PSITT ! n°25 avril 1984

Compte rendu de la conférence du Dr. Hubert Larcher « LE TEMPS A LA LUMIERE DES PHENOMENES PARANORMAUX », par J.P. Le Goff, p.11-15

   Cette conférence (IMI, 23 février 1984) fait partie d’un cours qui a déjà traité de la clairvoyance et de la télépathie et qui se poursuivra par l’étude chronologique des phénomènes paranormaux, puis des relations entre la métapsychique et l’Histoire. Le Dr. Larcher a bien voulu nous autoriser à en publier quelques extraits.

   « Les visions d’un lointain passé, les prémonitions, les télépathies, voire les psychocinèses à travers le temps, les phénomènes instantanés donnent à la parapsychologie un rôle de premier plan à jouer dans l’exploration de la relativité temporelle. A cette parapsychologie de l’Histoire répond l’Histoire de la métapsychique qui, à long terme, paraît susceptible d’intéresser l’eschatologie. (…)

   Certains sujets paraissent singulièrement doués pour transcender les contingences de leur temps et de leur vie personnelle, pour élever leur niveau de conscience à l’échelle de l’Histoire, faisant bénéficier des sociétés de leurs inspirations prophétiques. D’autres paraissent capables de former en eux-mêmes la synthèse de pulsions collectives et de se trouver, de ce fait, investie de missions d’intérêt supérieur qu’ils remplissent jusqu’au prix de leur vie, obéissant à des impératifs surconscients, ou à des ordres manifestés par des voies paranormales, comme ce fut le cas de Jeanne d’Arc, dans l’Histoire de France. Il n’est pas jusqu’aux sources de la création artistique, de l’inspiration poétique, du génie scientifique, où ne puissent se manifester des éléments parapsychologiques liés au terrain sociologique, fait d’un riche humus du souvenir des morts, étendant la parasociologie aux dimensions de l’Histoire. (…)

   Quand on parle d’Histoire, généralement, on pense que c’est la chronologie des faits passés. Pour nous, la chronologique, c’est la science du temps et de son contenu. Alors, qu’est-ce que c’est que l’Histoire, envisagée de ce point de vue ? Du grec, histos, tissu, c’est le tissu des faits et des événements dignes de mémoire, leur recherche, leur connaissance et l’étude de leurs relations. Ce tissu se déploie aux yeux de notre conscience dans toutes les directions de l’espace et du temps. C’est-à-dire qu’il est constitué par tous les faits et événements qui se prodiusent en même temps dans tous les points de l’étendue. (…)

   Dans cette synchronie prennent place un fait A, un fait B, un fait C, un fait D, se déroulant dans le même temps. (…) Mais, à nos yeux – est-ce subjectif, est-ce objectif ? on le verra ultérieurement – le temps s’écoule, on parle de « la flèche du temps », et il y a, à nos yeux, des faits qui se succèdent. Dans cette dimension-là, il y a diachronie. Voilà deux dimensions du temps.

   Mais la totalité des faits et des événements qui constituent cette synchronie et cette diachronie, contenues dans l’étendue et dans la durée, est-elle susceptible de déterminer à nos yeux la manière dont nous nous représentons habituellement le temps ? Pour répondre à cette question, il serait nécessaire d’avoir une vision générale de la structure même de l’espace-temps de Minkowski et de tous ceux qui s’y réfèrent. C’est-à-dire d’envisager une science du temps qui soit une chronologie globale non séparable, à vrai dire, en vertu de la relativité, d’une topologie ni d’une dynamique également globales.

   Le temps, l’espace et le mouvement sont liés. Déjà la réflexion philosophique a permis à des penseurs comme Nicolas Berdief de discerner au sein de la chronologie globale plusieurs temps, que Mme M.M. Davy a fort bien schématisés comme suit :

1° Le temps cosmologique,

2° Le temps historique,

3° Le temps existentiel.

