(Original de l’article paru dans Autour du rêve, Forum transdisciplinaire N°1, Editions L'Atelier du rêve, 1995. Ce texte a été revu et corrigé en oct 96)

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ANIMISME ET ESPACE-TEMPS

par François FAVRE

 

 

Il s'agit d'un texte résumant une série de conférences. Pour en faciliter la compréhension auprès de lecteurs peu familiarisés avec la physique, l'épistémologie ou la parapsychologie, j'ai questionné François Favre sur certains points. Le texte initial a ensuite été modifié par lui et certains de ses commentaires, entre crochets et en italiques, ajoutés. La lecture de cet article est très ardue et nécessitera du lecteur une démarche à la fois créatrice et empathique, aux antipodes d'une lecture linéaire.

F. Lesourd

I. INTRODUCTION

II. LES PROBLEMES SOULEVES PAR LA PHYSIQUE MODERNE

III. LES PROBLEMES SOULEVES PAR LA PARAPSYCHOLOGIE

IV. LES PSEUDO-SOLUTIONS

V. QUELQUES NOTIONS DE PHILO ET DE PSYCHO

VI. LES SOLUTIONS PROPOSEES

VII. LA DESTINEE ET LE DETERMINISME

 

 

 

 

 

 

I. INTRODUCTION

 

Une remarque préalable s'impose : on ne peut pas dissocier le temps de l'espace, aussi bien en physique qu'en psychologie, puisque l'existant suppose de l'espace (des choses) et du temps (du changement).

Pour essayer de rendre clair un exposé difficile et trop bref, je propose de le symboliser par un circuit cybernétique (schéma 1) que j'expliciterai au fur et à mesure. Chaque quadrant correspond à un champ d'études scientifiques :

· I : La réalité objective. C'est le domaine de l'observation physique et biologique ;

· II : La réalité subjective. C'est le domaine où fonctionne la raison, où l'esprit agence. C'est ce qu'explore la psychologie expérimentale et à partir de quoi travaille presque exclusivement la philosophie occidentale ;

· III : L'imaginaire subjectif. C'est le domaine des représentations, des images, du désir. C'est le champ privilégié de la psychanalyse et de la psychosociologie de l'imaginaire au sens large (Bachelard, Carroll, Lévi-Strauss, Borges, etc.) ;

· IV : L'imaginaire objectif. Ce terme, qui peut choquer de prime abord, désigne le domaine de la psychosociologie dynamique (conduites objectives), de la pragmatique linguistique (actes d'énonciation), de l'éthique ou de l'art (actualisations de valeurs).

 

[Grosso modo, les champs I et II contiennent des variations d'états qu'on cherche à décrire et à prédire. Les champs III et IV contiennent des variations de tendances qu'on cherche à comprendre et à expliquer.]

Ces quatre champs sont isolés dans l'enseignement et la recherche. Je vous propose d'étudier leurs corrélations par des approches transdisciplinaires1. Mais pour bien me faire comprendre, je dois au préalable dire deux mots d'une logique de la signification que j'utiliserai (qui est un cocktail maison de Lao-tseu, Hegel et Lupasco).

*

Dans la logique habituelle, dite du tiers exclu, quand une affirmation est vraie, son contraire est faux (il n'y a pas de tierce solution : si un nombre est pair, il ne peut être impair). La réunion d'une classe -par exemple les nombres pairs- et d'un de ses contraires possibles ou "négat" -les impairs- constitue un univers de discours -ici, les nombres entiers naturels-. Ainsi, dans ce cadre et seulement dans ce cadre, la négation d'un nombre pair est un nombre impair ; classe et négat sont dits alors complémentaires. Considérons maintenant un espace constitué seulement d'un vase et d'une table. Selon cette logique, la négation du vase (noté V, V' ou encore V- qu'on énonce non-V, anti-V ou V négatif) est alors l'équivalent de la table ; le non-être est un vide défini par ce qui l'entoure, "c'est l'infini moins l'être " disait Hegel. Si l'être est ce qui est objectif, on dira que le vase subjectif (V') est l'équivalent de la table objective (T) -ce qui paraît assez étrange, mais le paraîtra moins dans la suite de l'exposé. Envisageons maintenant des faits temporels : le négat d'une action (cause déterminant un effet ultérieur) peut être un désir (moyen déterminé par une fin ultérieure) ; le négat d'une perception (effet) peut être un concept (fin).

La logique est censée étudier les règles auxquelles la pensée doit obéir pour être en accord avec elle-même. La logique moderne de référence, algébrisée, obéit au tiers exclu et opère déductivement. On peut honnêtement s'interroger sur sa pertinence générale puisque la pensée est également inductive, qu'une vérité peut être contradictoire ou contingente, et que ses applications se limitent à des domaines très restreints ou très élémentaires, comme l'informatique : son formalisme s'avère en effet inadéquat au langage ordinaire, à l'expérience vécue et même à l'ensemble des mathématiques (par exemple à la topologie).

