par Pascale Catala,
Les NDE (Near Death Experiences) ou EMI en français (Expériences
de Mort Imminente) ont été popularisées depuis une vingtaine
d'années, surtout aux Etats-Unis où elles font maintenant partie
des lieux communs, et dans une moindre mesure en France où elles suscitent
encore nombre polémiques.
Rappelons qu'il s'agit d'expériences relatées a posteriori par
des sujets ayant été à l'agonie ou dans le coma, plus généralement
dans un état de santé critique où leurs fonctions vitales
étaient gravement atteintes (insuffisance cardiaque ou respiratoire,
EEG plat, etc.). Ces sujets font état d'un vécu riche, difficilement
communicable, teinté très positivement pour la plupart. Alors
que les témoignages se multiplient, les implications métaphysiques
de ces phénomènes inspirent de nouvelles théories ou croyances
sur la nature de la conscience, le rapport corps/esprit, l'"après-vie",
déchaînant des polémiques entre tenants du matérialisme
pur et dur et partisans d'un dualisme spiritualiste.
Dans cet article nous proposons de réexaminer les EMI en mettant en lumière
l'imaginaire extrêmement riche lié à ce phénomène.
Caractéristiques des EMI
L'expérience proprement dite regroupe plusieurs phases (qui ne se retrouvent
pas toutes chez tous les sujets). Je reprendrai ici la classification de Daniel
Maurer en 11 étapes :
1/ Diagnostic de "mort"
Suite à un traumatisme physique sévère, le sujet perd conscience
et rentre dans le coma. Cependant, il réalise qu'il est mort, quelquefois
en ayant conscience du diagnostic posé par les médecins qui ont
essayé de le sauver ou qui l'entourent en salle de réanimation.
Ex : "On ne peut plus rien pour lui, il est mort".
2/ Bien-être
Il y a totale disparition de la douleur : les malades en phase terminale qui
ont souffert dans leur corps pendant de longues semaines, ou les accidentés
qui ont subi un choc incroyablement douloureux, sont instantanément et
complètement libérés de leurs contraintes corporelles.
Le corps, vécu comme véhicule de la souffrance, semble être
"déconnecté" de l'instance pensante, la conscience.
Une sensation de bien-être, de calme et de paix envahit le sujet. L'enveloppe
corporelle, atrocement abîmée, lamentable, n'est plus vécue
comme le support de la pensée.
3/Vécu auditifs
Sons agréables (musiques…) ou quelquefois désagréables.
Ou bien sensation de silence absolu.
4/ Décorporation
Le sujet a l'impression de flotter à distance de son corps, le plus souvent
au-dessus. La conscience semble "détachée", libre, elle
peut "voler", traverser murs et toits. Il y a prise de connaissance
sensorielle de l'environnement (salle d'opération, hôpital, personnes
sur les lieux de l'accident, etc.) qui peut concerner tous les sens (sauf le
toucher) mais principalement la vision. La vision est très spéciale
: il y a conscience à la fois de l'ensemble et des détails, des
éléments proches et très éloignés ; on parle
de "vision à 360 °" ; même les aveugles de naissance
"voient" . Il peut y avoir acquisition paranormale d'information,
c'est-à-dire que les sujets relatent des événements qui
se révèlent exacts après vérification (détail
de l'appareil de réanimation, etc.)
5/ Parcours dans un lieu sombre
Le plus souvent, il s'agit d'un tunnel ou d'un entonnoir. Cette phase est souvent
vécue comme inquiétante, mais le tunnel lui-même apparaît
comme tout à fait réel.
6/ Rencontre avec des "présences"
Le sujet ressent la présence d'êtres décédés
ou de "guides" qui donnent du sens à son aventure.
7/ Lumière
Ascension vers une lumière incroyablement attirante, ou un être
de lumière.
8/ Fusion dans la lumière
et amour inconditionnel
Il peut y avoir sensation de fusion avec le cosmos et de savoir universel. La
plupart du temps, cette fusion dans la lumière est vécue comme
une rencontre avec une entité spirituelle, le plus souvent non personnifiée,
mais pouvant dans certains cas être identifiée à Jésus,
Bouddha, la Vierge, Allah, etc.
9/ Panorama de vie et jugement
Le sujet assiste à une revue de sa vie où la notion de temps disparaît
pour faire place à la notion d'enchaînements de causes et effets.
