FOREPP 1979
THEORIE EN PARAPSYCHOLOGIE ET EFFET D'EXPERIMENTATEUR
par P. Michel
Revue de Parapsychologie n°8, octobre 1979
I- Tout est-il "mécanique ", ou bien y a-t-il "quelque chose de plus" ?
En parapsychologie, comme dans la plupart des sciences, deux motivations de recherche, soutenues par deux conceptions du monde, s'affrontent.
La première veut savoir "comment ça fonctionne", "comment ça marche". Pour elle, tout est mécanisme, et le problème est de décrire le mieux possible ce mécanisme, aussi compliqué soit-il. Sa maxime est : "Le réel est rationnel ". Vérité absolue ou hypothèse de travail, cette maxime est pour elle nécessaire à la production scientifique, car elle assure le chercheur que son travail de rationalisation de la réalité ne sera pas vain, et que si la solution lui échappe, c'est seulement que ses outils ne sont pas assez perfectionnés.
La deuxième soutient au contraire que certains phénomènes ne sont pas des mécanismes, qu'ils possèdent quelque chose qui "transcende la matière ". Le travail du scientifique n'est alors pas d'approfondir la description de mécanismes condamnés à lui échapper, mais de mettre en évidence le caractère transcendant de ces phénomènes, de montrer à tous des phénomènes qui échapperont pour toujours à la science.
Il est remarquable de constater que des découvertes importantes ont été faites par les tenants de chacune de ces deux positions. Les exemples pour la première étant abondants, ,je me contenterai de citer, pour la deuxième, l'exemple de Pasteur.
Pasteur s'opposait aux autorités scientifiques établies qui croyaient à la génération spontanée. Il voulait prouver que la vie avait "quelque chose de plus que la matière". Il n'avait pas tort : la vie possède bien des propriétés complexes qui rendent impossible son apparition spontanée dans un milieu stérilisé.
En ce qui concerne le statut que chacun donne à sa position, les tenants du "quelque chose de plus " et certains tenants du "mécanique" pensent que la défense de leurs positions est indissociable de la pratique de la science. Mais d'autres tenants du "mécanique " rejettent le problème dans la philosophie et soutiennent que même si la concurrence entre les deux positions est un des moteurs de la recherche, la science ne peut se donner pour but de les départager. Pour eux, quelle que soit l'efficacité d'une conviction philosophique dans sa recherche, le chercheur n'a pas le droit de se prévaloir de son travail scientifique pour légiférer dans le domaine métaphysique. Certains accordent cependant à la science le droit de prendre cette problématique elle-même pour sujet d'étude, dans les cadres d'une part de l'étude de son évolution historique, de sa fonction dans la société, des intérêts qu'elle sert, et d'autre part de l'analyse du désir qui se cache derrière les fantasmes du " mécanique ou du " quelque chose de plus " .
Je ne veux pas approfondir ici davantage l'étude de ces deux positions, mais faire seulement trois remarques et développer la dernière.
La première remarque porte sur un ensemble d'opinions et de comportements qui me paraissent nuisibles à la science et que je regrouperai sous le terme d'idéologie de la paresse. L'idéologie de la paresse affirme que la science n'a plus grand chose à découvrir. On la rencontre chez les partisans des deux positions. Ainsi, à la fin du XIXè siècIe, queIques dizaines d'années avant la théorie de la relativité et de la mécanique quantique, a été affirmé que les générations futures n'auront plus qu'à pousser de quelques décimales la détermination des constantes universelles. L'idéologie de la paresse est souvent partagée par les autorités scientifiques établies, elle étaye le conservatisme, préfère les modifications de détail des édifices théoriques aux changements radicaux de la façon de concevoir les choses. C'est évidemment elle qui pousse les chercheurs à se tenir à l'écart de la parapsychologie. Mais on la retrouve aussi parmi les parapsychologues, qu'ils soient désabusés, ou bien que, défenseurs de la position du " quelque chose de plus ", ils ne voient pas la nécessité d'étudier sur un plan autre que philosophique un problème qu'ils pensent définitivement hors de portée de la recherche scientifique. En l'absence de théorie unificatrice, la diversité et la complexité apparente des événements psi conduisent à juste titre beaucoup de parapsychologues à des remises en causes de certains des concepts de base de la pensée de notre temps. Mais ces parapsychologues participent à l'idéologie de la paresse quand ces remises en cause débouchent non sur l'élaboration de nouveaux concepts opératoires mais sur une approche purement métaphysique où connaissance révélée, compréhension intuitive et contemplation mystique de l'harmonie du monde prennent la place de l'analyse scientifique.