   Le temps cosmologique est marqué par la monotonie des éternels retours d’ordre cosmique, déterminés par la rigueur d’un mécanisme, instrument et produit de la nécessité et du jeu d’un hasard aveugle. C’est le temps objectif, le temps du jour et de la nuit, du soleil et de la lune, de la mécanique céleste.

   Le temps historique est marqué par les événements dans lesquels l’homme investit les conséquences de ses choix en construisant un avenir prophylactique, face au futur qui le menace. Le futur fait peur, parce qu’il est inconnu. Alors, face à ce futur qui fait peur, nous essayons de construire un avenir.

   Le temps existentiel, qui transcende les autres, c’est « l’éternité au cœur de chaque instant dans l’intériorité de la conscience libre ».

   On voit que si le temps cosmologique offre prise à l’objectivité, le temps existentiel est celui de la subjectivité, si bien que le temps historique apparaît comme une sorte de compromis entre celui du déterminé objectif et celui de la liberté créatrice, subjective, imaginaire, voire imaginale.

   Tout se présente comme si le mystère de l’Histoire était celui d’un investissement de déterminant dans du déterminé, d’un douloureux travail de lente objectivation, ainsi que le montre notamment l’histoire de la pensée et même – sur le plan de la douleur – l’histoire des temps de guerre. S’il en est bien ainsi, il y a donc lieu de considérer trois niveaux de l’Histoire, aussi complémentaires que le sont les niveaux somatique, psychique et pneumatique dans le composé humain.

   Au niveau du temps cosmologique se situera l’Histoire naturelle, qui est celle de tout le contenu cosmique, physique, minéral, végétal, animal et humain.

   Au niveau temps historique se situe l’Histoire humaine proprement dite, l’histoire des actes, des gestes humains et de la geste de l’humanité toute entière, passée, présente et à venir.

   Au niveau du temps existentiel se situe l’histoire des manifestations immanentes et transcendantes d’origine spirituelle, qu’elles soient mystiques, théophaniques, ou prophétiques, que l’on comprend sous le nom général d’Histoire sainte, non limitée à l’histoire humaine d’un peuple traversant le désert vers la Terre promise, mais élargie aux dimensions de l’Histoire sacrée ou religieuse de l’humanité dans toute sa perspective eschatologique, jusqu’à la fin des temps. »

   Après avoir esquissé une comparaison entre ces notions de temps et les apports de la physique relativiste, le Dr Larcher poursuit :

   « Dans le temps cosmologique, ce qui a été fixé à jamais dans l’inévitabilité du passé, tandis que ce qui sera est muable, grâce à notre action sur le cosmos, par les actes, par l’Histoire.

   Dans le temps existentiel, les deux principales attitudes de l’homme face au futur sont celle du souci, de la crainte, de l’angoisse (l’angoisse de la mort décrite par Heidegger), celle aussi de la création, de l’espoir, de la délivrance, de l’élévation de la vie, décrite par Bergson. Heidegger est pessimiste. Bergson est optimiste.

   Dans le temps Historique, l’homme s’efforce d’user de sa marge d’action libre pour tenter d’infléchir la conversion du futur muable en passé immuable, dans un sens aussi favorable que possible, à son point de vue, s’efforçant d’opposer l’avènement de l’avenir qu’il prévoit et prépare, aux événements imprévisibles et imparables du dangereux futur. C’est ce qu’on appelle la prévoyance. Gouverner, c’est prévoir. (…)

   Donc, objectivement soumis au hasard et à la nécessité de l’Histoire naturelle, l’homme ne peut obéir à la loi de causalité en cherchant à l’observer pour la comprendre, afin de l’utiliser ; il est soumis au temps cosmologique, au rythme du jour et de la nuit, des saisons, de la chronobiologie, et de cette nécessaire subordination, naissent les servitudes chrono-psychologiques dont les états de veille et de sommeil donnent un parfait exemple.