Une présence quelquefois ironique mais bienfaisante commente et accompagne
cette revue critique. On a ici une idée de morale absolue, universelle,
qui permet d'évaluer parfaitement tous les événements de
la vie passée.
10/ Point de non-retour
Apparaît alors une frontière, réelle, imagée ou symbolique
(une rivière, un pont …) et l'injonction de faire un choix : continuer
vers la lumière ou revenir dans son corps. Les sujets réalisent
alors qu'ils ont encore beaucoup d'événements à vivre sur
terre et choisissent de revenir. La "reconnexion" avec le corps est
très pénible, et perçue comme un rétrécissement,
une viscosité, avec une réduction du champ perceptif et des capacités
intellectuelles. Le corps est ressenti comme trop étroit, limité,
pesant, douloureux, une enveloppe de souffrance, un "vêtement trop
petit", un corps-prison. Psychologiquement, la conscience elle-même
paraît également "à l'étroit".
11/ Changements de comportements
ultérieurs
Revenus de leur coma, les sujets racontent leur expérience mais se heurtent
souvent à l'incompréhension. Dans leur vie apparaît un changement
complet de philosophie, d'attitude existentielle. Le plus souvent, les personnes
deviennent plus humanistes, ont soif de connaissances, n'ont plus peur de la
mort.
LES ENJEUX DE LA RECHERCHE
1 - Bref historique
Les premiers scientifiques à s'intéresser au phénomène
EMI ont été Albert Heim et Sir William Barrett. Heim a recensé
des cas d'alpinistes ayant fait des chutes de montagne, et a révélé
la clarté d'esprit et la revue de vie panoramique qui pouvaient advenir
dans ces circonstances ; Barrett étudia dans une optique spirite les
visions de décédés que pouvaient relater certains patients
gravement atteints ou revenus du coma. Dans les années 60, Osis et Haraldsson,
également connus pour leurs travaux de parapsychologie, étudièrent
les apparitions de décédés dans les instants précédant
la mort, toujours dans une perspective survivaliste. Cette première étude
statistique de grande ampleur du vécu de la conscience spécifique
de l'agonie évitait toutefois les références explicites
à la théorie spirite.
Après quelques autres essais isolés, ce fut le philosophe et médecin
Raymond Moody qui inaugura vraiment la recherche sur les EMI par la publication
de son étude dans un ouvrage nommé "La vie après la
vie" , et dont le titre même révèle l'hypothèse
sous-jacente d'une forme de survie de la conscience. C'est à Moody que
l'on doit la classification paradigmatique de l'EMI en différentes phases.
On voit donc que la recherche sur ce domaine a été initiée
par des recueils de témoignages à tendance apologétique
de la survie après la mort, enquêtes à retentissement phénoménal
auprès du grand public. On ne s'étonnera donc pas des attaques
et critiques matérialistes qui ont suivi, juste retour de balancier.
Plus tard, le psychiatre Kenneth Ring et également le cardiologue Michel
Sabom ont eux aussi conduit des enquêtes indépendantes sur des
patients ayant approché la mort. Ils trouvèrent tous deux, bien
que par des méthodes différentes, un taux d'EMI d'environ 40 %
parmi les expériences relatées par les ex-comateux. Dans ces études,
alors que K. Ring s'est intéressé avant tout à l'aspect
clinique, émotionnel et perceptif, Sabom lui s'est attaché à
vérifier les connaissances que pouvaient avoir acquis les malades des
appareils de réanimation lors de la phase de "décorporation"
(vérification qui s'est révélée positive). D'autres
travaux comme ceux de Melvin Morse (avec des enfants) et d'Elisabeth Kübler-Ross
sont restés célèbres. Aux Etats-Unis, le sujet "NDE"
est fréquemment choisi pour les mémoires de fin d'études.
En France, seules huit thèses de médecine ont été
soutenues sur les EMI, mais il faut signaler l'existence de IANDS-France, organisme
enquêtant sur le sujet. Enfin, les récentes expériences
du cardiologue néerlandais Van Lommel, publiées dans "The
Lancet", ont remis les EMI à la mode. Le taux d'EMI trouvé
parmi les comateux étudiés par Van Lommel est cette fois de 18%.
