'avoir aucune conséquence si l'observateur est unique, mais elle conduit effectivement à une représentation paradoxale de la réalité lorsque plusieurs observateurs indépendants sont en jeu. En effet, pour peu que leurs observations soient distinctes (dans le temps et l'espace), ce qui est le cas dans le paradoxe E.P.R., leurs informations sur le système observé ne sont pas les mêmes, d'où des représentations différentes, (bien que non contradictoires). C'est alors que l'identification erronée du système et de sa représentation conduit à une contradiction puisque la description ne peut être qu'unique. Certains physiciens (9) pensent malgré tout y échapper en invoquant de problématiques et illusoires transmissions d'informations.

IV - La mesure en mécanique quantique.

Ce sujet a fait couler tellement d'encre de la part des physiciens qu'il mérite bien de s'appeler le "problème" de la mesure en mécanique quantique. Cependant mon intention n'est pas de le discuter en tant que tel, mais en suivant N. Bohr (10), d'en dégager les caractères généraux et de présenter le concept de complémentarité qui en constitue l'essence au niveau expérimental.

Il semble que le langage formel de la mécanique quantique (espace d'Hilbert, opérateurs, etc ... ) soit la conséquence logique d'un certain type de relations cl implications et de dépendance entre les différentes observations que l'on peut faire sur un système, ces relations étant différentes de celles qui apparaissent dans la physique classique.

Selon N. Bohr, cette situation apparait dès que le domaine expérimental présente les deux caractères suivants :

1) Exclusion mutuelle de certaines mesures simultanées : Dans le domaine atomique certaines mesures ne sont pas réalisables simultanément ; c'est le cas, pour une particule, de sa position et de sa vitesse.

En fait, ce premier caractère serait sans conséquence, il suffirait de faire de telles mesures successivement, si n'intervenait le suivant :

2) Toute mesure pertube le système observé d'une façon incontrolable dans certaines limites. Pour qu'il y ait mesure, il faut qu'il y ait interaction entre le système observé et l'appareil de mesure. Si cette interaction renseigne sur un aspect du système, elle le perturbe également sous d'autres aspects, qui ne sont pas mesurables car ils nécessiteraient, à cause du premier point, un autre appareillage.

Ce double caractère a été particulièrement bien illustré par N. Heisenberg (1 1) dans son expérience imaginaire du microscope, qui par ailleurs donne une "démonstration" naturelle des fameuses relations d'incertitudes.

Ainsi si l'on veut connaitre la position d'un électron avec une grande précision, il faut l'éclairer avec une lumière de petite longueur d'onde ; les photons composant cette lumière ont alors de grandes impulsions qui perturbent d'autant plus celle de l'électron au moment de l'interaction.


 

(9) I.E. Xodarap : La fonction psi et la "magie" de la mécanique quantique. Revue métapsychique, Parapsychologie n° 18 (1973).

(10) N. Bohr : Physique atomique et connaissance humaine. Paris (1961).

(11) W. Heiseinberg : Les principes physiques de la théorie des quanta. Paris (1972).

 


3) La juxtaposition de ces deux caractères conduit au concept de complémentarité de deux mesures, et plus généralement à l'antagonisme essentiel de certains systèmes. Il est paradoxal que cette situation théorique de complémentarité soit totalement assumée par la mécanique quantique dans un domaine (la physique) où elle est contraire à l'expérience naturelle macroscopique, alors qu'elle est loin de l' être par la psycho-biologie et les sciences humaines où elle semble pourtant s'imposer d'emblée à l'observateur (objectif subjectif). Il est vrai que les succès de la biologie moléculaire ont été de nature à éclipser les considérations réitérées de Bohr et Heisenberg sur l'universalité de cette situation, mais en sera-t-il toujours ainsi ?

V - Variations sur le thème : qui a collapsé la fonction d'onde ?

Cette dernière partie un peu plus technique est destinée à montrer

1) En quel sens une mesure quantique perturbe le système observé.

2) Que le fait pour un individu de prendre ou non connaissance du résultat de la mesure est absolument sans conséquence objective sur la suite des évènements, c'est-à-dire indécelable par une quelconque observation.

Cette dernière remarque est à mon sens suffisante pour ruiner les explications du PK fondées sur ce qu'on appelle la réduction de la fonction d'onde, où le sujet lisant le résultat d'une mesure est censé agir sur le système mesuré.