La deuxième remarque concerne les motivations des partisans du "quelque chose de plus". Ceux-ci désirent lutter contre les prétentions totalitaires de la science en exhibant un phénomène qui lui échappe. 0r,c'est une chose d'affirmer qu'il ne pourra jamais y avoir ce science totale englobant tous les phénomènes et que, quel que soit le degré d'avancement de la science, on pourra désigner un nouveau phénomène qui à ce niveau lui échappe. C'est une autre chose de désigner maintenant un phénomène qui échappera toujours à la science, quel que soit son degré d'avancement. Cette dernière démarche vise à une démonstration d'impossibilité. Certes, il serait péremptoire d'affirmer que de telles démonstrations n'existent pas. Chacun connaît les démonstrations qui ont été faites jadis de l'impossibilité de décoller pour un "plus lourd que l'air". Ce que l'on sait moins, c'est que ces démonstrations n'ont pas été invalidées par la naissance de l'aviation, car elles ne concernent que des engins mûs par des machines à vapeur. Mais il n'en reste pas moins vrai que ceux qui se sont appuyés sur ces démonstrations pour conclure à l'impossibilité de l'avion en négligeant la possibilité d'invention d'un moteur plus efficace que la machine à vapeur, se sont trompés. Ainsi, il convient d'être prudent quand on énonce un résultat d'impossibilité, quand on affirme qu'il sera à tout jamais impossible à la science de décrire efficacement tel ou tel phénomène.
La dernière remarque concerne l'utilisation que certains défenseurs du "quelque chose de plus" font des événements psi pour "prouver" leurs convictions philosophiques ou religieuses. Il me semble que l'effet d'expérimentateur rend ces preuves à la fois tout à fait possibles, et fort peu probantes.
II - L'effet d'expérimentateur.
Tout compte-rendu d'expérience ou d'enquête nécessite la présence d'un personnage, l'expérimentateur ou l'enquêteur. Ce personnage essaye en général de s'effacer devant les faits, pour laisser parler ceux-ci, lui-même n'étant plus qu'un simple scribe, puis de s'effacer devant ce qu'ont dit les faits, lui-même n'étant plus qu'un spectateur qui peut s'exclamer dans la conclusion du compte-rendu que : "les faits parlent d'eux mêmes". Or ce personnage, c'est lui qui a décidé d'étudier les faits, de les décrire à l'aide de son langage, d'effacer le mieux possible sa présence de cette description, et de présenter son œuvre à I'appréciation de ses semblables.
Il est omniprésent, et on devra s'attendre à ce que sa production intellectuelle reflète la culture de son époque, ses opinions et préoccupations personnelles, et ses préjugés vis-à-vis des faits qu'il décrit, que cette description soit facilement compréhensible ou utilise des modèles mathématiques sophistiqués. Ces remarques sont valables même pour des faits physiques, pourtant réputés pour leur indépendance vis-à-vis de ceux qui les étudient, et pour le caractère universel des descriptions qu'on en fait. Comme l'a montré Kuhn (1), cette réputation est imméritée : dans un même "fait" physique aussi simple que le balancement d'un pendule, deux chercheurs différents comme Aristote et Galilée peuvent voir deux phénomènes différents. Kuhn insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas de deux interprétations de la même observation, mais de deux visions du monde, guidées par deux paradigmes différents.