Le professeur conclut après cette enquête de huit années
: "Cette expérience extrême nous oblige à repenser
la localisation de la conscience. Est-elle vraiment dans le cerveau ?"
On peut donc constater que, bien
que conduits par des scientifiques reconnus, ces recueils de témoignages
ne sont jamais vraiment effectués indépendamment de l'interprétation
sous-jacente concernant le problème ontologique de la survivance, le
"voyage de l'âme".
A la mort-néant, conception implicitement acceptée par nos civilisations
occidentales, ils veulent opposer la mort-passage, idée autrement plus
attirante pour notre psychisme ayant du mal à concevoir la disparition
définitive de notre précieux Ego.
2 - La position des matérialistes
La réaction des scientifiques
matérialistes a été immédiate : ils ont commencé
par contester la sincérité des témoignages en parlant de
fabulation ou de déformation des faits, de mythomanie collective. Puis
sont apparues les comparaisons avec les maladies mentales (épilepsie,
dépersonnalisation, psychoses délirantes, héautoscopie,
schizophrénie, etc.) qui évidemment ne cadraient pas avec les
récits étant données les différences entre les symptômes
psychiatriques connus et le vécu d'EMI. On invoqua ensuite les "explications"
psychologisantes (désir ou certitude d'immortalité, reviviscence
de la naissance) qui, bien que plausibles, ne pouvaient rendre compte à
elles seules de l'existence d'un tel phénomène. Actuellement ces
types d'explications ne sont plus invoqués que par les "pro-NDE"
comme contre-exemples, pour les balayer en montrant leurs absurdités.
Enfin, depuis une quinzaine d'années, à l'ère du déploiement
des neurosciences, les hypothèses concernant le dysfonctionnement cérébral
foisonnent (dus au choix à l'hyperoxie ou l'hypoxie, aux drogues anesthésiques,
à la production d'endorphines lors d'un stress majeur, à l'hypercapnie,
à la libération d'hypothétiques endopsychosines analogues
à la kétamine, …).
On peut remarquer d'ailleurs à quel point ces hypothèses sont
emblématiques d'une pensée réductionniste. Certes, la démarche
cartésienne amène le scientifique à décomposer un
problème important en plusieurs petites parties plus faciles à
comprendre. Mais un scientifique qui, après avoir trouvé une explication
plausible au sein de son propre champ disciplinaire à l'une de ces parties,
prétend avoir élucidé la totalité d'un phénomène
et lui avoir ôté tout caractère énigmatique, se place
incontestablement dans une position réductionniste. Il y a là,
à la fois un besoin irrépressible de réaffirmation du matérialisme,
et une hostilité envers les "énigmes" de toutes sortes,
mais plus encore celles pouvant être utilisées par les partisans
du spiritualisme. Au lieu de s'interroger sur le phénomène et
d'essayer de le décrire et de le cerner du mieux possible, le scientifique
matérialiste verra un enjeu majeur en l'exposition hâtive d'une
théorie mettant en jeu le cerveau et ses illusions (puisque pour lui
rien n'existe d'autre que le cerveau). Ayant montré qu'un cerveau d'un
comateux subit des transformations électro-chimiques capables d'induire
des hallucinations , il pense avoir ainsi réduit à néant
toute prétention d'attribution de valeur ontologique au vécu des
EMI. Il s'attachera donc à l'étude approfondie du métabolisme
du cerveau en situation de stress, ainsi que des voies neuronales et sensorielles,
et cela pourra aller très loin puisqu'on va jusqu'à "expliquer"
l'apparition du "tunnel" par des actions différentielles sur
les cellules rétiniennes.
On peut remarquer que l'hypothèse du "tout onirique" n'a en
vérité pas besoin d'être justifiée par tous ces détails
neurologiques, dont l'abondance n'est symptomatique que d'un présupposé
positiviste matérialiste. Selon cette hypothèse, le vécu
de l'EMI pourrait correspondre simplement aux rêves provoqués en
général par un processus d'agonie et reflétant une conception
innée, profondément archaïque, de l'au-delà. Si l'on
fait un parallèle avec le rêve nocturne : on ne peut prouver que
le contenu du rêve nocturne ne correspond pas à un "voyage
réel", simplement en analysant les zones du cerveau activées
ou les tracés EEG. Ce n'est que par recoupement du contenu de rêve
avec la réalité de veille que l'on fait une distinction rêve
subjectif/réalité. Cette distinction est d'ailleurs très
dépendante des préjugés culturels puisque dans les "Dream
Cultures", on considère l'expérience du rêve nocturne
comme une réalité.