   Mais, jouissant subjectivement d’une liberté existentielle intérieure, capable d’accéder à la conscience du présent et de l’éternité, il obéit aussi aux lois de sa finalité inscrite dans la création, il transforme le temps. Ce n’est pas le changement qui est produit par le temps ; c’est le temps qui est produit par le changement. D’où l’intérêt de l’anthropodynamique. Le temps existe, parce qu’existe l’activité, l’action créatrice, le passage du non-être à l’être. Bien compris, ce temps est celui du sens eschatologique, du sens dans lequel doit s’écrire l’Histoire sainte. Ainsi peut-on passer de l’Histoire naturelle, cosmologique, à l’Histoire humaine et à l’Histoire sacrée.

   Pris entre une objectivité causalement contraignante de la machine cosmique et la subjectivité finalement libératrice des Dieux, que reste-t-il encore à l’homme ? A faire…

   L’homme est ainsi à la fois la source de la psychologie de l’Histoire et le but de l’Histoire de la psychologie.

   Dans la synchronie, l’homme est sensible aux coïncidences qui lui paraissent outrepasser la probabilité et il leur attribue de mystérieuses significations ; dans le cas particulier de la coïncidence entre ses instances et les circonstances, il se sent singulièrement concerné et impliqué. A l’idée d’événements fortuits dus au hasard, il préfère soit celle d’une intention providentielle, c’est le providentialisme, soit celle d’un flatteur et mystérieux pouvoir émané de lui-même, qui ont pour propriété comme de dominer le hasard.

   C’est ce tissu des instances et des circonstances, qui rencontrent les coïncidences, les sélections et les sensibilisations, qui fait apparaître la destinée humaine comme mystérieusement guidée.

   De fait, elle l’est bien, par les deux rênes du cosmos objectif et de la liberté subjective, par la machine et par les dieux, sur la piste du théodrome, offert à son accomplissement, dans le sens de la flèche du temps. Mais c’est le pôle de la liberté qui captive l’attention. La conscience voudrait pouvoir ne rien laisser au hasard, mais au contraire l’asservir en saisissant sa chance, et c’est pourquoi elle attache tant d’importance à la mise en évidence de la moindre fissure observée dans le jeu des lois statistiques.  

   Pour M. Pascal Jordan, physicien, il y aurait complémentarité au sein de la structure universelle, une sorte de Yin et de Yang entre les phénomènes physiques qui prennent place dans le conscient collectif, ce qui expliquerait la possibilité d’un ordre non-causal entre les phénomènes.

   Pour le docteur Jules Eisenbud, le problème de la déconnexion des liens de la causalité n’est pas rare dans le domaine des sciences, et serait partiellement soluble grâce à l’étude de ces correspondances dont ce sont, précisément, les phénomènes parapsychologiques qui offrent le meilleur exemple.

   Que l’on tente d’expliquer les relations non-causales par la synchronicité de Jung, par la complémentarité de Jordan, ou par les correspondances de Eisenbud, l’important est de savoir si celles-ci permettent à la conscience d’explorer le temps historique au-delà des limites permises par la causalité normale, soit dans le sens du passé, soit dans le sens du futur.

   Mais la parapsychologie va plus loin, puisqu’elle s’efforce d’étudier les phénomènes de prise de conscience d’un passé situé hors de portée de la mémoire personnelle du sujet et certainement ignoré de lui par les voies de l’information normale. D’autre part, il s’agit de savoir si la conscience peut être informée des événements futurs, en dehors de toute possibilité de prévision, de prospective ou de probabilité.