Cette erreur repose d'une part, sur l'identification entre l'objet et sa représentation et d'autre part sur une utilisation impropre du terme agir. J'adopterai la définition pragmatique suivante de l'idée d'agir sur un système : Si j'ai une certaine description de l'évolution (déterministe ou probabiliste) d'un système et si je connais son état passé et présent, je dirai qu'il a subi une action si les observations que je fais ultérieurement sont incompatibles (strictement ou statistiquement) avec les prévisions que j'ai pu établir à partir du modèle d'évolution.

Remarquons que cette définition conduit naturellement à une définition du PK :

1) une action, au sens précédent, sur un certain système.

2) un désir conscient, ou éventuellement inconscient s'il est authentifié ultérieurement.

3) une corrélation manifeste (objective/cas expérimentaux) ou symbolique (subjective/cas spontanés) entre 1 ) et 2).

 

1) Action de la mesure en mécanique quantique.

Pour mettre en évidence une telle action, il faut donc comparer les deux situations suivantes :

a) situation de référence : le système est préparé initialement dans un certain état, connu de l'observateur, et n'est soumis à aucune mesure jusqu'à une observation quelconque de ce dernier.

b) situation de mesure : le système est préparé dans le même état, connu de I' observateur, mais il est soumis à une certaine mesure avant de faire l'objet d'observations de... l 'observateur.

Alors, la mécanique quantique, en accord avec l'expérience, affirme que pour la plupart des mesures possibles effectuées dans la situation b), les observations ultérieures seront statistiquement différentes des observations dans la situation a). Un observateur peut donc déceler dans le cadre précédent, si un système quantique a été à son insu soumis à une mesure.

2) Indifférence de la prise de connaissance de la mesure.

Pour mettre en évidence une action éventuelle associée au fait que quelqu'un prenne connaissance du résultat d'une mesure, il faut comparer les deux situations suivante : 

a) situation de référence : le système est préparé dans un certain état connu de l'observateur, puis il est soumis à une certaine mesure dont personne ne prend connaissance.

b) situation alternative : même chose mais quelqu'un, à l'insu de l'observateur prend connaissance de la mesure, c'est-à-dire lit le résultat, "réduit la fonction d'onde" diront certains.

Alors la mécanique quantique montre que les observations finales dans les situations a) et b) sont exactement les mêmes, autrement dit l'observateur ne peut en rien déceler le fait que quelqu'un ait lu ou non le résultat de la mesure, ce qui revient bien à affirmer que cette prise de connaissance est irrévocablement sans conséquences objectives, ou encore qu'il n'y a pas d'action associée à cette information.

La situation expérimentale du "paradoxe" E.P.R. a été présentée par certains physiciens comme une base physique du psi. Nous allons voir que sur ce plan concret, ces affirmations sont incompatibles avec des données sur lesquelles la majorité des parapsychologues sont d'accord.

1) La situation E.P.R. consiste en une source émettant des paires de particules partant dans des directions opposées et présentant une forte corrélation d'une certaine grandeur mesurable -le spin pour des particules massives comme l'électron ou le proton- la polarisation pour des photons. Ces sources ne se trouvent pas fréquemment dans la nature et leur mise en oeuvre peut exiger une situation extérieure. Qui ou quoi a l'heureuse idée de disposer une telle source sur l'axe géométrique agent-percipient de sorte que chacun ait une chance de recevoir une des deux particules.

2) Si cela était, comment expliquer que le psi est indifférent aux obstacles physiques puisqu'il suffit d'écrans très modestes pour arrêter les particules émises de la source et supprimer ainsi toute mesure et toute corrélation ultérieure.

3) Si néanmoins, il n'y avait pas d'obstacle dans le vide par exemple, comment le sujet psi reconnaîtrait la bonne particule venant de la source dans le flux continuel auquel il est soumis ? Cet argument du bruit de fond avait également été soulevé contre la théorie radioélectrique de l'E.S.P.

4) En supposant que le sujet psi reconnaisse cependant la bonne particule -ce qui constituerait d'ailleurs une forme de clairvoyance- quel est l'organe sensoriel susceptible de mesurer le spin d'un électron ou la polarisation d'un photon ?

5) Si un tel organe existait, il serait de dimension donnée -à l'intérieur du sujet psi- Donc pour une source initiale fixée, les coups aux buts, chez l'agent et chez le percipient, ne pourraient que décroître avec la distance, ce qui est incompatible avec l'indifférence du psi vis-à-vis de l'espace.

 

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