Il est certain que plusieurs traits des EMI ressemblent d'assez près
aux effets constatés de certaines substances sur le cerveau, ou à
des stimulations de zones cérébrales spécifiques : analgésie,
sentiment de bien-être, déconnexion sensorielle, visions lumineuses,
sentiment de toute-puissance, sentiment de décorporation …
Cependant, quand on envisage sans a priori la globalité du phénomène,
il est facile de se rendre compte que l'action de ces substances chimiques sur
le cerveau ne peut pas fournir d'explication complète de tout ce qui
est ressenti : grande joie intérieure/sérénité,
visions cohérentes et générales, extrême sensation
de réalité, acquisition paranormale d'information, effets transformateurs
à long terme … De plus, on ne constate pas dans tous les cas d'EMI des
apports (ou déficits) de ces substances (kétamine, gaz carbonique,
oxygène, morphine, etc …). Ce sont donc principalement sur ces points
que les spiritualistes construiront leur contre argumentation.
3 - La riposte des spiritualistes
L'enjeu des spiritualistes est de montrer que la conscience n'est pas simplement
un épiphénomène de l'activité cérébrale,
mais a également une activité et une existence autonomes (âme,
esprit, périsprit, corps astral, etc., selon les tendances). Il faut
donc parvenir à la démonstration de l'existence de phases d'indépendance
cerveau/conscience, et quelle meilleure occasion que ces instants de "mort
cérébrale" où le cerveau n'est plus fonctionnel mais
où les patients rapportent un vécu psychique ?
A noter qu'en toute rigueur, il est impossible de démontrer cette indépendance
cerveau/conscience : d'une part, l'imperfection de nos instruments de mesure
ne permet pas d'affirmer, tant que le sujet n'est pas mort, que l'activité
cérébrale est inexistante ; d'autre part, on ne peut conclure
avec certitude à la simultanéité du vécu de la NDE
et de l'activité minimale du cerveau.
Pour montrer que la thèse
exclusivement onirique ne tient pas, les spiritualistes invoquent surtout la
phase de "décorporation" des EMI, c'est-à-dire celle
où, bien que les systèmes sensoriels ne fonctionnent plus, le
sujet peuvent prendre connaissance d'informations de leur environnement. A ce
propos, les témoignages les plus fréquemment cités, parce
qu'ils ont mis en jeu plusieurs personnes et ont été (plus ou
moins) vérifiés, sont ceux de malades ayant aperçu pendant
leur EMI des chaussures dans des lieux inattendus (rebord de fenêtre ou
toit de l'hôpital). Ce que K. Ring commente en ces termes : "Je me
demande qui s'amuse à disposer ainsi des chaussures dans les endroits
les plus incongrus des hôpitaux pour déranger le corps médical
!". M. Sabom, lui, rapporte un cas où le patient a affirmé
qu'un des chirurgiens n'avait pas de chaussons et avait reçu du sang
sur une de ses chaussures.
Etranges démonstrations, donc, qui font dépendre l'existence de
l'âme à l'observation de chaussures, à une misérable
petite "tennis shoe" désormais éminemment célèbre
! Bien évidemment, les "sceptiques" ont profité de l'occasion
pour démolir les témoignages de ces dérisoires histoires
de chaussures, focalisant le "débat NDE" sur la fiabilité
et l'honnêteté des témoins en ce qui concerne ces détails.
Le point de vue ontologique se repose donc beaucoup sur la recherche de "preuves"
de la perception d'informations réelles lors de la phase dite de décorporation,
alors que logiquement cette possibilité de perception d'information ne
prouve pas grand chose sur l'entrée dans l'au-delà.
Remarquons au passage combien le champ lexical des survivalistes est, depuis
l'apparition du spiritisme, à l'époque du plein essor du positivisme,
saturé de termes relevant de la preuve (argument, testimonial, test,
expérience, objectif, factuel, prouvé, objet permanent …) . Seulement
ces "preuves" ne prouvent pas ce qu'elles sont censées prouver,
mais seulement qu'il se produit des événements difficiles à
expliquer scientifiquement.