   De telles possibilités, surtout celles qui concernent le futur, nous ramèneraient au temps existentiel, puisqu’elles transcenderaient les conditions propres au temps historique et au temps cosmologique, en les focalisant dans la conscience. La perspective du présent s’ouvre dans les deux infinis : vers la rétrospective et vers la prospective totales, posant à ce présent le double problème de la cause première et de la fin dernière, de l’alpha et de l’oméga, des extrêmes qui se touchent et de leur rapport avec l’éternité. Dans l’univers spatio-temporel, la synchronicité des structures, la complémentarité des fonctions, les correspondances des connexions non causales, exprimeraient le rôle déterminant joué par les fins, à tel point que , capables de lever les contraintes du temps cosmologiques, elles pourraient paranormalement accélérer les processus normaux jusqu’à la limite de l’instantanéité, comme dans certaines guérisons miraculeuses.

   Enfin, dans cette… j’allais dire : chronopathie, par analogie avec télépathie, à cette forme de sensibilité temporelle, qui est une parapsychologie de l’Histoire, correspond une Histoire de la parapsychologie dont il convient de chercher les racines dans la terre et dans l’humus de l’Histoire naturelle.

   En ce sens, l’Histoire de la parapsychologie se montre parallèle à celle des autres sciences de la nature auxquelles elle emprunte parfois abusivement ou paralogiquement son vocabulaire. C’est ainsi que l’on pourrait s’amuser à dresser la chronographie comparative de l’emploi de mots comme magnétisme, ondes, fluide, éther, radiations, énergie, plasma, dans la cosmologie physique et dans la parapsychologie.

   Il est plus intéressant de chercher au sein de la phylogenèse (de l’évolution des espèces) et de l’ontogenèse (le développement de l’individu) l’ordre chronologique d’apparition des conditions d’émergence d’une éventuelle phénoménologie paranormale. Conditions obéissant aux lois de la nature, quittes à préparer leur asservissement. Cette histoire sera donc celle de l’anecdote, de l’observation et de l’expérience de phénomènes paranormaux, somatiques, économiques, cosmologiques déterminés, objectifs, qui paraissent échapper à la causalité et à la probabilité ordinaire ; d’autre part, des phénomènes exceptionnels chez l’homme relèvent de la méthode historique telle que l’ont mise en pratique, par exemple, le professeur d’Histoire de Poitiers, Olivier Leroy, qui a étudié la lévitation, les hommes-salamandres, ou le R.P. Thurston dans Les phénomènes physiques du mysticisme. On conçoit l’influence de ce merveilleux réel sur l’histoire humaine et la tentation de l’exploiter comme nous l’avons déjà vu, à propos de la psychologie et de la sociologie, notamment à l’échelon politique.

   C’est la raison pour laquelle on ne saurait sous-estimer l’importance humaine de l’Histoire de la parapsychologie qui met en évidence son lent cheminement, depuis la subjectivité anecdotique et déformée par la structure même de l’imagination fantastique jusqu’à l’observation scientifique et objective, et l’expérimentation démystifiante. (…)

   L’histoire de l’illuminisme, des sociétés initiatiques, des sectes, montre combien cette démystification est importante pour l’avenir de l’Histoire humaine et justifie, à elle seule, le crédit que l’on doit accorder à la promotion et au développement de la parapsychologie scientifique. (…)

   Enfin, s’agissant, non plus des causes, ni des conditions, ni des concomitances, mais des fins dernières de l’homme, l’Histoire sainte, au sens large, pose de front à la parapsychologie, face à l’invariance du déterminé cosmique, le problème de la progressive tendance au déterminant existentiel, c’est-à-dire de l’imaginal vers une limite qui est celle du possible et du réalisable dans le temps au regard de la foi religieuse en une toute-puissance. Ce chemin eschatologique, vers une fin dernière, se trouve historiquement balisé par le prophète, point d’impact de l’avenir qu’il perçoive dans le présent qu’il vit, lieu cybernétique des circuits rétroactif de l’Histoire. Quant aux théophanies, et à l’ultime d’entre elles, la parousie prédite comme la fin des temps, elles me font entrevoir la possibilité d’accession transcendante et déterminante à l’éternel présent d’une présence éternelle. »


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