D'où la nécessité d'envisager une logique du tiers inclus, moins puissante mais certainement beaucoup plus générale. La logique complémentaire que je propose entend opérer dialectiquement sur des significations. Ainsi le signifiant linguistique "vase" (V), perception phonétique, a pour signifié V', pour concept (subjectif), tous les emplois (objectifs) de ce mot dans la langue, autrement dit le contexte linguistique qui l'entoure (les causes virtuelles "T"). De même, l'objet "vase" a pour signifié non linguistique tous ses emplois matériels dans notre univers objectif. Il faut donc distinguer dans le signifié ce qui est statique et subjectif (le concept V') de ce qui est dynamique et objectif (le contexte pratique Ti).

Dans cette perspective, la signification est le lien complémentariste, structuré, affectivement assimilé qui unit signifiant et signifié. Elle n'est donc pas un lien anonyme entre une forme et un usage ; elle est quelque chose de vivant dont un individu fait paradoxalement cohabiter l'être (une information) et le non-être (une intention). Le principe métaphysique de cette complémentarité n'est donc plus le Logos (la Révélation, la Loi) mais le "Pathos" (l'affectivité personnelle) ; autrement dit, aucune parole, aucun raisonnement classique, aucun fait objectif ou subjectif ne peut y avoir un caractère absolu, transcendant.

Lorsque les relations de signification cessent, il n'y a plus que des objets "en soi" et des idées "en soi". Le Moi étant supprimé, on fait alors de la science classique ; et de même que les objets macroscopiques peuvent être ramenés à une combinaison de particules élémentaires, de même on peut considérer avec les structuralistes que les idées résultent d'une combinaison de sèmes (ou archétypes).

[Nous appliquons tous le `principe du tiers exclu à la réalité en réduisant l'aléatoire, le continu, le mobile à de l'inerte, à de l'objectal. Pour raisonner en effet, il est obligatoire de spatialiser, de digitaliser, de quantifier ... même soi-même. Le vécu cependant est irréductible au rationnel parce qu'il relève de la signification. Un symbole par exemple, qu'il soit ou non conventionnel, peut être ici en tant qu'objet sonore ou visuel ; mais il est certainement aussi ailleurs en tant que représentant d'un signifié. Autrement dit, le raisonnement complémentariste n'est pas dissociable d'une morale ou d'une esthétique : plutôt que de logique, il faudrait parler d'une "pathique".]

D'autre part, puisque l'affectivité (le plaisir ou la souffrance, dont Lupasco disait que, dans notre expérience générale, c'était la seule chose qui ne pouvait se définir "en fonction de"), puisque l'affectivité donc est le principe ontologique de toute signification, il importe pour la suite de cet exposé transdisciplinaire d'en donner dès à présent une formulation physicaliste. On peut dire que l'affectivité est un effort chaotique, de l'énergie pure, du "travail en soi", l'énergie physique classique étant alors du travail en cours actuel de réalisation (qu'on opposera au travail potentiel de l'imagination).

Enfin, il importe de souligner l'existence d'une hiérarchie des significations : un état affectif peut se traduire par une impulsion ou une sensation, des sensations par une perception d'objet, tel objet type constituer un indice, l'indice servir de signe conventionnel pour communiquer, ce signe devenir purement logique (abstrait) pour faciliter le raisonnement. Mais, à chaque niveau, des contradictions peuvent surgir qui créent un conflit émotionnel. Ainsi, dans ma logique complémentariste, les notions d'objet ou d'idée "en soi" ne sont plus pertinentes ; il n'y a que des signifiés et des signifiants, en relation statique et/ou dynamique.

*

Contrairement aux apparences, un lecteur peu familiarisé avec la logique habituelle ou les sciences exactes est mieux armé que le scientifique ordinaire pour suivre cet exposé spéculatif sur le fonctionnement des significations puisque, précisément, son mode de pensée est intuitif, global et analogique, i.e. affectif.

[Mon ambition, théorique, est de montrer d'une part que les modèles actuels de physique, a priori valables pour le seul quadrant I, s'appliquent en fait également aux trois autres, et d'autre part, complémentairement, que les phénomènes dits paranormaux (ou "psi") cassent totalement la représentation occidentale classique d'un monde rationalisable et prédictible. Ce modèle, d'origine empirique, débouche sur une ontologie centrée sur l'affectivité et le Moi. Il vise à expliciter le lien entre réalité et rêve, i.e. en définitive la nature de la destinée.]

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