Le second argument des spiritualistes
est la différence absolue de vécu entre les expériences
hallucinatoires (dues à des drogues, des déficits cérébraux,
des troubles psychiatriques …) et les EMI, affirmée par certains patients
ayant connu les deux types de visions. L'expérience au seuil de la mort
est ressentie comme éminemment structurée, cohérente, dont
le sens paraît tout à fait limpide, comme dans les expériences
spirituelles, c'est-à-dire à l'opposé du délire.
De plus, le niveau de "vividité" (l'impression de réalité)
est très élevé, et la succession des phases et de ses différents
éléments est très typique (pourquoi un corps qui flotte,
un tunnel, une lumière, etc ?). Même la sceptique Susan Blackmore
admet que l'expérience de l'EMI diffère des hallucinations et
a une spécificité propre.
Enfin, le dernier argument le plus cité est qu'on connaît maintenant
de nombreux cas d'expériences typiques des EMI qui se produisent alors
que le patient n'est pas à l'agonie, dans un état de santé
tout à fait normal. Ces cas sont invoqués pour nier l'hypothèse
des hallucinations engendrées par le cerveau en train de mourir. Cependant,
cet argument prêche en lui-même contre l'approche spiritualiste
qui fait du détachement de l'âme et du corps la cause des EMI.
Il faut bien reconnaître en effet que la méditation, le tantrisme,
la respiration holotropique, et d'autres pratiques "spirituelles"
peuvent elles aussi provoquer des expériences très ressemblantes
.
Les EMI dans la fiction
Le tableau le plus connu évoquant
les EMI est "l'Ascension vers l'Empyrée", un des panneaux du
polyptyque de Jérôme Bosch "Les Visions de l'au-delà".
Il montre un tunnel au bout de laquelle une belle lumière semble attirer
des êtres éthérés.
Dans la littérature, la poésie, le théâtre, l'opéra
…, les descriptions d'agonies sont nombreuses, et une "musique céleste"
est souvent citée, comme dans "La mort d'Isolde" de Wagner.
Mais les ressemblances avec les EMI sont beaucoup plus lointaines.
Par contre, les EMI ont été choisies comme sujet même de
roman par Bernard Werber, dans "Les Thanatonautes". Le mythe "du
voyage de l'âme après la mort" qui sous-tend l'approche spiritualiste
des EMI devient ici source d'inspiration infiniment riche. Dans cette fiction,
le "territoire des morts" est exploré comme un territoire géographique,
spatial (d'ailleurs il est localisé dans un trou noir au milieu de la
Voie Lactée) possédant plusieurs régions séparées
par des "murs" (analogues aux murs du son). Les "Thanatonautes",
terme plus téméraire que celui consacré d'"expérienceur",
sont donc les explorateurs de la mort, partant à la conquête d'horizons
lointains. Les conséquences sociales de leurs visions de l'au-delà
sont abondamment développées, dépendant de la coloration
positive ou négative de leurs découvertes successives. Cette "pérégrination"
autour du mythe, non dénuée d'humour, s'inspire évidemment
aussi du "Livre des esprits" d'Allan Kardec, le fondateur de la philosophie
spirite, ainsi que de tous les écrits traditionnels (Livre des morts
Egyptien, Tibétain etc.).
Dans l'univers cinématographique,
on pourra remarquer en particulier le film "Que le spectacle commence",
de Bob Fosse, qui reprend les différentes phases de l'agonie mises en
évidence par E. Kübler-Ross.
Le film "L'expérience interdite", qui fut très apprécié
aux USA, brode autour du même thème que "Les thanatonautes"
: les NDE provoquées. Plus récemment, le film "Au-delà
de nos rêves" donne une vision très picturale de l'au-delà,
paradis ou enfer, avec également le thème du suicide qui est souvent
repris par les chercheurs sur les EMI. Cette œuvre, montrant bien comment la
subjectivité pourrait "organiser" et créer la réalité,
illustre brillamment un processus que l'on vit fréquemment dans le rêve
lucide.
L'immense succès commercial "Le sixième sens", après
avoir évoqué brièvement la phase de décorporation,
nous emmène dans le monde des "esprits désincarnés",
fantômes cherchant désespérément à communiquer
avec les vivants.