Pour des faits où un comportement ou un témoignage humain prennent une place importante, il est capital de tenir compte de ceux qui participent à ces faits et de celui qui les rapporte. Ceci est bien connu en psychologie, où l'étude de l'influence de l'expérimentateur s'est considérablement développée.(2)
En parapsychologie, on gagne à ne pas restreindre l'étude de telles influences à la seule situation de la recherche expérimentale en laboratoire. Sous le terme d'effet d'expérimentateur, il convient de regrouper l'ensemble des corrélations remarquées entre des événements psi et des désirs de parapsychologues. Les effets d'expérimentateur ainsi rassemblés sous une telle définition élargie peuvent être empiriquement classés selon qu'ils se rencontrent dans le domaine de l'expérimentation en laboratoire, de l'enquête sur un cas spontané ou de la théorie, et selon qu'ils sont ou non, en eux-mêmes, des événements psi. Par exemple, à côté de corrélations, pouvant relever de la critique classique des expériences d'éthologie ou de psychologie, entre la réussite d'une expérience et la confiance de l'expérimentateur en cette expérience, on a trouvé des corrélations moins classiques entre la réussite de l'expérience et l'humeur d'une simple assistante de l'expérimentateur.(3) Autre exemple : un ufologue enquêteur peut, par les questions qu'il pose, orienter un témoignage dans le sens qui satisfait son désir, quand bien même il méconnaîtrait ce désir. Mais il arrive aussi que l'ufologue médusé voie, sans effort de sa part, lui tomber dessus des témoignages allant dans le sens de son désir.(4)
Je voudrais surtout insister sur ce qu'il en est de l'effet d'expérimentateur dans le domaine de la théorie. L'effet d'expérimentateur est dans ce domaine un outil de prédilection pour la critique des théories adverses. Il permet l'invalidation des "preuves" avancées par les adversaires . L'exemple typique en est l'utilisation pour la critique du spiritisme.(5) Mais, trop souvent, le même auteur qui dénonce un effet d'expérimentateur dans les preuves, expérimentales ou provenant d'enquêtes, souvent fort subtiles, de l'adversaire, n'a aucun scrupule à présenter comme concluantes ses propres preuves. Ainsi, dans l'immense collection des cas spontanés et des expériences de laboratoire, un choix judicieux de ce qui est "preuve" et de ce qui est "effet d'expérimentateur" permet à chaque parapsychologue d'élaborer une théorie selon ses convenances personnelles, c'est à dire en fait selon ses convictions religieuses ou ses préjugés philosophiques. Et les discussions entre parapsychologues, qui semblent porter sur des faits ou des déductions découlant immédiatement des faits, ne sont alors que des paravents derrière lesquels se cachent les thèses du "mécanique" et du "quelque chose de plus".
Face à l'événement psi allant dans le sens de sa conviction la plus intime, de son préjugé le plus tenace, ne pas crier à la "preuve" est dur, mais nécessaire si l'on veut échapper à l'accusation d'effet d'expérimentateur. L'église, que ses prétentions d'universalité incitent à la prudence, l'a compris quand elle a fait des événements psi qui l'intéressent les miracles, de simples manifestations de Dieu et non des preuves de son existence.
Ainsi il me semble que le parapsychologue qui veut éviter les pièges de l'effet d'expérimentateur doit d'une part renoncer à tirer d'un événement psi une "preuve", et d'autre part dénoncer, chez ceux qui utilisent les événements psi pour "prouver" une théorie, l'idéologie sous-jacente à cette théorie.
Existe-t-il des résultats contre lesquels on ne peut pas invoquer l'effet d'expérimentateur? A ma connaissance il n'y en a qu'un : l'effet d'expérimentateur lui-même, car l'invoquer pour le critiquer, c'est encore s'appuyer sur lui. Je ne sais pas si cette propriété remarquable qu'a l'effet d'expérimentateur est bien un bon point à mettre à son acquis, car si elle lui confère une sorte de preuve par auto-vérification elle le rend par là même plus difficilement accessible à la dialectique.
Si chacun est plus habile à dénoncer l'effet d'expérimentateur chez l'autre qu'à le trouver chez soi, on peut s'attendre à ce que les effets d'expérimentateur dominants dans la parapsychologie actuelle restent inaperçus. Il me semble que parmi ceux-ci figure en bonne place le "sujet psi".