Et la liste pourrait évidemment
s'allonger …
On peut, a posteriori, retrouver dans d'innombrables récits, depuis Platon,
ou Thespesios de Soles (au 1er siècle après Jésus-Christ),
des traces d'EMI. Mais les EMI sont elles-mêmes sources d'inspiration
pour l'art, la littérature, etc.
Le symbolisme des EMI
On retrouve principalement dans les EMI, comme chez les mystiques, une symbolique lumineuse et ascensionnelle, qui renvoie au désir, au manque, au besoin de retour fusionnel aux origines de la vie, mais aussi aux figures divines, célestes.
Citons quelques expressions fréquemment rencontrés :
Myriade d'étoiles, brillance, rayonnement, clarté, splendide lumière, atmosphère lumineuse, explosion radieuse, chaleureuse, majesté, être de lumière, doré, soleil, phosphorescent, transparence, feux d'artifices, blancheur, clarté merveilleuse et attirante, brillante mais pas aveuglante, lumière mille fois plus puissante que le soleil
Obscurité totale, entonnoir, spirale, aspiré, tunnel, sombre, trou noir, gouffre
Vers le haut, légèreté, flottement, ascenseur, quintessence, sublimation, voler, attraction, quête, voyage, ciel
Détachement affectif, spectateur, valeur, morale, jugement
Vitesse vertigineuse, hors du temps, espace illimité, compréhension globale, cosmos, univers, connaissance, fusion
Amour, communion, bonté infinie, unité, paix, sérénité
Apparitions, présences, guides, accueil
Rivière, barque, dernière marche, frontière, portail, aspiration, happé
On remarquera que si certains des
témoignages rappellent les mythologies traditionnelles (Egyptienne :
le Dieu Osiris et la pesée des âmes, Grecque : traversée
du Styx, interdiction de se retourner, spiritisme : les âmes accueillantes
etc.), il y a peu de descriptions des caractéristiques monothéistes
du paradis et de l'enfer (nuages, prairies, sources claires, jeunes filles,
anges, démons, flammes, tortures ...).
Si les sujets d'EMI, dans leurs récits a posteriori, emploient des images,
il faut insister sur le fait que l'EMI est d'abord ressentie globalement, comme
dans une expérience mystique, et que tous les sujets insistent sur l'aspect
incommunicable de leurs visions.
Pour approfondir ce type d'approche anthropologique et symbolique, il faut se
reporter tout d'abord à l'œuvre incontournable de Louis-Vincent Thomas
sur la mort , et en particulier à son analyse des visions culturelles
de l'au-delà. Il ne faut pas oublier que si, dans notre civilisation
matérialiste, l'après-mort n'existe pas (fin du corps, de la matière),
dans toutes les autres civilisations, la non-vie est impensable, non conceptualisable,
d'où la présence obligatoire de représentations de l'au-delà.
Les témoins d'EMI, dotés du titre de gloire d'"Expérienceurs", changent radicalement de vision du monde après leur retour du coma. L'expérience laisse en eux une trace extrêmement profonde.
Après la parution de l'ouvrage
de Moody, une image stéréotypée de l'expérienceur
est apparue : ouverture à la "spiritualité", insatiable
curiosité intellectuelle, amour du prochain, intérêt pour
une cause humanitaire qui fait sens dans son destin, changement de valeurs,
perte de la peur de la mort, etc …
On mentionne des changements corporels et intellectuels, des améliorations
au niveau de la concentration, de la mémorisation, de la résistance
physique. Il est également souvent signalé des phénomènes
paranormaux (dons de guérison ou de prédiction …). Ceci n'est
pas sans rappeler les témoignages des "contactés" par
les extra-terrestres ("abductees") ou les grands mystiques.
Cependant aujourd'hui, cette vision
idéalisée est écornée par des études cliniques
plus objectives . Il arrive que le sentiment d'amour universel ne soit pas perçu
comme un affect positif par l'entourage, mais plutôt à l'inverse
comme de l'indifférence. La nostalgie de l'EMI est parfois si importante
(union cosmique, infini, communion …) que le retour à la vie devient
souffrance, le sujet a du mal à reconstruire les limites de son moi et
devient parfois trop perméable aux autres. On constate souvent une inadaptation
à la vie professionnelle et familiale (nombreux cas de divorces). Les
phénomènes paranormaux sont difficilement intégrés
dans la vie du sujet, qui n'y a pas été préparé
et ne sait pas les interpréter. Certains expérienceurs manifestent
une inflation du moi pouvant aller jusqu'à une dérive mégalomaniaque,
d'autant plus que l'engouement actuel pour la recherche sur ces expériences
a hyper valorisé ces témoins.