III - Le sujet psi
Devant un événement psi intéressant le désir d'un individu, certains parapsychologues sont tentés de faire de cet individu le "producteur" volontaire ou involontaire de l'événement psi. Ainsi nait le"sujet psi", beaucoup plus impliqué dans l'événement psi que ne l'était le "médium" des spirites. Il se développe alors un effet d'expérimentateur qui se charge de satisfaire pleinement le désir du parapsychologue. Celui qui enquête sur les cas de petites hantises trouve sur place "l'adolescent habituel".(6)
Celui qui veut expérimenter en laboratoire voit affluer les tordeurs de petites cuillers, plus ou moins "doués". Jusqu'à l'ufologue qui découvre que les témoins d'OVNI sont souvent de remarquables sujets psi. (7)
Dénoncer le sujet psi comme effet d'expérimentateur, c'est renoncer au schéma classique d'un individu produisant un événement psi qui attire alors l'attention d'un parapsychologue. C'est substituer à ce schéma celui du parapsychologue qui voit, en accord avec ses convictions philosophiques, un événement psi comme étant produit par un sujet psi. Cette vision des choses, effet d'expérimentateur classique, est suivie, si elle est soutenue par une collectivité assez nombreuse, d'un effet d'expérimentateur psi consistant en l'apparition de sujets psi. C'est d'un tel processus que relèvent aussi des événements psi déjà considérés par certains comme effets d'expérimentateurs, comme les "preuves" apportées par le spiritisme ou les OVNI de l'immortalité de l'âme ou de la visite régulière d'extra-terrestres.
De multiples événements psi peuvent en théorie donner naissance à une nouvelle école de pensée. Mais un effet d'expérimentateur ne peut prendre des proportions importantes que s'il va dans le sens d'une idéologie partagée par une communauté assez large. De même que le spiritisme doit son essor à une réaction au positivisme du XIXème siècle, la doctrine du sujet psi doit le sien à une réaction à un courant de pensée qui, depuis la dénonciation marxiste de "l'individualisme bourgeois" jusqu'aux , "il y a de la pensée" de Michel Foucault, et "ça parle" de Jacques Lacan, peut se résumer à mon avis en cette phrase de Jacques Lacan : "Le Moi est la théologie de la libre entreprise".
Même si de nombreux parapsychologues prennent un certain recul vis-à-vis de la notion de sujet psi, le fantasme du "surhomme" reste vivace dans la mythologie collective et peut ainsi soutenir toute tentative pour lui donner une assise théorique.
Aussi, dans une perspective de critique des effets d'expérimentateur, il conviendra d'accorder une place importante aux avatars du sujet psi tels qu'ils risquent d'être rencontrés dans les développements actuels de la parapsychologie.
DEBAT SUIVANT L'EXPOSE DE P.MICHEL
Hubert L'ARCHER : Cet exposé a suscité chez moi plusieurs réflexions. Un homme est construit avec des sens, une intelligence et des mains, c'est-à-dire avec une sensibilité, un intellect et une motricité. Sur ce schéma, on peut dire que la théorie est intelligible, c'est le fait du sujet, et que la pratique vise à l'objectivité, d'une part par les informations sensibles, et d'autre part par les actions efficaces. En ce sens la pratique objective repose sur deux colonnes qui sont l'observation et l'expérience, les choses commençant par l'observation et se poursuivant par l'expérience, dans le sens du schéma sensori-moteur qui est le bon sens, celui même de l'arc réflexe. Par conséquent, je pense qu'il serait plus complet et plus logique de distinguer effet d'observateur et effet d'expérimentateur.
Deuxième réflexion : Vous avez parlé de démonstration d'impossibilité. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Démontrer I'impossibilité ou démontrer la possibilité réclament les mêmes efforts expérimentaux et sont donc aussi difficiles. A ce sujet j'ai interrogé Monsieur HELY, polytechnicien, pour lui demander ce que pouvait être un miracle. Et il m'a répondu: "Le possible est possible, le probable est probable, l'extrêmement improbable est extrêmement improbable, l'infiniment improbable n'est pas impossible. Seul l'impossible est impossible. Mais l'infiniment improbable est plus ou moins infiniment peu répétable". Les vrais scientifiques admettent tous les faits et leur plient les théories. Il faudrait que les scientistes nous disent à partir de quel degré d'improbabilité un fait n'est plus scientifique à leurs yeux. Et ici j'en viens à un article récent de Monsieur LURIA, prix Nobel, disant que la parapsychologie étudie des non-faits et des non-phénomènes. Je me demande : qu'est-ce qu'un non-fait, qu'est-ce qu'un non-phénomène ? Et je voudrais que Monsieur LIGNON nous dise à partir de quel degré d'improbabilité un fait n'est plus un fait. Mais il me semble que l'on pourrait aborder le problème du fait qui n'est pas un fait sous un autre angle. On parle de plus en plus de faits scientifiques à côté de faits qui ne le seraient pas. Est-ce qu'il s'agirait de faits subjectifs, ou de faits dans lesquels s'investirait la subjectivité des observateurs ou des expérimentateurs ? C'est là peut-être que l'on pourrait trouver un flou entre l'aspect subjectif et l'aspect objectif de certaines observations ou de certaines expériences. Pour le savant rationnel, ou classique, les faits sont objectifs, la science repose sur le critère d'objectivité de la nature, comme le rappelle Jacques MONOD dans "Le hasard et la nécessité". Alors, si un fait doit être objectif ou subjectif --cela peut être une question d'ailleurs -- si un fait doit être objectif ou subjectif, il est certain qu'un fait qui n'est ni objectif ni subjectif totalement, ou qui est les deux à la fois, n'est pas admissible par la science en tant que scientifique. Et pourtant c'est un fait. Par exemple, je vois un objet :c'est le sujet qui le voit. Qu'est-ce que la vision en soi ? Est-ce un fait ou un non-fait ?