Le docteur Jourdan met en garde contre les tentatives de récupération
sectaires de ces sujets fragilisés et vulnérables, qui ont tendance
à se retrouver entre eux et à se complaire dans une ambiance élitiste
(ils se représentent comme des miraculés) et une atmosphère
paranoïaque (on ne peut pas les comprendre, les médecins ne les
croient pas, etc).
Il est vrai qu'en France, l'attitude de la plupart des médecins, éduqués
dans un contexte de matérialisme pur, est assez froide : l'accompagnement
aux mourants est rudimentaire, le développement des services de soins
palliatifs est encore balbutiant, le médecin n'est pas vraiment quelqu'un
à qui on peut se confier facilement.
La mort étant surtout considérée par le médecin
comme l'échec de sa pratique médicale, elle est repoussée
comme l'ennemie suprême. Beaucoup de patients ayant vécu une EMI
se plaignent du manque d'écoute et d'humanisme de la part du corps médical.
Cependant le traumatisme initiatique que constitue l'EMI peut être intégré positivement si la réaction psychologique consécutive à l'expérience se situe dans la lucidité, l'ouverture et l'acceptation. Beaucoup de patients entreprennent une thérapie ou au moins un certain travail psychologique personnel.
VOIES D'APPROCHE ACTUELLES
1 - les enquêtes
statistiques
On pourrait se poser la question de l'utilité actuelle de refaire des
enquêtes alors que de nombreuses études ont déjà
confirmé les travaux précurseurs de Moody. L'intérêt
résiderait peut-être dans l'élargissement de l'ensemble
des cas étudiés à tous les cas où il y a perte de
conscience, si brève soit-elle, et au recensement de tous les vécus,
quels qu'ils soient, pas seulement ceux correspondant à l'EMI type. En
effet, toutes les précédentes études ont repris le schéma
de Moody, et les enquêtes consistent à repérer uniquement
les vécus correspondants à ce que l'on cherche. Il serait intéressant
de savoir quels types de visions peuvent avoir les patients, quels ressentis,
quelles angoisses etc., de façon à établir un tableau statistique
complet. Michèle Choquet, une sociologue québécoise, a
élaboré une grille d'entretien type destinée à chaque
témoin de NDE dans tous les pays, de façon à déceler
par exemple les variations culturelles.
2- le refus du réductionnisme
Malheureusement encore actuellement, on trouve fréquemment dans les médias
des déclarations de "spécialistes" de telle ou telle
discipline (neurologie, psychanalyse, psychiatrie etc.) se sentant autorisés
à donner une explication péremptoire et définitive de la
question, alors qu'ils n'en connaissent que très peu d'éléments.
Des voix s'élèvent contre ce type de pratique et contre le réductionnisme
qui conduit le plus souvent à la conclusion du "circulez, il n'y
a rien à voir". En France, la parution en première page du
Monde d'un article sur l'étude néerlandaise de l'Hôpital
d'Arnehm est un indice d'une évolution des mentalités sur ce sujet
et de la réhabilitation de ce phénomène en tant qu'objet
d'étude légitime et spécifique.
3 - la phénoménologie
de l'agonie
En s'intéressant plus finement à l'approche clinique et à
l'étude phénoménologique des cas d'EMI, sans préjuger
d'une interprétation (matérialiste ou spiritualiste) mais en approfondissant
les significations profondes de ces expériences pour les patients, les
chercheurs aujourd'hui sont en passe d'obtenir un tableau plus riche et surtout
plus nuancé du phénomène.
Un autre versant de cette approche serait la poursuite de l'étude comparative
du symbolisme en jeu dans les EMI, dans une perspective junguienne ou durandienne.