Pascal MICHEL : Les mots "objectivité" et "subjectivité" sont liés à une certaine vision de la science et de l'homme. Il faut savoir que cette vision n'est pas la seule. On peut essayer de modifier cette vision en parlant de dualité, de complémentarité antagoniste objectif-subjectif, mais c'est à mon avis une mauvaise façon de procéder.
On peut aussi rompre plus nettement avec ces notions d'objectif et de subjectif, comme le montrent par exemple les travaux de Kuhn ou de Lacan. Et à mon avis on doit rompre avec elles si on ne veut pas rester dans une impasse.
Hubert LARCHER : Je ne partage pas votre opinion suivant laquelle la distinction de l'objectif et du subjectif doive être considérée comme périmée ou dépassée. Je dirais plutôt qu'à mon sens elle doit être incluse dans une théorie d'ensemble qui les distingue pour les unir, c'est à dire qui détermine non seulement les interactions objectives, ce que fait le bon scientifique, mais aussi un certain nombre d'interactions entre objet et sujet, comme le sont les informations, ou entre sujet et objet, comme le sont les actions, ou entre sujets -- c'est ici le fait du psychologue ou du parapsychologue---,comme le sont les communications normales ou paranormales. Ces rapports d'information, de communication et d'action sont d'abord le fait de la personne humaine. C'est toute la cybernétique des rapports psychosomatiques et somatopsychiques. Et c'est dans cet ensemble que s'inscrit le mythe du surhomme, par lequel vous avez conclu, et qui n'est pas si inefficace que cela, qui n'est pas un simple fantasme, car je pense que ce mythe pourrait bien être au contraire un excellent moteur propre à dynamiser le mécanicien, qui vise à conquérir son milieu par la technique, comme le mystique qui vise à évoluer par le dedans.
Pascal MICHEL : Je me bornerai ici à constater mon désaccord avec le Docteur LARCHER.
Pierre JANIN : Comme le docteur LARCHER, je ne pense pas qu'il faille abandonner les notions de subjectif ou d'objectif.
D'autre part je crois néanmoins comprendre le point de vue de Pascal MICHEL en ce qui concerne l'effet d'expérimentateur appliqué à des notions de base en parapsychologie, ou du moins considérées comme de base, comme par exemple celle du sujet psi. Mais je regrette simplement que cette vision des choses ne comprenne pas une annexe qui nous dise quoi faire en pratique, parce que, personnellement, j'ai envie de travailler.
Pascal MICHEL : J'ai tout de même dit dans mon intervention qu'il restait du travail. Notamment celui de chercher derrière chaque description d'événement psi la prise de position sous-jacente du parapsychologue, l'idéologie qui la commande, la mythologie collective qui la soutient. Et cela fait du travail, car si, par exemple, j'ai déjà lu nombre de critiques du spiritisme ou de l'explication extra-terrestre des OVNI, je n'ai jamais lu, en parapsychologie --car évidemment la notion même de sujet est critiquée par ailleurs --, en parapsychologie donc, je n'ai jamais lu une critique du sujet psi en tant que reflet des conceptions dominantes de notre époque.
Je n'ai jamais vu des parapsychologues faire une critique des distinctions faites entre objet et sujet, et de tout ce qu'a très bien rappelé le docteur LARCHER : liens entre théorie, observation et expérience, entre communication, information et action.
Il y a donc du travail à faire. Sans compter les phénomènes parapsychologiques qui cachent des conceptions idéologiques dont je ne me suis pas rendu compte parce que j'y adhère moi-même.
Alain de FOMBELLE : Une première remarque : vous avez opposé ce que vous appelez la compréhension intuitive, ou la compréhension mystique, à la méthode d'approche expérimentale scientifique, et vous avez pris comme critère le fait que la méthode d'approche devait montrer son efficacité. Or il me semble que c'est notre histoire culturelle qui nous a amenés à considérer une méthode comme plus efficace qu'une autre.
La méthode d'approche expérimentale scientifique s'est montrée plus efficace jusqu'à maintenant, mais il n'est pas démontré qu'elle le restera. Il est possible que d'autres méthodes d'approche deviennent nécessaires et plus efficaces dans l'avenir.
Deuxième remarque : cela me semble un faux problème de trop parler de l'effet d'expérimentateur. Il faut avoir clairement à l'esprit présent le fait que tous nos concepts, toute notre vision de l'univers sont en eux-mêmes un effet d'expérimentateur. Le langage, nos images, les façons de parler et de décrire sont un effet d'expérimentateur. Donc on ne pourra jamais l'éliminer. Ce qui serait peut-être plus efficace et plus utile, c'est de chercher dans quelle mesure, dans quel pourcentage, cet effet d'expérimentateur intervient. En liaison avec la potentialisation et l'actualisation des faits, peut-être, c'est une hypothèse, que quand on a des faits physiques ou matériels réels, l'effet d'expérimentateur est minime, alors que quand les faits matériels sont peu importants, l'effet d'expérimentateur, l'effet psychique, devient majoritaire.
C'est une hypothèse.
Troisième remarque : je ne vois rien d'étonnant à ce que l'on ait constaté que tous les observateurs d'OVNI soient des sujets psi, car les expériences et les recherches qui ont été faites tendent à montrer que tout le monde est potentiellement un sujet psi.
Dernière remarque : vous semblez dire que notre société veut des sujets psi. C'est vrai dans la mesure où cela vient à la mode, où cela passe dans le langage, où tout le monde fait des recherches dessus. Mais il me semble quand même que le sujet psi, appelé autrement, existait avant que l'on ait créé le vocable. Il ne faut pas voir les choses dans le sens contraire de la réalité historique.
Pascal MICHEL : Je réponds à ce dernier point. On pourrait dire de la même façon que le spiritisme existait avant la grande vague du XIXème siècle, et les extra-terrestres avant les soucoupes volantes du XXème siècle. Je n'ai pas dit que l'effet d'expérimentateur provoquait la naissance du sujet psi. L'effet d'expérimentateur ne fait qu'amplifier certains événements jusqu'au niveau d'un phénomène social de vaste envergure. Cette amplification ne peut se faire que si elle est soutenue par une mythologie collective. Disons que, parmi toute une multitude événements bizarres, il y a sélection de certains de ces événements, qui sont décrits conformément aux conceptions de l'époque, et qui deviennent un phénomène social si cette description est soutenue par une mythologie collective.
Alain RIBARD : Juste une remarque : j'aimerais que ceux qui parlent de science disent en même temps de quoi ils parlent exactement, parce que j'ai l'impression que là, il y a beaucoup de violons à accorder.
Christian MOREAU : Je me demande si Pascal MICHEL n'a pas tendance à mettre sous le terme d'effet d'expérimentateur des phénomènes qui, en fait, n'ont pas grand chose à voir les uns avec les autres.
D'abord, il faut bien distinguer le paradigme de KUHN de l'effet d'expérimentateur. Toute la science, tout raisonnement est basé sur des paradigmes. On ne peut marcher qu'à coups de paradigmes. Il faut bien que l'on ait des paradigmes pour articuler notre pensée. D'autre part, étant donné le paradigme de l'expérimentateur, il est possible que ce paradigme influe, dans une certaine mesure qu'il faudrait déterminer, sur les résultats expérimentaux ou cliniques qu'obtient l'expérimentateur. L'effet d'expérimentateur, c'est cette influence qu'a le paradigme sur les résultats obtenus.