4 - étude
plus générale des "états modifiés de conscience"
C'est par une étude plus globale sur la conscience et surtout sur ce
qu'on appelle ses "états modifiés" que l'on arrivera
à replacer l'EMI dans son cadre naturel. En particulier, l'avancée
des recherches sur l' "OBE" (Out of Body Experience) permettrait d'élucider
ce problème de la conscience "flottante" capable d'acquérir
des informations réelles sur l'environnement. L'OBE est une expérience
subjective relativement fréquente (environ 17 % de la population l'a
connu, le chiffre variant selon les enquêtes), qui ressemble de très
près à la phase 4 des EMI. Les sujets ont l'impression de quitter
leur corps physique qu'ils voient au-dessous d'eux, flottent dans des paysages
semblant tout à fait réels, et peuvent "voir" ce qui
se passe autour d'eux sans l'intermédiaire de leur corps, de leurs organes
sensoriels. Des recherches ont été effectuées dès
les années 70 (Osis, Tart, Palmer …) et on a tenté de savoir s'il
pouvait y avoir acquisition systématique d'informations pendant cet état.
On a également enregistré en laboratoire les variations de l'EEG
des sujets. Les résultats n'ont pas été très clairs
et on s'est aperçu que les sujets, même entraînés,
avaient du mal à contrôler leur expérience. Ceci n'a pas
permis de conclure, et surtout de répondre au questionnement principal
: y a-t-il vraiment un déplacement de la conscience dans l'espace physique,
ou bien s'agit-il plutôt d'une vision onirique re-fabriquée mais
intégrant des éléments réels (mais par quel canal
?). On continue donc à s'interroger et on se demande quelles autres hypothèses
pourraient être formulées.
Dans le cadre de l'étude des EMI, le médecin Sam Parnia, de l'université
de Southampton, a ainsi équipé une salle de réanimation
de cibles cachées destinées à tester l'acquisition d'information
par OBE (encore peu de résultats à l'heure actuelle).
D'autre part, en comparant également
les EMI avec les expériences de type "Kundalini" ou à
d'autres états obtenus par des techniques de méditation ou des
drogues, on pourrait relativiser et mettre en perspective chaque élément
du vécu, sans a priori métaphysique.
On est très loin d'avoir effectué cette étude en détail,
étude dont on a pu croire que l'on pourrait faire l'économie,
quand on est passé prématurément à la vision ontologique
après avoir recueilli quelques prétendues "preuves"
(informations obtenues pendant la phase d'OBE). C'est tout l'enjeu des "sciences
de la conscience" que d'élucider cette intrication de l'objectif
et du subjectif.
5 - approche neurobiologique
La recherche inspirée des neurosciences, dont les progrès extrêmement
rapides à l'heure actuelle sont susceptibles d'éclairer le phénomène
EMI, est bien sûr à poursuivre en parallèle. On pourra citer
par ex. les hypothèses du Dr Jourdan sur le système limbique et
l'hippocampe en particulier, ou les explorations des effets de la kétamine
sur les récepteurs NMDA.
6 - spéculations
théoriques
Enfin rien n'interdit d'introduire des hypothèses hardies telles que
celle d'une cinquième dimension (Dr Jourdan), qui permettrait d'envisager
d'un autre point de vue temps et espace ; ou à l'opposé les hypothèses
de mort du cerveau et d'angoisse de la perte du "soi" de Susan Blackmore
. Le point le plus important étant, malgré les difficultés
de trouver des conséquences testables, de ne jamais perdre de vue qu'il
ne s'agit que d'hypothèses, et que l'on est encore loin d'avoir tous
les éléments permettant de conclure et de clore le dossier.
Date de rédaction de l'article : 2002
BIBLIOGRAPHIE :
[1] Blackmore S., "Near-Death
Experiences : In or Out of the Body ?", in : Nickell J., Kan B., Genoni
T., 1996, The Outer Edge, CSICOP.
[2] Grof S., "La psychologie transpersonnelle", Le Rocher, 1988.
[3] Maurer D., "La vie à corps perdu", Les trois monts, 2001
[4] Mercier S. (dir), "La mort transfigurée", Belfond, 1992.
[5] Mercier S.," L'expérience au seuil de la mort", Prétentaine,
n°7/8, oct 1997.
[6] Moody R., "La vie après la vie", Robert Laffont, 1977.
[7] Nau J-Y. ,"Ce long tunnel obscur qui mène aux frontières
de l'au-delà", in "Le Monde", 19.12.01
[8] Vincent-Thomas L., "Mort et ontologie", in : Encyclopédie
philosophique universelle, Tome 1, Paris, PUF, 1989.
[9] Ring K., "Sur la frontière de la vie", Robert Laffont