Deuxièmement, l'effet d'expérimentateur lui-même est quelque chose d'hétérogène dans sa nature. Les travaux de ROSENTHAL ont montré que l'effet d'expérimentateur en psychologie pouvait tenir à tout un tas de causes, de mécanismes. Si on adhère à la parapsychologie, on peut penser que des phénomènes psi interviennent dans cet effet d'expérimentateur. Mais dire que tout est effet d'expérimentateur revient à s'interdire de porter un jugement critique sur une étude expérimentale ou clinique.
Par exemple peut-on appeler effet d'expérimentateur la fraude de LEVY dans les expériences de précognition chez la souris du laboratoire de RHINE ? Englober sous le terme d'effet d'expérimentateur des tas de concepts, y compris par exemple celui de fraude, cela revient à en faire un terme inutilisable, qui n'a plus aucune valeur heuristique.
Pascal MICHEL : En ce qui concerne ces dernières remarques sur la définition même de l'effet d'expérimentateur, on peut élargir ou restreindre cette définition ou différencier comme le faisait le Docteur LARCHER au début de cette discussion, effet d'observateur et effet d'expérimentateur. Ce que je pense c'est qu'on gagne, en parapsychologie, à étudier ensemble toutes les corrélations remarquées entre des événements psi et des désirs de parapsychologues. Ce sont ces corrélations que j'appelle "effet d'expérimentateur" en parapsychologie. Il est possible que ce terme d'effet d'expérimentateur soit ici mal choisi, puisqu'il prête à confusion avec l'emploi, dans un sens plus restreint, qu'on a l'habitude de faire de ce terme, en psychologie par exemple.
X.... : Une remarque sur les rapports entre phénomène OVNI et sujets psi. J'ai personnellement interrogé un bon millier de témoins, et je peux produire autant de témoins qui sont des sujets psi que de témoins qui ne sont pas du tout des sujets psi, absolument pas des sujets psi.
D'autre part, vous avez parlé d'amplification d'un phénomène. Je voudrais faire deux remarques à ce sujet, dans le cas particulier du phénomène OVNI. D'abord, les travaux de POHER montrent que si on compare deux courbes, la courbe des dates d'observation d'OVNI dans la vague de 54,et la courbe des publications dans les journaux de ces mêmes observations, on constate que ces courbes sont décalées. C'est à dire qu'il y a plus d'observations d'OVNI au moment où les journaux n'en parlent encore pas, que quand les journaux font un grand battage : à ce moment là on commence déjà à moins en voir. Je n'appelle pas cela un effet d'amplification.
Deuxième remarque :si on voulait avoir vraiment un effet d'amplification qui soit acceptable, il faudrait que le public soit vraiment informé de tout ce qui se passe dans le phénomène OVNI. Or, les cas les plus importants ne sont pas connus du public.
Et, dans certaines affaires, on trouve des détails bien spécifiques dont le témoin ne pouvait pas avoir connaissance. Il ne peut donc s'agir d'une amplification de quelque chose qui s'est déjà passé et que le témoin aurait connu par les médias.
Pascal MICHEL : C'est bien pourquoi j'ai parlé d'effets d'expérimentateur psi à côté d'effets d'expérimentateur classiques comme l'est l'amplification par les médias.
REFERENCES
(1) Thomas S. KUHN : The structure of scientific revolutions, The University of Chicago Press, 1969. (Traduction française : La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1972).
(2) On trouvera des références dans : Paul GRINOU : L'expérimentateur, sujet d'expérience, in La RECHERCHE, n°69, juillet-août 1976, p.678.
(3) Karlis OSIS, MaryLou CARLSON : The ESP Channel - open or closed ? in JASPR, Vol.66, n°3, juillet 1972, pp. 310-319.
(4) Pierre VIEROUDY : Ces OVNI qui annoncent le surhomme, Tchou, 1977, p. 161.
(5) René SUDRE : Traité de parapsychologie, Payot, 1978, p. 99 sq.
(6) Robert TOCQUET : Les mystères du surnaturel, J'ai lu A 275, 1963, p. 139.
(7) Pierre VIEROUDY, op. cit., p. 125 sq.
(8) Jacques LACAN : Ecrits, Seuil, 1966, p. 335.
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